au 9 mai 2002


 

Ce dialogue touche les effets des politiques de la gauche en France, la liberté des individus, l’influence communiste sur l’Algérie et la démocratie dans les pays occidentaux.

Au 9 mai 2002

Mansour: Je suis réellement un peu déçu de ta réaction épidermique à mon dernier message, alors que tout ce que j’avais fait dans ce message c’est de remettre les horloges à l’heure, comme on dit.

Claude: Je crois que tu as fait plus que remettre les horloges à l’heure. D’abord, je n’ai jamais accusé qui que ce soit d’aveuglement. J’ai émis un commentaire sur Sartre que tu n’as pas apprécié pour des raisons qui te sont propres et que je respecte. Le fait que j’ai émis mon opinion ne constitue pas un manque de respect à ton endroit. Je te connais bien et je sais que tu es un homme attentif, délicat, sensible et qui veut faire toujours la part des choses. De toute façon cet incident est maintenant clos et j’espère que continuant nos conversations nous saurons toujours maintenir nos réactions à un haut niveau.

Mansour: Mais apparemment nous ne voyons pas la contribution de l’élite intellectuelle française du même angle. Je n’ai jamais pensé que Jean Paul Sartre était le maestro de l’intelligentsia marxiste mondiale des années de la guerre froide. Mais apparemment pour une raison ou une autre toi tu sembles penser cela. Je ne t’en veux pas du tout. Chacun a le droit d’interpréter les oeuvres littéraires comme il les aperçoit.

Claude: Je n’y suis pour rien si Sartre est identifié à la gauche. Je veux bien accepter qu’il jouisse d’un crédit favorable en Algérie pour ses prises de position en faveur de l’indépendance, mais ce second fait ne change en rien le premier. On peut très bien admirer Sartre pour le second et le critiquer pour le premier. Il s’agit plus que d’une œuvre littéraire car Sartre était un homme actif, présent, qui aimait émettre son opinion. Le prestige qu’il avait acquis l’enivrait, le motivait à parler et écrire davantage sur ce qu’il voyait comme des vérités. Sartre générait beaucoup de haine dans les milieux culturels et politiques de la France. Jusqu’à un certain point, il était devenu un homme politique, même s’il n’a jamais brigué les suffrages. Il cherchait à influencer les voteurs au moment des élections. C’est donc normal que cette participation à la vie politique, sociale et culturelle des Français soit analysée et interprétée de différences façons. Nous qui venons de l’Amérique et qui sommes peut être plus pragmatiques jugeons la France entachée d’influence gauchiste radicalisant qui à la longue a miné la vie des Français. Ses adversaires français qui se retrouvaient dans tous les cercles de l’opinion lui vouaient une haine non pas politique ordinaire, non pas de tendance, mais une haine totale et on l’a accusé de salir la France et la jeunesse. Cela n’a rien enlevé au prestige de cet être étrange et phénoménal mais indique bien qu’il fut discuté et qu’il l’est encore aujourd’hui.

Mansour: Depuis les années 70 à ce jour, tu sais très bien que toi et moi savons que nous n’appartenons pas aux mêmes mouvances politiques. Tu n’as jamais caché ton appartenance au mouvement conservateur d’une manière générale, et j’espère que je ne t’ai jamais caché mon penchant pour les valeurs socialistes. En tous les cas, de mon côté, je n’ai jamais eu de problèmes à discuter aussi sincèrement que possible de tous les problèmes que nous avons soulevés depuis des décennies. Nous n’arrivons pas à nous entendre trop souvent, mais j’ai toujours apprécié et je continue à apprécier ton ouverture d’esprit et ton franc parler. A aucun moment je n’ai voulu créer un débat conflictuel, mais il faut que tu admettes que je n’ai pas été le premier à jeter la pierre.

Claude: Je n’ai pas vu cela et honnêtement je ne vois pas où une première pierre fut jetée. Chez nous, la critique fait partie du processus. Dans d’autres pays, on l’étouffe, on la réprime et on la nie. Je respecte beaucoup tes opinions. Je suis globalement du centre, pas conservateur (cela n’était qu’une partie du nom ridicule de mon parti politique: le parti progressiste-conservateur) et j’ai toujours épousé les politiques sociales nécessaires pour assurer à chaque Canadien une égalité de chances dans la vie. Je me suis toujours senti identifié au groupe non-officiel des «Red Tory» qui était l’aile de mon parti appuyant des politiques sociales similaires à celles de la social-démocratie qui naissaient dans le monde. Je crois dans la liberté totale des individus, dans la libre entreprise, dans la non-ingérence des gouvernements dans nos vies et au besoin de son action pour assurer la protection et la qualité de vie des citoyens. Je n’aime pas les systèmes totalitaires ou fascistes. Je crois en la démocratie mais je n’apprécie pas les gouvernements socialistes et de gauche qui en découlent quelquefois car il me semble que cela sonne faux et empêtre l’organisation des gouvernements.

