Les hommes d’affaires


La réception a lieu dans un des salons de l’hôtel et les hommes d’affaires présents attendent impatiemment le chef cubain. Claude et Teresa Casuso avaient imaginé cette rencontre dans le but de favoriser des opportunités d’affaires avec le nouveau gouvernement cubain. Les hommes d’affaires de Montréal, du Québec et du Canada peuvent sûrement y trouver leur compte, pensait Claude. Fidel a justement parlé, à sa conférence de presse, de la nécessité de capitaux étrangers pour relancer l’économie de son île. Sans compter sa promesse d’une réforme agraire en profondeur afin d’assurer l’expansion de son pays. Les quelques 75 invités présents l’accueillent chaleureusement. Claude et Jean-Charles Asselin, le président de la Chambre de Commerce de Montréal, font les présentations de chaque invité au chef révolutionnaire. Il est en bonne forme malgré toutes les activités de sa journée qui a débutée à Boston. Il maintient sa bonne humeur, sa vigueur et exprime sa joie en rencontrant chacun. Cependant, il a froid et un barbudos va chercher sa vareuse de combat. Ayant vécu si longtemps dans la Sierra Maestra de Cuba, il n’est pas habitué à l’air climatisé.

Les invités comprennent: Edward Culkin, président du Junior Board of Trade; Horace Boivin, maire de Granby; René Thomas, président de Collet Frères Ltée; A. L. Ormiston, surintendant de la Banque de Nouvelle Écosse pour le Québec; R. E. Harrison, assistant gérant général de la Banque Canadienne de Commerce; Me Raymond Daoust, avocat; Georges E. Bernard; Jean Raymond, président de la maison Alphonse Raymond Ltée; Louis Lévesque, président du Crédit Interprovincial; Roland Bock, de Bock et Tétrault; Marc Dhaver, président de Sicard Inc.; Andrew McNaughton; Louis-A. Lapointe, vice-président de Miron et Frères; A.T, Roblin, gérant de district de l’Imperial Oil Company of Canada; Raooul Florez, consul de Cuba; Étienne Crevier, de la Prévoyance; J. S. Elliott, directeur de la mise en marché chez Cockshutt Farm Equipment Ltd; Armand Dorais de la Banque Provinciale du Canada; Paul Deguise, ingénieur-conseil; T. R. McLagan, président de la Canada Steamship Ltd; G. M. Hobard, président de la Consolidated Paper Co. Ltd; L. S. Severson, de la Québec Cartier Mining; Paul Dufresne, président de la Dufresne Engineering; E. H. McCateer, chaiman du bureau des gouverneurs du Montreal Stock Exchange; L. R. Champion, chairman du conseil d’administration de la Prudential Trust Co; Robert F. McCuen, de la Canadian Engineering International; John D. Vago; R. C. Tees président de la Guardian Trust Co.; Ignace Brouillet, ingénieur conseil; Gaston Jouven, président de A. Janin & Cie; G. Arnold Hart, président de la Banque de Montréal; Russel T. Black, gérant de Overseas Business; Stephen G. Harwood, président de la Canadian Car Company Ltd; Georges Clermont; J. M. Courtright, de la Shell Oil of Canada; Joseph Simard, président de Marine Industries Ltd; Harry Vallee, vice-président de Montreal Locomotive Works; V. E. Johnson, président de la Canadian International Paper; Gérard Miron, et Adrien Miron co-propriétaires de Miron et Frères; Jack Stirling; Thomas-Louis Simard, entrepreneur et investisseur; son frère Fridolin Simard, président de la chambre de Commerce de la Province de Québec, H. C. Hayes du Board of Trade; Louis Saniensis, Carlos Quijano et plusieurs autres.

