La partition de L’Inde que les anglais avaient cruellement décrétée en créant le Pakistan avait mis les populations à feu et à sang. Les choses avaient commencé à se calmer mais Gandhi déplorait que les musulmans ne soient pas en sécurité à Delhi ou à Calcutta.
Le Mahatma aurait voulu se rendre au Pakistan porter secours aux hindous et aux sikhs. Il ne pouvait rien faire tant que les musulmans qui vivaient en Inde étaient lésés dans leurs droits.
À Delhi, on chassait les musulmans de leurs demeures pendant qu’à Karachi, la capitale du Pakistan, on assassinait des hindous.
Ne pouvant plus tolérer cette violence Gandhi décida, malgré son état de santé chancelant, d’entreprendre un jeûne complet et sans limite.
Un jeûne à la mort.
Il a pris cette grave décision sans consulter ses médecins et sans l’avis non plus de ses amis Nehru et Patel. Ces derniers lui reprochèrent sa précipitation en lui disant que même si la situation demeurait préoccupante, elle s’était, malgré tout, améliorée. Le Mahatma leur répondit qu’il avait attendu patiemment que les émeutes et les assassinats pour motifs religieux cessent. « Ce n’est qu’après avoir épuisé toutes les ressources que j’ai posé ma tête dans le giron de Dieu… et Dieu m’a envoyé le jeûne. »
Ce jeûne s’adressait à la conscience de tous; il s’adressait autant aux hindous qu’aux musulmans de l’Union indienne qu’à ceux du Pakistan. Gandhi était parfaitement heureux de sa décision. Il savait qu’il pouvait mourir mais il préférait la mort plutôt que d’assister, comme témoin impuissant, à la destruction de l’Inde. Il demandait à ses amis de ne pas accourir à son chevet.
Durant la réunion de prière, il répondit à un fidèle qui lui demandait : « Qui est à blâmer pour ce jeûne? » Le Mahatma répondit : « Personne. Si les hindous et sikhs s’acharnent à chasser les musulmans, ils trahissent leur religion et cela me blesse. Peu importe ce que font les musulmans dans le Pakistan, j’attends une purification complète des cœurs. »
Tous doivent se rappeler le cantique de Tagore:
Si personne ne répond à ton appel,
Marche tout seul, marche tout seul.
Contrairement à ce qu’il acceptait d’habitude lors d’un jeûne, Gandhi refusa de se faire examiner par les médecins. « Je me suis mis entre les mains de Dieu ». Le docteur insista qu’il devait absolument publier un bulletin quotidien sur son état de santé et que se serait mentir de le faire sans l’avoir examiné. Cet argument vint à bout de la résistance du Mahatma. Le docteur constata dès le deuxième jour qu’il y avait des dépôts d’acétone dans son urine. « C’est parce que je n’ai pas une foi assez forte. »
Le troisième jour, il ne pesait plus que 107 livres; il passait le plus gros de son temps recroquevillé sur lui-même en position fœtale le corps et la tête entièrement recouverts de son khadi blanc. Une queue interminable défilait silencieusement à quelques pieds de sa couche. Il trouva la force de dicter une demande au gouvernement de l’Union indienne de payer les 550.000.000 de roupies qu’il devait au Pakistan pour compenser sa part des avoirs de l’Inde.
Le gouvernement paya.
Le quatrième jour, son pouls était irrégulier et son rein ne sécrétait plus d’urine. Les médecins lui dirent que s’il persistait, il en garderait une infirmité permanente. Il répondit : « Dieu est mon seul guide. Je ne crains ni la mort ni une maladie permanente. »
Des centaines de télégrammes arrivaient de tous les coins de l’Inde en provenance de princes, de musulmans, de maharajas, d’hindous, de sikhs, etc. Gandhi éprouva alors un sentiment de satisfaction mais il mit tout le monde en garde. Il ne fallait pas que les gens le trompent en vue de le voir mettre fin à son jeûne.
Le 18 janvier, des représentants de toutes les collectivités se sont réunis pour rédiger un projet d’engagement, signé par leurs partisans, qui puisse satisfaire les exigences de Gandhi. Une fois le document rédigé, ils formèrent un cortège et se rendirent au chevet du Mahatma à Birla House.
Durant la lecture du texte de l’engagement solennel, Gandhi écoutait et approuvait de la tête. À la fin de la lecture, un représentant des hindous vint lui dire que le matin même, une procession de 150 musulmans de Soubzimandi avaient reçu une ovation et avaient été fêtés par les hindous de cette localité.
Très ému, Gandhi leur répondit qu’il ne pouvait pas se contenter que ces engagements soient limités à la seule ville de Delhi. Des musulmans vinrent près de lui et lui assurèrent que les musulmans ne désiraient plus l’extermination des hindous. L’ambassadeur du Pakistan adressa des paroles amicales à Gandhi. Un représentant parlant au nom de la R. S. S. et du Mahasabha hindou demanda avec insistance à Gandhi de mettre fin à son jeûne. Un imminent représentant des sikhs en fit autant…
Après de longues minutes de silence, le Mahatma Gandhi annonça qu’il mettait fin à son jeûne.
Le lendemain, le ministre des affaires étrangères du Pakistan informa le Conseil de Sécurité des Nations Unies qu’une nouvelle et terrible vague de bonne volonté pour l’amitié entre les deux peuples traversait le continent en réponse au jeûne.
Cette partition demeure une coupure malsaine à travers le cœur de l’Inde mais Gandhi aura réussi à réduire les tensions entre les deux dominions.
En allant au devant de la mort, Gandhi avait conclu un nouveau bail avec la vie.
Suite : Ses luttes