Mansour: Quand on m’accuse personnellement d’avoir été aveuglé par les positions de Sartre, par ses positions vis-à-vis de la guerre d’Algérie, je ne peux que réagir violemment, car je sais que tout en appréciant la contribution de la gauche intellectuelle françaises des années 50, je n’ai jamais cessé d’admirer les contributions des Camus, des Mauriac etc.

Claude: Je ne sais qui t’a accusé. C’est moi qui ai souligné, dans un message à tes amis qui partagent tes pensées que j’étais convaincu que votre opinion n’était pas marquée, ni influencée par l’affection que vous aviez pour Sartre suite à ses prises de positions favorables vis-à-vis la révolution algérienne.

Mansour: Ce qui est encore plus étrange dans cette fausse perception de ma position, c’est que s’il y a eu une société qui avait des griefs vis-à-vis de la gauche française, c’est bien la société algérienne. Nous n’avons jamais oublié le rôle des socialistes et même des communistes dans la mise en oeuvre de la défense du colonialisme français en France. Ce sont les socialistes et les communistes qui ont pour la première fois créé un conflit entre les juifs de Constantine et les arabes de l’Algérie en 1936, durant la période du front populaire en France. C’est le parti communiste français qui avait ordonné les massacres du 8 mai 1945 en Algérie, ou plus de 20,000 Algériens ont été massacrés et enterrés dans les stades de Philippeville et de Sétif, sans parler des massacres dans tout le constantinois. C’est le parti socialiste français qui avait déclaré la guerre au peuple Algérien en 1956, quand il avait décidé d’envoyer plus de 500,000 soldats français pour protéger les colons français et pérenniser le statut coloniale de l’Algérie. Et pendant toute cette période, même le parti communiste français de Thorez refusait de prendre position. Le parti communiste algérien, créé et financé par le parti français, a été enfin obligé de se séparer du parti communiste français et rejoindre le FLN sans condition en 1956.

Claude: J’espère que ce n’est pas à cause de cela que le FLN, imprégné des nouveaux membres issus du parti communiste algérien, a été influencé en 1962 à opter pour le côté des soviets et imposer un socialisme totalitaire en Algérie.

Mansour: En tant que président de l’association des étudiants algériens du FLN, j’ai mené moi même une enquête en 1961 en République Démocratique Allemande, pour déterminer si le parti communiste allemand manipulait nos étudiants à Berlin, en particulier. Après mon enquête, le gouvernement provisoire de l’Algérie avait rappelé plusieurs étudiants algériens en Allemagne pour qu’ils s’expliquent devant un jury révolutionnaire à Tunis. Évidemment, les gens inculpés ne se sont jamais présentés devant ce jury. Mais je te raconte tout cela pour dégonfler un peu cette idée que la résistance algérienne était pro-communiste. Loin de là. Il est vrai que nous avons profité de toute l’aide que le bloc soviétique pouvait nous donner, mais nous n’avons jamais été un mouvement communiste, pendant ou après la guerre de libération. Il est difficile de croire ce que je viens de te dire, mais c’est vraiment la vérité absolue du mouvement de libération algérien. Il avait plus à craindre de l’influence communiste internationale que du colonialisme français. Voilà une histoire qui reste encore à écrire.

Claude: Je suis très surpris de cette affirmation. De mes souvenirs en Algérie à la fin des années 70, je vois une République Populaire et Démocratique, du même nom que les partis derrière le rideau de fer, un parti unique, aucune libre entreprise, aucune liberté, des magasins aux tablettes vides, un peuple qui va en s’appauvrissant, des gens dénudés d’espoir, un peuple ayant perdu toute motivation, prisonnier de ses frontières, etc…. Non, si le mouvement de la libération, le FLN, n’était pas communiste, il était quoi alors ? Pourquoi, après la prise du pouvoir, a-t-il imposé ce système à son peuple? Si ce n’est pas vrai, pourquoi cette histoire n’a-t-elle pas encore été écrite après 40 ans d’indépendance? Il est vrai, cependant, que je n’ai pas trouvé chez les Algériens que j’ai connus une motivation à défendre le communisme et la nature du gouvernement algérien. Tu étais un des rares à défendre âprement le socialisme et à pouvoir le comparer intelligemment avec le système capitaliste. Je ne me rappelle pas de t’avoir entendu défendre le communisme.