La réception terminée, tout le monde passe à table. Fidel doit avoir grand faim puisque Claude ne l’a pas vu boire ni manger depuis son arrivée vers 15h00. Il est 20h30. Fidel prend place à la table d’honneur avec Claude qui préside le dîner. Les autres personnes sont Gaston Laurion, Rufo Lopez Fresquet, Jean-Charles Asselin, et des membres du comité de direction de la Jeune Chambre. Fidel a toujours froid et garde son épaisse vareuse bien boutonnée et le col collet relevé. Le chef cuisinier de l’hôtel a pris la peine d’obtenir de celui du Habana Hilton des informations sur les mets préférés de Fidel. Il lui a préparé un roastbeef exceptionnel qu’il découpe en épaisses tranches. Fidel est épaté de ce plat copieux et le dévore goulûment. Avant le dessert, Gaston Laurion et J. S. Elliott, représentant de la compagnie Cockshutt lui ont réservé une surprise. Ils se lèvent et tirent un long rideau qui cache une bonne partie du salon. Fidel et les invités aperçoivent alors un immense tracteur de ferme. C’est un cadeau pour son programme de réforme agraire. Fidel est enthousiaste. Il va vers le lourd appareil, monte dessus, s’assoit sur le banc et place ses mains sur la roue de conduite feignant de le diriger. C’est vraiment une scène drôle et surprenante. Les photographes s’amusent à tirer d’autres photos sous le regard satisfait de Fidel. Le tracteur sera envoyé par la compagnie à La Havane. De plus, Laurion et Elliott lui annoncent qu’ils remettront 1,500 tracteurs miniaturisés à la Jeune Chambre, pour la campagne du jouet cubain. Ils sont contrôlables à distance par un fil raccordé à une manette (ce genre de contrôle est une nouveauté). Ils lui en remettent un exemplaire et Fidel, comme un gamin, se lève de table et dépose le tracteur miniature au sol, à l’arrière de la table d’honneur. Un genou au sol il joue à le faire avancer, tourner et reculer. Claude est accroupi près de lui et en se levant la tête il aperçoit les visages réjouis des invités qui regardent Fidel s’amuser. C’est sûrement la première fois que ces hommes d’affaires, habitués à ce genre de dîner-conférence, voient l’invité d’honneur agir comme un petit garçon.

Puis, c’est le temps des discours. Gaston Laurion présente Fidel aux invités. Celui-ci parle durant 45 minutes et s’efforce à décrire ses objectifs et ses actions. Il redit beaucoup de choses qui ont été dites à la conférence de presse. Pour terminer, Claude invite le ministre des Finances de Cuba, Rufo Lopez Fresquet, à dire quelques mots. Celui-ci parle un meilleur anglais que Fidel et semble avoir une compréhension de la langue française. Il se dit enchanté de se retrouver dans la grande métropole canadienne et de pouvoir rencontrer des joueurs importants de l’économie du Canada. Il rassure son auditoire que le gouvernement révolutionnaire cubain a commencé à exercer un contrôle serré sur l’économie cubaine et ce, avec succès. Fresquet annonce que dans ses premiers cent jours, le gouvernement a été en mesure de payer toutes les dépenses courantes à partir des revenus courants et a entamé le remboursement des dettes engagées par le régime Batista. «Nous agissons avec intégrité non seulement moralement mais aussi économiquement» dit-il en ajoutant «Cela veut dire que nous collectons 100 centimes pour chaque peso dû en taxes et utilisons 100% de tous les pesos pour les travaux publics». Il continue «dès la fin de l’année notre économie devrait montrer des signes de croissance et après nous souhaitons que notre développement sera tel que Cuba deviendrale Canada du sud des États-Unis». Il décrit l’économie cubaine et les options de développement qui s’offrent à son pays et, en terminant, invite les hommes d’affaires canadiens à venir à Cuba pour découvrir les occasions d’affaires qui s’offrent à eux.

Le dîner se termine sur ces mots et Claude est bien content de la réaction des hommes d’affaires qui le remercient chaleureusement de l’opportunité que la Jeune Chambre leur a offerte de rencontrer les dirigeants du nouveau gouvernement de Cuba. Puis, les «faux membres», qui attendaient dans le corridor, entrent et forment le «noyau» autour de Fidel et Claude pour les diriger au hall d’ascenseurs et à la suite royale. Le corridor est bondé de monde et sans le «noyau» Claude se demande comment ils auraient pu rejoindre l’ascenseur.