La basilique, la mort, la canonisation


En 1927, Mgr Gauthier autorise la construction de la basilique. En 1937, le moine dominicain français dom Bellot, architecte religieux mondialement renommé s’implique dans le projet. Ce dernier meurt à Montréal en 1944 et le projet de l’Oratoire tombe alors entre les mains d’un de ses disciples dom Claude-Marie Côté, Canadien français, diplômé en architecture des Beaux-arts avant sa vie religieuse qui termine le projet.

C’est à cause de la sincérité du frère André, de sa simplicité et de ses convictions que ses supérieurs acceptent, dès le début, son projet. Sa dévotion à Saint-Joseph le guide. Il aime Dieu. Il prie avec émotion et ceux qui l’entendent raconter la Passion du Christ et le voient faire le chemin de la croix en reviennent bouleversés. Il demande toujours aux gens de prier et garde toujours l’humilité de son enfance. Il ne prend jamais crédit pour son œuvre, au contraire, il se cache derrière le chœur pour prier en solitaire lors des grandes célébrations.

En 1931, la grande crise économique force l’arrêt des travaux de la basilique. Les autorités de la congrégation Sainte-Croix se voient obligées d’arrêter le projet et de l’abandonner. Le provincial convoque le frère André pour lui annoncer la mauvaise nouvelle. Il répond: «Ce n’est pas mon œuvre, c’est l’œuvre de Saint Joseph. Mettez donc une de ses statues au milieu de l’édifice en construction. S’il veut se couvrir, il y veillera». Deux mois plus tard, la congrégation a en main l’argent nécessaire pour reprendre les travaux.

Ma famille est comme les autres de Montréal. La foi de mon père en St-Joseph et sa vénération pour le frère André sont sincères et profondes. Il nous entraîne souvent, mon frère et moi et plus tard ma soeur, à l’Oratoire, pour demander des faveurs et achète des lampions qu’il fait brûler en témoignage de sa dévotion. Le nombre de ceux-ci est directement proportionnel à l’importance de la faveur demandée. Il gravit à genoux le grand escalier de bois en avant de l’Oratoire, en récitant à chaque marche une prière à St Joseph. Sa foi semble récompensée, car il s’exclame souvent : « Merci, Saint-Joseph ». De plus, il achète des statuettes miniatures en métal à l’effigie de St-Joseph, d’à peine deux pouces de hauteur, qu’il place ici et là dans la maison pour protéger sa famille, de même que des bouteilles de l’huile de Saint-Joseph, la même qu’utilise le frère André pour frictionner ses visiteurs, pour traiter ses rhumatismes et au cas où sa famille en aurait besoin.

Pour financer la construction de la Basilique, les autorités de l’Oratoire ont imaginé toutes sortes de stratagèmes, entre autres, d’identifier chaque immense pierre d’un numéro et de les mettre en vente. Mon père en achète deux, dûment numérotées et localisées et c’est avec beaucoup de fierté qu’il appose au mur de sa «barbershop» le certificat attestant qu’il les a payées et qu’elles ont bien servi à la construction de l’Oratoire. À mon frère, il remet un grand cahier à colorier dans lequel sont reproduits en croquis tous les plans de l’Oratoire, y compris ceux de la future basilique et du dôme. À ma soeur, un magnifique chapelet. Pour moi, c’est un ensemble de petits panneaux en carton qui, montés et collés, représentent en trois dimensions tous les bâtiments de l’Oratoire, sur une hauteur de plus de seize pouces. Mon père est bien loin d’imaginer que son fils, un jour, travaillera au bureau d’ingénieurs responsables des plans de chauffage de la basilique dont le panneau radiant incorporé dans le plancher pour le confort des pèlerins.

Je garderai longtemps cette croyance et cette ferveur au point qu’au début de ma pratique d’ingénieur-conseil, dans les années ’50, j’allais à l’Oratoire prier et faire des promesses de neuvaines si j’obtenais tel ou tel mandat. Souvent mes demandes se réalisaient et à mes collègues-compétiteurs qui me demandaient comment j’avais pu obtenir ces contrats, je leur répondais: «Ah! si seulement tu savais…». C’est la foi que nous avions alors !