Mansour: Après l’histoire contemporaine que j’ai personnellement vécue, on m’accuse aujourd’hui d’être «brain washed» par la propagande communiste française. Je t’avoue que je vois rouge. Je n’ai jamais été de près ou de loin communiste, mais j’ai toujours été culturellement un social démocrate, au sens noble du terme. Durant toute ma carrière au gouvernement algérien, j’ai été toujours pour la vérité des prix, contre toutes sortes de subventions, j’ai aussi été le premier à avoir introduit le principe de la rentabilité économique de tous nos investissements publics durant les années 70. J’insistais pour l’introduction de critères d’investissements privés dans le secteur public. Je reconnais que j’ai lamentablement échoué dans mes efforts. Mais ce n’est pas à cause du ministère de la planification du temps. Pendant 8 ans, je me suis bagarré avec les forteresses du régime de l’époque, comme le ministère de l’industrie et de l’énergie, mais les sirènes des pétrodollars étaient Insurmontables. Le fait même que tu ais eu la chance de venir dans notre pays est dû principalement aux visions de notre ami et de moi-même, qui voulions introduire un peu plus de rationalité dans la préparation et le choix de nos investissements publiques et sortir une bonne fois pour toute des décisions purement politiques dans le domaine du développement. Tu connais le sort de cette tentative de rationalisation. Les cadres algériens de mon âge, durant la période des années 70, étaient tous formés dans les écoles libérales du monde occidental. Malheureusement la vision de cette catégorie de serviteurs de l’État n’était pas écoutée par les décideurs politiques de la période. «Well I had to get this off my chest first ».

Claude: Oui, je suis heureux que toi et ton ami aient pu inviter des gens comme moi à participer au développement de l’Algérie. Cela a changé ma vie et je vous en serai toujours reconnaissant. Et il est clair que vous étiez prisonniers des «forteresses du régime de l’époque». Tout cela est beaucoup plus précis, pour moi, maintenant. Je me rappelle d’avoir été surpris du grand nombre d’Algériens qui ont été, en même temps que toi, éduqués dans les écoles du monde occidental. Ce fut probablement avant le régime ou au début? J’aimerais bien que tu me précises tout cela.

Mansour: Je ne comprends pas pourquoi tu concentres uniquement sur les échecs de la France sans jamais reconnaître les réalisations de cette nation depuis pratiquement le début de la 5ième république. Je me souviens des débats concernant la création de la Communauté Européenne durant les années 60 ou on disait que l’ouverture de l’industrie française à la compétition allemande, en particulier, allait détruire le tissu industriel français. De Gaulle avait refusé de croire que la France ne pouvait pas être confrontée à la compétition allemande. Et De Gaulle a eu en fin de compte raison. Depuis la création de la CEE, la France, malgré les soit-disantes barrières érigées par la gauche française, a non seulement relevé le défi mais a en fin de compte obtenu des résultats que même l’Allemagne ne pouvait dépasser. On avait prédit la fin de l’industrie automobile française, mais la France a réussi à avoir une balance commerciale positive vis-à-vis de l’Allemagne. On a souvent parlé du miracle japonais dans les années 70-80, et même de l’émergence d’un nouveau géant économique, la Chine. Il est vrai que le Japon a dominé le marché international durant plus de 15 ans et que la Chine aujourd’hui devient le géant exportateur de l’Asie, mais ce que nous oublions dans ces statistiques c’est que la France reste le premier exportateur du monde par tête d’habitant. Et si le commerce extérieur est le seul baromètre de la compétitivité d’une nation, on ne peut que reconnaître que la France ne peut pas se plaindre pour le moment car elle est toujours le leader du monde dans le domaine de l’exportation par tête d’habitant. Et ce qui est encore plus extraordinaire, c’est que la France a réussi à se hisser à la tête de la compétition internationale tout en se forgeant un système de défense nationale indépendant du parapluie américain, qui lui a certainement coûté les yeux de la tête.

