Entre temps, à la fin mai, Gaston Laurion rejoint Claude et lui demande de l’accompagner à Cuba, à ses frais. Il veut faire une présentation à Fidel pour la vente de tracteurs Cockshutt. Claude hésite et demande à Laurion s’il ne pouvait pas remettre cette visite d’un mois afin qu’ils soient ensemble à Cuba lors de l’arrivée du bateau qui transporte les jouets. Laurion lui dit que le tracteur qu’il a remis à Fidel Castro, lors du dîner des hommes d’affaires, arrive à Cuba dans quelques jours avec les 1,500 tracteurs miniatures. Il lui apprend qu’avec le concours des autorités cubaines, le tracteur sera installé devant l’Habana Hilton. Il croit que le moment est propice pour sa présentation et veut que Claude l’aide à rencontrer Fidel Castro. Claude ne peut refuser une telle demande de la part de Laurion, le président honoraire exceptionnel, généreux et présent qui l’a tant aidé. Ils se rendent à La Havane et logent au Habana Hilton.
En arrivant, ils constatent que le tracteur est déjà installé sur un promontoire devant l’hôtel. Il semble plus gros qu’il ne l’est en réalité. Une plaque annonce que c’est un don du Canada suite à la visite de Fidel Castro à Montréal. En arrivant, Claude part à la recherche de Teresa Casuso. Personne ne sait où elle est. Il cherche Jinez Jesus Pelletier, mais il est toujours avec Fidel. On se ne sait où il est ni où il dort quand il est à La Havane, malgré qu’il ait une suite au Habana Hilton. Ce sont les journaux qui rapportent où il était la veille. Claude se rend au bureau officiel du Premier ministre. Une secrétaire lui apprend qu’il ne vient jamais à cet endroit et elle s’offre à lui faire visiter le bureau. Il accepte et entre dans un bureau richement décoré où, de toute évidence, il ne se passe rien puisque le dessus étincelant du bureau est libre de tous documents ou papiers. C’est un peu comme un musée, pense Claude. Mais où est-il ? Comment le rejoindre ? Il retourne à l’hôtel en fin d’après-midi et rencontre, par hasard, Teresa Casuso dans le lobby. Elle est surprise de le voir et l’invite à sa suite. Quelques personnes sont là et elle fait les présentations, Elle parle en bien de la visite à Montréal. Claude lui explique le but de sa visite. Elle accepte d’en parler à Fidel et le rappellera à sa chambre. Ce qui fait l’affaire de Laurion.
Cuba a bien changé depuis sa première visite: plusieurs compagnies ont été nationalisées dont la Compagnie de Téléphone de Cuba; la constitution de 1940 a été réinstallée (elle avait été suspendue par Batista); le projet de loi de la réforme agraire a été accepté et inclut l’expropriation de 1000 acres (le roi du sucre pensait que ce serait 400) de terres agricoles et rend illégal la possession du sol cubain par les étrangers; Che Guevara a fait, au Caire, les premiers contacts officiels avec l’Union soviétique; des projets pour assassiner Fidel sont dévoilés et tous ses déplacements sont secrets; les projets de négociations avec les USA ne se réalisent pas et les relations entre les deux pays se refroidissent; les communistes cubains prennent de plus en plus d’importance dans l’entourage de Fidel et cela déplait à un grand nombre de ses anciens compagneros. Fidel Castro et son gouvernement révolutionnaire en ont plein les bras.
Le lendemain matin, Claude reçoit l’appel. C’est Teresa Casuso qui lui annonce que Fidel les verra à leur chambre mais qu’ils devront attendre son arrivée. Un jour, deux jours, trois jours passent… pas de nouvelle. Ils ne sont pas sortis de leur chambre respective (heureusement qu’elles sont adjacentes et qu’une porte intérieure les relie) et y on fait venir tous les repas. Le quatrième jour Claude n’en peut plus. Il fait toujours un beau soleil et le thermomètre touche les 85 degrés fahrenheit le jour. La chambre a beau être climatisée, elle devient petit à petit une prison pour lui. Il veut aller à la piscine, Laurion refuse. «Et si Fidel venait à ce moment précis», dit il, «on manquerait notre chance». Claude appelle la suite de Teresa Casuso, pas de réponse. Les journaux quotidiens annoncent que Fidel est à Santiago un jour; ou à Pinard Del Rio, un autre; ou encore à Santa Clara quand ce n’est pas à La Havane. Il est partout sauf dans la chambre de Claude. Le soir du quatrième jour, Laurion annonce qu’ils repartiront pour Montréal dans deux jours car son commerce l’appelle. Claude croit que c’est une bonne affaire car il craint que son patron n’aime guère le voir aussi souvent absent de son travail. Claude part à la recherche de Teresa Casuso. Au lobby il cherche de l’aide de tous. Finalement, un assistant-gérant lui apprend qu’elle rentre à l’hôtel normalement vers 16h00. Il l’attend. Il l’aperçoit. Elle est surprise qu’il soit encore là. Il lui raconte ses derniers jours. Elle est désappointée car elle était certaine que Fidel tiendrait sa promesse. Elle s’informera à nouveau. Le soir, elle lui annonce que ce ne sera pas possible car Fidel sera en dehors de La Havane pour quelques jours.