Comment expliquer le mouvement extraordinaire vers l’Oratoire Saint-Joseph et la conviction profonde d’un si grand nombre de personnes que le frère André était un guérisseur, un thaumaturge ? La première guerre mondiale où tant d’innocents Québécois sont morts, la grippe espagnole qui a ravagé notre société et le «crash» économique qui a engendré un chômage général et accentué la pauvreté des familles, sont tous des phénomènes des années ’20 et ‘30 qui poussaient les gens à se retourner vers le frère André et l’Oratoire Saint-Joseph pour y chercher consolation, espoir et espérance dans la prière. Ils étaient une réponse aux besoins spirituels du temps.

Le frère André est mort le 6 janvier 1937. Un ami qui l’accompagnait dans ses visites dira: «Il a passé sa vie à parler des autres au bon Dieu et du bon Dieu aux autres».

Près d’un million de personnes lui ont rendu hommage aux différentes cérémonies religieuses et cela malgré le temps frigide qui balayait Montréal ces jours-là. Les autorités ont permis que les gens puissent le toucher dans sa tombe durant les 6 jours et nuits pendant lesquels il a été exposé à l’Oratoire. Un premier service funèbre a eu lieu à la cathédrale Marie-Reine-du-Monde et un second à l’oratoire Saint-Joseph. Il est inhumé à l’Oratoire et depuis, des milliers de personnes annuellement s’agenouillent devant la pierre de granit qui couvre sa tombe, la touchent et prient. De même devant son cœur qui a été extrait de son corps et déposé dans une boite vitrée.

Le 23 mai 1982, le pape Jean-Paul II l’a déclaré bienheureux lors d’une cérémonie sur la place de la cathédrale St-Pierre de Rome et a fait un long discours en français pour rendre hommage au frère André rappelant son humilité, sa piété et son œuvre. Ce fut très émouvant à écouter.

Le 17 octobre 2010, le pape Benoit XVI le canonisa sur la même place et il est devenu un saint connu sous le nom de Saint Frère André, le quatrième québécois à être canonisé. Ce jour, auquel j’ai assisté à Rome, en fut un de joie et de fierté pour le Québec.

Celles qui l’ont précédé sont :

Sainte Marguerite Bourgeoys, missionnaire, cofondatrice, administratrice, enseignante, religieuse et « Mère » de la Nouvelle France, elle a mis sur pied la première école de Montréal visant à éduquer les Filles du Roy. Elle a été canonisée en 1982.

Sainte Marguerite d’Youville, a été la première personne née au Canada à être canonisée. Elle a fondé la congrégation des sœurs grises. Véritable exemple de foi et de courage, elle a consacré sa vie à aider les plus pauvres. Elle a été canonisée en 1990

Sainte Kateri Tekakwitha est née dans l’État de New York d’une mère algonquine chrétienne et d’un père iroquois. Elle a vécu les dernières années de sa vie dans la région de Montréal, à Kahnawake. Elle est la première femme amérindienne à être déclarée sainte et fut canonisée par le pape Benoît XVI en 2012.

Bientôt, à l’automne 2014, le Québec aura deux autres saints, soient: Mgr François de Monmorency-Laval qui a été le tout premier évêque de Québec, de 1674 à 1685 et mère Marie de l’Incarnation (née Marie Guyart) qui a fondé le couvent des Ursulines au début de Nouvelle-France, en 1639 dans la ville de Québec.

En terminant, je veux rappeler la phrase du frère André: «Quand je serai mort, je vais être rendu au ciel, je vais être bien plus près du bon Dieu que je ne le suis actuellement, j’aurai plus de pouvoir pour vous aider».

Il a été un homme de chez-nous, enraciné dans notre sol.

Claude Dupras

Voici l’album de photos de la canonisation du Saint Frère André:  Canonisation du Saint Frère André