Claude: Je ne crois pas avoir parlé contre cette France-là. Au contraire, ton argumentation fait partie de mes conversations avec mes amis français d’ici qui voient avec un œil défaitiste leur pays. Oui, la France est un leader d’exportation dans le monde mais ce n’est pas cela que je dispute. Je te l’ai dit dans d’autres messages et au risque de me répéter je veux simplement dire, qu’à mon humble avis le système français ne marche simplement pas et que les Français se retrouvent, dans leur vie quotidienne, à danser le cha-cha, un pas en avant et deux en arrière.

Mansour: Ceci étant dit je suis d’accord avec toi que la société française a beaucoup de problèmes structurels qu’elle doit régler avant d’ouvrir de nouveaux horizons aux générations futures de cette nation. Tu n’hésites pas à parler de la décadence des valeurs morales de la France et de l’état d’insécurité insupportable crées, apparemment, par la gauche politique française depuis un demi-siècle au moins.

Claude: Je ne peux rien ajouter à mon dernier message où je t’ai exprimé que je vois le problème conjoncturel des français comme découlant de la politique de gauche qu’ils ont subie. Si tu examines les statistiques de France par rapport aux autres pays de l’Europe tu verras qu’elle occupe dans plusieurs champs-clefs une position de fin de peloton. Il me semble que cela indique nettement et clairement que la France est mal gouvernée. Je suis heureux de constater la tournure des évènements et la venue d’un gouvernement de mission qui veut établir dans le prochain mois les priorités du prochain gouvernement. J’espère fortement qu’il sera de la droite et qu’il pourra avec le président, durant les cinq prochaines années, redresser la situation. Le problème principal, vois-tu, c’est que les gens de la gauche sont incapables de reconnaître leur tort ou de modifier leurs positions. Encore, aujourd’hui, ils attaquent la droite, et blâment tout le monde pour leur défaite. Martine Aubry, la femme des 35 heures qui a été néfaste pour Jospin au premier tour de l’élection, devient la porte-parole du PS et jure, après avoir dit aux français qu’ils ont été compris, de fixer la gauche à gauche (la bonne je suppose) comme solution électorale aux problèmes de son parti. Il me semble que DSK et Fabius se dirigent vers la porte. Elle est carrément agressive, insultante pour le président, et ne peut comprendre qu’elle a une grande partie de la responsabilité de la défaite de Jospin sur le dos (il n’a obtenu que 17% des suffrages pour les socialistes qui étaient pourtant le gouvernement sortant). Jospin a suivi le plan de campagne de son «atelier», dont elle était une des principales participantes et a admis durant la campagne qu’il n’était pas à l’aise avec sa campagne. Est-il le seul responsable de cette défaite?

Mansour: Mais honnêtement est-ce que tu penses que le canadien de Montréal ou de Vancouver, ou l’Américain de Washington DC, de New York, de Chicago ou même de Kansas City, se sent plus en sécurité que le Français de Paris, de Lyon ou de même de Marseille ?

Claude: Oui, à Montréal on est beaucoup plus en sécurité qu’en France. Je ne sais pas pour Washington, mais le Canada au point de vue sécurité personnelle pour ses citoyens est de beaucoup supérieur à la France. Chez moi, à la campagne, isolé de mes voisins, je n’ai pas de clôture autour de mon terrain, pas de portail qui doit être toujours fermé comme ici en Provence. La police est une police qui fait ce qui doit être fait, les juges aussi. J’attire aussi ton attention sur les routes de France qui sont devenues un danger public. On ne voit jamais de polices routières, les limites de vitesse sont toujours largement dépassées, etc… C’est ici que l’on constate le record des accidents mortels de l’Europe et on ne fait rien car les policiers disent qu’ils ont les mains attachées par les lois et la magistrature. C’est une situation incompréhensible, à moins qu’elle s’explique par le principe, cher à la gauche, «il est interdit d’interdire».

Mansour: Tu me parlais de l’indulgence du système judiciaire français qui favorisait la violence et le manque de respect de la loi à cause de l’influence de la gauche française et des événements de 1968. Est-ce que tu penses réellement que le système juridique français actuel est plus souple vis-à-vis des soi-disant inculpés et plus indulgent que les systèmes juridiques canadiens ou des USA. Plus de 2 millions d’américains sont aujourd’hui sous les barreaux. Penses-tu vraiment que la violence en France est plus importante qu’aux USA ?

