Au 20ième étage la porte s’ouvre et tous se dirigent vers la suite royale déjà remplie de monde dont Manon et les membres du comité de direction de la Jeune Chambre. Il se dégage une odeur de cigare car pas moins d’une vingtaine de personnes en fument à ce moment là. Fidel se dirige vers un fauteuil, enlève sa vareuse de commandant de l’armée révolutionnaire, de couleur vert olive, s’assoit et s’allume un long cigare cubain, C’est un cohiba, le meilleur des cigares cubains. Il en a plusieurs dans ses deux poches de chemise ainsi que de nombreux télégrammes. Au milieu de ce brouhaha, il lit ses messages. Claude est près de lui car il veut le convaincre de partir pour l’hôpital. Il s’apprête à intervenir lorsque la ministre de la santé l’approche et lui demande quand a lieu le départ pour l’hôpital. Claude l’avise que Fidel ne veut pas y aller. Elle se retourne, se dirige vers Fidel, se place carrément devant lui, se penche en appuyant ses deux mains sur les bras du fauteuil et lui parle directement dans les yeux. Elle a de la pogne cette femme, se dit Claude. Elle se relève mais Fidel ne bouge pas. Elle recule et attend patiemment.
Tout d’un coup, il se lève, met sa vareuse, aperçoit Claude et lui dit « Hospital… ». En un temps deux mouvements le « noyau » se prépare. Heureusement, Claude avait prévu le coup en demandant à Lucchési de s’assurer que l’escorte policière soit disponible ainsi qu’un nombre suffisant d’automobiles pour le transport. Il est 16h30. Un appel confirme que l’hôpital attend. En sortant de l’hôtel, la foule est encore sur les trottoirs et reprend ses acclamations de plus belle. Fidel la salue de loin. L’escorte part en direction de l’hôpital Sainte-Justine. Une vingtaine de journalistes et photographes cubains sont de la tournée. Madame la ministre est assise près de Fidel et Claude est encore sur son petit banc. Elle lui explique ce qu’est cet hôpital pour enfants. Il écoute attentivement. L’escorte emprunte le chemin de la Côte-des-Neiges et le bruit strident des sirènes indique aux passants que c’est Fidel Castro qui passe. Tous ont une réaction enthousiaste. Fidel est épaté par la chaleur qu’il perçoit chez les Montréalais et les Montréalaises. Quelques centaines de personnes sont devant l’hôpital. Il serre quelques mains. Les « bravos » fusent. Des journalistes et des photographes canadiens sont là. Il entre dans le grand lobby et aperçoit, à droite, la file des dirigeants de l’institution qui l’attendent. Tous sont debout sauf Madame Beaubien qui est assise. Claude fait les présentations mais quand arrive celle de madame Beaubien, c’est madame la ministre de la santé de Cuba qui s’en occupe. Fidel lui parle longuement et tient ses deux mains dans les siennes. Il la quitte en la caressant doucement sur la tête avec sa main droite. Il est charmeur cet homme. Le tour de l’établissement sera mené par quatre guides dont l’une de langue espagnole. À chaque département, Fidel parle aux infirmières, aux médecins, inspecte des équipements hospitaliers et se prête de bonne grâce aux photographes qui veulent le prendre avec les enfants rassemblés dans chaque salle. Les photographes s’en donnent à cœur joie. Des photos extraordinaires s’offrent à eux : Fidel et des enfants malades qui affichent de beaux grands sourires. Ces photos feront le tour du monde et l’hôpital Sainte-Justine verra sa notoriété mondiale augmentée et Fidel, son goodwill.
Tout va très bien, mais Fidel n’est pas un visiteur comme un autre. Il n’aime pas se faire diriger et subir des situations préparées d’avance. Claude à l’impression qu’il croit que cela manque de naturel et a pour but d’embellir les choses. Il veut voir l’hôpital tel qu’il est normalement. Après une vingtaine de minutes du tour organisé, en passant près d’un escalier, il l’emprunte sans avertissement et monte les marches quatre à quatre. Claude le suit ainsi que quelques journalistes et photographes. Le voilà rendu dans le département de gynécologie, section des accouchements. Les gardes sont toutes surprises de le voir arriver à l’improviste. Il met un doigt verticalement sur la bouche comme s’il disait « chuttt… » en voulant dire continuez à faire ce que vous avez à faire, je ne veux rien déranger. Il entre dans une chambre et trouve une nouvelle maman qui a accouché la nuit précédente. Elle allaite son enfant. Elle est sidérée de voir Fidel Castro dans sa chambre. Son infirmière arrive subitement pour lui expliquer ce qui se passe et la maman est comblée et flattée de ce moment qui sera inoubliable. Elle montre son bébé à Fidel. Il la quitte en lui embrassant la main et entre dans une autre chambre. Cette fois, c’est une patiente d’origine sud-américaine et Fidel apprécie de pouvoir lui parler dans sa langue. La femme est éberluée. Il la quitte dans les mêmes circonstances. À ce moment là, les guides sont de retour auprès de lui et comme ils sont à proximité d’un département qu’ils voulaient lui faire voir il accepte de bonne grâce, avec un sourire malin qui veut dire : « Ha ! Ha ! Je vous ai eus, n’est-ce pas ? ». Malheureusement, le temps avance et la conférence de presse est fixée pour 17h30 et il est déjà cette heure. Claude lui indique sa montre et Fidel acquiesce. Il faut partir. Les guides ramènent le groupe au lobby où les dirigeants attendent. Avant de partir, il leur dit quelques mots : « Merci, de votre accueil. Félicitations pour votre magnifique hôpital qui est un bel exemple de la qualité de ceux que je veux construire à Cuba. Cette visite m’a rendu un grand service ». Madame Beaubien est en pleurs. La ministre de la santé de Cuba est fière et ravie de son initiative. Les visiteurs quittent et l’escorte policière les ramène à l’hôtel pour la conférence de presse.
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