Le vieillard émacié que l’imagerie populaire a véhiculé partout en Occident fait oublier que Gandhi n’a pas toujours été cet ascète pieds nus dans ses sandales, vêtu d’un pagne et d’un châle de coton blanc tissés avec du fil qu’il avait lui-même filé sur son rouet.
Au moment où il faisait son Droit à Londres en Angleterre et surtout lors de son retour en Inde à la fin de ses études, il portait fièrement des vêtements coupés à l’anglaise.
Il s’était procuré à grand prix un chapeau de style « tuyau de poêle », un complet provenant de Bond Street, une chaîne de montre en or, des cravates qu’il avait appris à nouer lui-même, des souliers pointus en cuir vernis, etc.
En Inde, il n’était pas coutume de se regarder dans le miroir; c’était un objet de luxe que les hommes utilisaient surtout pour se raser.
À Londres, Gandhi passait de longues minutes devant son miroir à nouer sa cravate et à se coiffer. Il avait les cheveux plutôt raides et il devait littéralement se battre avec le peigne pour parvenir à faire une raie passable selon les règles de la mode Londonienne. Durant la journée, lorsqu’il enlevait son chapeau, il portait machinalement la main à la tête pour replacer ses cheveux.
Comme on lui avait dit qu’un parfait gentleman doit parler couramment le français, savoir danser et pouvoir s’exprimer avec éloquence, Gandhi se met rapidement à l’œuvre pour réaliser son objectif. Dans un premier temps, il s’inscrit à un cours de danse qui coûtait une fortune compte tenu de ses modestes moyens.
Après quelques leçons, il réalisa qu’il n’était pas très doué. S’il parvenait tant bien que mal à suivre le piano, il ne parvenait pas, mais pas du tout à suivre le rythme de la musique. Il décida de s’acheter un violon et de prendre des cours dans le but de se familiariser plus rapidement avec la musique européenne.
Le prix du violon et les leçons eurent un effet désastreux sur ses maigres ressources mais Gandhi voulait à tout prix s’intégrer dans son nouveau milieu et il était prêt à y mettre le prix et les efforts qu’il fallait pour y parvenir.
Il lui restait maintenant à apprendre à s’exprimer correctement avec le plus pur accent « british » possible. Il se mit donc en quête d’un troisième professeur qui lui donnerait des leçon d’élocution. Celui qu’il dénicha lui recommanda l’achat d’un manuel de diction intitulé : « Standard Elocutionist » (Le Déclamateur modèle) par un auteur du nom de Bell.
Dans la version anglaise de son autobiographie Gandhi fait un jeu de mot en disant que la lecture du texte de Bell (qui signifie cloche en français) lui fit sonner une cloche qui le réveilla.
Réalisant toute la futilité de sa conduite, il décida qu’il serait plus opportun de se consacrer entièrement à ses études. Se disant qu’il ne passerait pas toute sa vie en Angleterre, à quoi lui serviraient des cours de danse à la mode européenne et des leçons d’élocution une fois revenu dans son Inde natale.
Il vendit son violon et mit fin à ses engagements avec chaque professeur avec lesquels il s’était engagé. Durant le reste de son séjour en Angleterre, il ne garda de toutes ces fantaisies que le souci de l’habillement.
Malgré tous ces efforts pour se comporter comme un gentleman anglais, Gandhi ne se sentit jamais chez lui en Angleterre et il ne semble pas qu’il y ait été heureux durant les deux ans et huit mois qu’ont duré ses études.
Fort de cette expérience, un fois devenu la Grande Âme de l’Inde, il insista sur l’importance pour chacun d’étudier et de parler sa langue maternelle. Dans le cas contraire, il faut faire beaucoup d’efforts inutiles pour traverser l’abîme d’une langue étrangère.
Ce séjour de formation en Angleterre aura sans doute contribué à former sa personnalité mais cette influence n’aura pas été aussi importante qu’elle aurait pu l’être.
Il faut dire que Gandhi n’était pas un étudiant normal. Il n’apprenait pas uniquement par l’étude mais il s’instruisait surtout par ses expériences et par l’action.
Suite : L’Afrique du Sud