Il leur reste une journée pour se la couler douce. Piscine, visites, dîner au grand restaurant «Monseigneur»… la journée se termine par le fameux spectacle du Tropicana qui émerveille Claude. Le lendemain, ils quittent La Havane vers Miami, où Laurion veut passer une journée à son hôtel préféré l’«Americana». Puis c’est Montréal et ils rentrent bredouille. Ils viennent d’apprendre que ce n’est pas une mince tâche de rencontrer Fidel Castro dans son pays. Claude ne saura jamais ce que le futur réservera à la compagnie Cockshutt et le projet de Gaston Laurion à Cuba.
Le nouveau président international de la JCI passe à Montréal pour remettre à la Jeune Chambre de la Métropole un magnifique trophée dans lequel est incorporée de la terre de Cuba. Il provient de la Chambre des Jeunes de La Havane en reconnaissance du succès de la campagne du jouet cubain. Jean-Paul Lucchési, l’organisateur général, présente son rapport final qui indique que plus de 20,000 jouets ont été collectés comptant ceux de la compagnie Cockshutt. La campagne a coûté 5,211$ et s’est terminée par un surplus financier de 451$.
En fin juin 1959, le bateau arrive du Canada et accoste au quai du port de La Havane. Le 2 juillet, le capitaine Federico Causo du Rydboholm offre à bord une réception officielle à une délégation cubaine dirigée par le président national des Jaycees de Cuba, Guido R. Odio, et à la presse de La Havane. Tous les représentants des médias sont là. L’arrivée des jouets reçoit un battage publicitaire exceptionnel. La nouvelle fait la une des quotidiens de La Havane et se répand dans tout le pays. On rappelle aux Cubains la visite de Fidel Castro au Canada à l’invitation de la Chambre de Commerce des Jeunes du district de Montréal. Plus tard, Odio fait parvenir à Claude Dupras les découpures de journaux, dont celles de El Avance Criollo, El Pais, Prensa libre, Revolucion, Diaro de la Marina, El Mundo, Informacion, Vida Economica, etc… Elles comprennent de magnifiques photos montrant les boîtes de jouets étant déchargées sur le quai devant un groupe d’une cinquantaine de membres de la Jeune Chambre de La Havane. Odio lui écrit: « We contacted The instituto Nacional de Reforma Agraria” and we expect to be able to deliver the toys to Dr. Fidel Castro in person sometime this coming week. I am sure that your chapter will like to have a picture of Dr. Castro at the time of eceiving the toys. I believe that this will be the best way in which the Cuban people will show their appreciation to yours and its recognition to your chapter and all the fellow Jaycees which in one way and another did a terrific job in their campaign in raising toys ».
Le 14 juillet 1959, à la Havane, Juan A. Orta, directeur général du bureau du Premier ministre de Cuba écrit à Claude Dupras, président de la Chambre de Commerce des Jeunes du district de Montréal:
Dear Mr. Dupras,
On behalf of Prime Minister Fidel Castro, I wish to thank you for your very kind letter of May 5, in which you thanked him for his visit to Montreal.
We are indebted to you much more than you to us. It is we who have to thank you for the invitation extended to him and for the cordial reception you accorded him in Montreal.
But we also wish to take advantage of this opportunity to express our gratitude to you Chamber of Commerce and the good people of Canada for your generous gifts, especially the toys for our destitute children.
May your great nation enjoy peace, prosperity, and happiness always.
Yours very cordially,
Juan A. Orta
La campagne du jouet cubain est terminée.