Cette conversation porte sur la révolution dans le monde arabe et particulièrement sur l’Algérie.
le 12 mars 2011
Claude: La liberté appelle les algériens. après la Tunisie et l’Égypte, la Lybie, le Yémen, Bahrein vacillent. L’Algérie, pays que j’aime beaucoup, m’inquiète. Je crains qu’il manque le train. J’étais à écrire un billet sur ce sujet lorsqu’un texte de l’écrivain algérien Boualem Sansal m’a tombé sur la main. Il résume très bien la situation du monde arabe, de l’Occident face aux révoltes et de la situation en Algérie et du pourquoi les jeunes algériens et algériennes hésitent à faire leur propre révolution. J’ai pensé le reproduire étant donné sa pertinence.
L’Algérie va-t-elle rater le coche ?
« Le monde arabe de papa est mort, on se félicite chaudement. Soyons modestes, disons qu’il se meurt. Il sera fini lorsque tombera le dernier dictateur et que sera brisé ce machin absurde, l’Arabie Saoudite, club de faux princes arrogants et cruels, qui se pose en gardien de la mythique race arabe et du véritable islam, et que disparaîtra la Ligue arabe, club fantoche mais combien pernicieux avec sa vision raciale et raciste du monde. A ce stade l’affaire sera réglée, on aura arraché la racine, on tournera la page et on tentera de rattraper le temps perdu et d’échapper définitivement aux travers de ce monde : le passéisme, la folie des certitudes et l’imprécation. Et on aidera pour que meure cet autre monde, celui des ayatollahs et des talibans, là-bas en Asie. On balaie partout, ou ce n’est pas la peine.
Mais en vrai rien ne sera réglé tant que la question arabe, mélange d’islam, d’islamisme, de nationalisme, de panarabisme, de terrorisme, d’émigration, et autres ombres au tableau, hante les arrière-pensées des Occidentaux. Il faudrait aussi qu’ils cessent de penser que la démocratie et le droit leur appartiennent et qu’il leur revient de les dicter, agissant ainsi comme les princes et dictateurs arabes qui se sont convaincus que tout, la langue arabe, l’islam, son prophète, les peuples et les terres arabes, le pétrole et l’avenir du monde leur appartiennent et qu’il leur revient de convertir les mécréants ou de les tuer.
La question se pose : si le monde arabe de papa tombe, le monde arabe que les Occidentaux portent dans la tête va-t-il tomber aussi ou vont-ils le garder pour les besoins de leur vision du monde ? Le monde arabe peut-il se transformer de lui-même et échapper au scénario écrit par l’Occident ? Lui-même verra-t-il l’Occident autrement que comme un monde de mécréance et de manipulation ? Moi, je ne sais pas répondre à ces questions, sauf à dire qu’il faut en finir avec tous ces mondes qui se regardent en chiens de faïence, qui finalement n’existent que dans et par le regard méprisant de l’autre et l’échange de mauvais procédés. Ce sont des questions pour les philosophes, ils pourraient se démener et nous dire si les choses existent par elles-mêmes ou si elles ne sont que des arguments de vente qui naissent de la confrontation d’idées fausses. Il faut des philosophes courageux qui ne craignent ni les tyrans ni les fous qui mènent le monde au crash. S’il faut par exemple parler de la place de l’islam dans l’Etat et la société, ils devront le faire en toute clarté et simplicité. Y en a-t-il dans l’avion ? Il y a urgence car le diable ne dort jamais longtemps et les révolutions se dévoient comme rien. La fin des dictatures soulève des montagnes de questions existentielles.
