Mardi 8 juin 2010
Le Vietnam, un État policier : Nouvelle arrestation de Lê Thi Công Nhân
Il est 17h00. C’est le 28 mai 2010. Je suis à Hanoi, au Vietnam. Je reviens à l’hôtel Moevenpick où nous logeons, mon épouse et moi, après avoir visité le musée de la littérature. J’aperçois dans la vitrine du « Highlands Coffee », qui est voisin de l’hôtel, une enseigne qui offre le « free wifi ». J’y vais seul pour lire mes emails, avec mon ipodtouch,
J’opte pour un fauteuil à droite de l’entrée du café près d’une grande vitre qui donne sur l’intersection des rues avoisinantes. Au moment où je m’installe, j’aperçois une jeune dame dans la trentaine qui semble convoiter le même siège. Je lui offre avec plaisir et elle me remercie avec un léger sourire. Je m’installe finalement au centre du café dans un fauteuil, face au bar. La jeune dame est à ma gauche, un peu en arrière de moi, et je dois tourner la tête et légèrement le corps pour l’apercevoir. Mais je l’oublie vite car je me concentre sur ce que me révèle mon ipod.
Une dizaine de minutes plus tard, quelqu’un touche à mon épaule. Je me retourne, c’est la jeune dame. Elle me donne vite une serviette blanche de papier pliée en deux et sans dire un mot retourne à sa place. Surpris, je la regarde, mais elle m’évite et son regard est fixé vers l’extérieur. Elle est petite, le visage un peu grassouillet et porte des verres noirs. Elle a un air intelligent, déterminé mais semble quelque peu préoccupée. Elle est calme.
Je déplie la serviette et y trouve un message écrit de sa main sur un mémo jaune. Je lis : « I’m Lê Thi Công Nhân. U can find (sth…) about me on Internet. I’m under house arrest now (3 years after 3 years in prison). The secret polices are around this coffee shop and I should be arrested again. Pls inform about this to US embassy, EU, Human Rights Watch. Thanks a lot.”
Stupéfait, je ne bouge pas, je glisse vite le mémo dans mon portefeuille. Je la regarde quelque peu mais elle m’évite toujours. Je n’ai jamais entendu parler de cette personne. Je décide de rester dans le café et attendre la suite des évènements. Je recherche par mon ipod qui elle est mais je ne trouve rien (je faisais une erreur avec son nom). Quelques minutes plus tard, trois jeunes hommes et une jeune fille habillés en civil, à l’allure policière, entrent dans le café et s’assoient, sans brouhaha, avec la jeune dame. Je les regarde brièvement. Ils engagent une conversation avec elle, mais elle semble ne répondre que par signes de têtes. Elle a l’air triste et demeure calme.
Que faire ? Au bout de dix minutes, je quitte le café et j’aperçois à l’extérieur au moins un autre policier en civil qui me suit de l’œil.
De retour à l’hôtel, je vérifie sur internet qui est Lê Thi Công Nhân. Google me dit: « Lê Thi Công Nhân est bien connue dans les milieux dissidents au Vietnam en tant qu’avocate au franc-parler pour les droits de l’homme. Elle a été interrogée par « Voice of America » et « Radio free Asia »: là et ailleurs, elle a appelé au respect des droits de l’homme dans son pays.
Arrêtée le 6 Mars 2007 par la sécurité de la police de Hanoi et jugée par la Cour Populaire de Hanoi le 11 mai 2007. Lê Thi Công Nhân a été condamnée à quatre ans d’emprisonnement, en vertu de l’article 88 du Code pénal, pour « propagande contre l’État » (le parti communiste). Sa peine fut réduite d’un an suite à un appel le 27 Novembre 2007, bien que sa peine supplémentaire d’assignation à résidence en liberté de trois ans n’ait pas changé.
Amnistie Internationale la considère comme une prisonnière d’opinion et a demandé alors sa libération immédiate et inconditionnelle.
Elle fut libérée le 6 mars 2010, après la fin de sa sentence, mais arrêtée à nouveau pour trois heures le 9 mars sous prétexte qu’elle avait violé les conditions de son assignation à résidence. »
Je suis le seul qui sait qu’elle vient d’être arrêtée à nouveau. Dois-je avertir immédiatement les gouvernements ou organismes tel qu’elle me le demande dans son mémo ? Je m’informe auprès de personnes locales sérieuses et on me conseille de ne rien faire pour l’instant car cela pourrait me créer des embêtements avec le gouvernement Vietnamien puisque je serai encore huit jours au Vietnam et de n’en parler à personne car le parti a ses informateurs, qu’ils soient guides, etc… Je décide de suivre ce conseil et d’agir dès ma sortie du pays. C’est ce que je fais par ce présent blog et par les messages que j’ai fait parvenir selon les désirs de Lê Thi Công Nhân.
Le parti communiste du Vietnam est le dictateur du pays. Il compte comme membres seulement 3% de la population et pour le joindre il faut avoir de bons contacts car n’entre pas qui veut dans cette « gang ». Il contrôle l’armée, la police et le gouvernement. L’homme le plus fort du pays est le secrétaire général du parti communiste et non le président. Il n’y a pas d’élection dans ce pays. Tous les membres du gouvernement et les bureaucrates sont communistes. Il est reconnu qu’ils font preuve de corruption et sont accusés d’incompétence à cause de leurs fréquents changements de décision.
Pourtant le développement économique du pays est réel et rapide. D’un des pays les plus pauvres d’Asie, il est devenu aujourd’hui un pays dynamique et son taux de pauvreté a diminué de dix fois. C’est depuis 1987, année où le parti communiste a décidé d’accepter l’économie de marché, que tout a changé. Il s’est finalement rendu à la demande du Vietnamien moyen, particulièrement celui du sud, qui est un individu entreprenant et qui veut à tout prix réussir à bien gagner sa vie. Depuis, de petites et grandes entreprises de toutes sortes fourmillent de partout.
Actuellement, les Vietnamiens tolèrent le parti communiste car l’environnement économique de leur pays leur permet de faire des affaires et des sous. Il y a aussi le fait que le Vietnam a vécu 5 guerres contre des pays étrangers durant les 100 dernières années et les a toutes gagnées. Le peuple vietnamien demeure reconnaissant à Ho Chi Minh et à son parti communiste pour avoir bien mené ces batailles et obtenu l’indépendance de leur pays.
Mais cela ne change pas le fait qu’il y a contradiction entre politiques communistes et politiques démocratiques. En général, les Vietnamiens sont heureux de bénéficier de libertés sociale, économique et religieuse mais surpris que les dirigeants du pays emprisonnent ceux qui veulent la liberté de parole. Plusieurs estiment que le parti communiste est suffisamment fort dans l’opinion publique pour permettre que des personnes comme Lê Thi Công Nhân, qui est très connue, puissent s’exprimer librement sur l’organisation politique de leur pays. Même si pour eux, la notion des droits de l’homme n’a pas l’importance que nous lui donnons puisqu’ils pensent que ce sont plutôt les devoirs du citoyen qui priment dans la société, ils ne comprennent pas pourquoi ceux qui les défendent ne puissent le faire.
Cela démontre que le parti communiste vietnamien est une « gang » au pouvoir qui ne veut d’aucune façon risquer de le perdre. Tant que le Vietnam demeurera un État policier, il n’aura pas la crédibilité requise pour accéder au rang qu’il mérite sur la scène internationale.
J’espère que les organismes internationaux s’uniront pour plaider à nouveau la cause de Lê Thi Công Nhân afin qu’elle soit libérée.
Claude Dupras
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