Parlons un peu de l’Algérie. Je sais qu’on se demande ce qui se passe. L’Algérie est un pays révolutionnaire prompt à bondir, or voilà qu’il ne bouge pas. Les Algériens sont-ils déjà morts, tués préventivement ? Pourquoi ce silence, alors que de Nouakchott à Manama la bataille fait rage et que les tyrans capitulent l’un après l’autre. Même la police n’en revient pas : les 12, 19 et 26 février, jours de marches organisées par l’opposition, elle avait sorti 35 000 hommes, les meilleurs, suréquipés, gonflés à bloc, car s’attendant à un tsunami de hooligans. Et qu’a-t-elle vu ? Rien d’effrayant, un petit groupe de personnes d’âge mûr, bien mis, polis, les matraques leur en sont tombées des mains. Il faut dire que le vieux Bouteflika avait pris les devants. Cela faisait des semaines, depuis la fuite de Ben Ali, qu’il arrosait à tout-va. Ce sont des millions de dollars qui coulent du robinet jour après jour. Si on ne s’enrichit pas en ce moment avec papa Bouteflika, on ne s’enrichira jamais, c’est l’astuce du jour, elle brille au fronton des administrations, ouvertes en priorité aux jeunes, aux diplômés chômeurs, aux sans-logis, à tous les mécontents. Il a écrasé son orgueil de chef d’Etat et s’est pris d’amour fou pour ces fainéants, comme il les appelait hier. Il ne travaille que pour eux, les annonces budgétaires se succèdent à feu roulant. Le bonheur revient, la révolution recule. Le prix du pétrole grimpe, ça va, le pays ne sera pas ruiné tout de suite même si l’inflation accourt. Est-ce tout ? Qu’en pense Toufik (1), le grand patron de l’Algérie ? Va-t-il laisser faire ? Est-il derrière les marches d’avertissement à Bouteflika ? Va-t-il le garder comme bouclier, chiffon rouge, attendre que son cancer l’emporte, qu’il démissionne ? Qu’en pense la DST en France, alliée stratégique du DRS (2), a-t-elle encore besoin de M. Bouteflika et sa concorde foireuse ? Si oui, pourquoi le terrorisme, s’étant déplacé au Sahel, ne sévit-il plus en Algérie que sur commande, comme piqûre de rappel ? Et M. Sarkozy, pourquoi le soutient-il encore (3), puisqu’il vient de dire que l’hypothèse islamiste a vécu et la Françafrique aussi ? Ne voit-il pas que l’homme est une potiche qu’on laisse jouer au dictateur pour cacher les vrais pouvoirs, les vrais enjeux ? On sait qu’Obama déteste Bouteflika et Sarkozy, mais ira-t-il jusqu’à actionner l’ANP (4), l’autre grand patron de l’Algérie, pour les sortir du jeu ?
Qui va gagner ? C’est opaque, le jeune Algérien veut savoir avant d’aller mourir dans les rues d’Alger. D’un autre côté, Tunis, Le Caire, Benghazi, Manama, Sanaa, le font rêver, les jeunes s’y battent comme des lions, il fait corps avec eux, via Al-Jezira. La révolution c’est beau, les peuples n’ont qu’elle pour exister, mais la révolution, comme les trains, n’attend pas. De ceux qui ratent la chance de leur vie, on dit ici : «Bobby les a mangés.» Bobby, c’est le chien de garde.
(1) et (2) Le général major Toufik est le patron du Département du renseignement et de la sécurité (DRS), les services secrets, cœur battant du système politique algérien.
(3) Sarkozy avait déclaré durant la présidentielle algérienne de 2008 : «Je préfère Bouteflika aux talibans à Alger.» Il s’adressait évidemment aux généraux algériens, les faiseurs de rois, lesquels s’exécutèrent, après accord de confirmation de la CIA. Bouteflika eut son 3e mandat, avec un score de 94%.
(4) L’Armée nationale populaire, autre cœur battant du système politique algérien. »
Mansour: Que de fois un grand nombre de soit disant experts avaient annonce la mort imminente de Bouteflika et a ce jour ces experts ont été démentis par les faits sur le terrain. Il ne fait pas de doute que Bouteflika est a la fin de sa vie mais apparemment son état de sante n’a jamais ete aussi bien portant que ces derniers temps d’après les rumeurs de la rue a Alger.
Ceci étant dit il ne fait pas de doute que la course au pouvoir est déjà bien lancée pour succéder au départ de Bouteflika. Mais je pense que cette course est pour le moment limitée à la consolidation de l’influence d’une section du régime contre une autre. Nous assistons peut être tout simplement a une lutte d’influence entre tous les actionnaires du pouvoir actuel et rien d’autre.
Comme je te disais dernièrement je crois que le plus grand frein à un développement réellement démocratique en Algérie est le problème culturel qui confronte tous les berbères de la grande et petite Kabylie avec le reste de la société algérienne, qui est fondamentalement de culture arabo-musulmane. Depuis 1962 aucun mouvement d’opposition politique n’a vu le jour a l’est ou a l’ouest de l’Algérie ou les arabo-musulmans dominent a l’extrême a l’exclusion des mouvements islamistes. Et la leçon que l’histoire peut nous apprendre du passe politique de l’Algérie c’est qu’aucun mouvement politique initie par les berbères de la Kabylie n’a eu aucune chance de succès. Par contre les islamistes domines par les algériens qui se disent arabes non seulement on pu mobilise une forte opposition politique au régime du FLN mais a même réussie a s’implanter sérieusement dans les régions du centre de l’Algérie ou les Kabyles dominent. En conclusion je pense que tant que les algériens qui défendent la culture arabe ne se soulèvent pas contre les régimes dictatoriaux, qui en fait étouffent non seulement les régions de la Kabylie mais de toutes les autres régions de l’Algérie je ne crois pas a un changement radical de la vie politique en Algérie. L’exemple que nous donne aujourd’hui même Ghaddafi ne fait que renforcer ce point de vue. Et le régime politique algérien est bien plus puissant que celui de Ghaddafi. Le régime politique du FLN en Algérie est, qu’on le veuille ou pas une base nationale couvrant aussi bien les arabes de l’Algérie mais même une bonne partie des Kabyles de toutes tendances.
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