Claude: Non, mais elle est quand même importante. Mais ce n’est pas une raison pour ne pas reconnaître que ce qui se passe ici n’a pas de bon sens. Le système judiciaire français est inacceptable et ce n’est pas moi qui te le dis, mais mon voisin qui est chef de Police dans une grande ville de France. Il m’affirme qu’ils ont les mains liées par les lois qui ont été modifiées par la gauche. C’est un problème majeur et une des raisons principales de la montée de Le Pen.

Mansour: Et pourtant on ne peut pas dire que la philosophie socialo-communiste avait une influence quelconque sur le système juridique du Canada ou des USA. Le problème de la violence de la jeunesse n’a rien à voir avec les socialistes ou les républicains américains du sud. Le grand problème, à mon avis c’est que nous avons aujourd’hui le problème de la déconnection universelle entre les pouvoirs politiques et le public.

Claude: Je ne crois pas cela et je prends comme exemple le Canada qui ne connaît pas un éclatement de violence de la jeunesse comme ici. Je ne crois pas que les républicains américains sont responsables de la violence. Au contraire, peu de personnes sont plus sévères qu’eux. Ce n’est pas un problème de déconnection avec le pouvoir, mais le résultat d’un laisser-faire inacceptable dans une société qui dit vouloir protéger et respecter ses citoyens. Je sais qu’il y a d’autres sources à ces problèmes, comme l’éducation familiale, etc… mais il ne faut pas faire comme la gauche qui dit, et répète sans cesse comme si c’était une excuse, vouloir s’en prendre à la cause et néglige les résultats actuels. Je crois que tout va de pair, mais de bonnes lois bien appliquées peuvent faire beaucoup pour atténuer appréciablement le problème.

Mansour: Il n’y a pas que le parti communiste chinois qui est déconnecté des aspirations des populations qu’il est supposé représenter. Toutes les démocraties institutionnelles du monde se retrouvent, d’une manière ou d’une autre, dans la même situation. Il est vrai que les citoyens des démocraties occidentales sont libres de voter comme ils veulent. Mais qu’est-ce qu’on leur donne comme choix ? Même les élections présidentielles américaines de 2000 ont réalisé un taux d’abstention de près de 50%. Quel type de démocratie devons-nous accepter quand un président est élu a 50% de 50% des citoyens de la nation la plus démocrate du monde ?

Claude: Même si le pourcentage de votants aux USA est bas, cela ne veut pas dire que le système démocratique n’est pas le meilleur. Les USA sont une terre d’espoir, de liberté, de progrès, où les citoyens ont toutes les opportunités et la chance de se faire valoir et vivre heureux avec leurs familles. Et si on a ti-Bush comme président, il devient clair que le système fonctionne quand même. En France l’abstention au premier tour a été de 28% et de 20% au deuxième tour. Cela aussi mérite d’être amélioré. Nonobstant cela, je crois que la liberté exige que le vote ne soit pas obligatoire comme en Belgique.

Mansour: De plus en plus, je crois que la démocratie d’aujourd’hui ressemble drôlement à la fameuse exclamation de Marie Antoinette concernant la révolte du peuple parisien contre un régime totalement séparé du peuple qu’il était supposé gérer. Elle avait demandé: «pourquoi le peuple parisien se révoltait? » et on lui avait répondu que ce peuple n’avait pas de pain à manger. Sa réponse était, «mais pourquoi ne mangent-ils pas des brioches ?». Voila l’état dans lequel tous les partis politiques démocratiques se trouvent aujourd’hui, qu’ils soient en France, le reste de l’Europe, au Canada ou aux USA. Et ne parlons pas du reste du monde.

Claude: Je ne vois pas la situation des partis aussi noire que cela. Au Canada nous avons le système britannique, aux USA le système américain et en France le système de la 5ième république. Trois systèmes très différents mais dont le dénominateur commun est le vote individuel. Chaque système peut être amélioré. Mais dans le fond ce n’est pas le système qui compte mais le fait que les citoyens choisissent leurs dirigeants et leurs politiques et qu’ils peuvent les remplacer à un moment donné. Ces systèmes sont généralement stables et donnent une capacité de développement dont le pays a besoin. C’est ensuite aux élus d’agir.

Pour clore notre dialogue d’aujourd’hui, voici un commentaire que j’ai reçu d’un autre ami en rapport avec son opinion sur la situation de la France:

«Oui, la France a des réalisations remarquables à son actif, dans tous les domaines. Oui, la France exporte sa production et son savoir-faire. Mais il est également vrai que la France peine dans certains domaines, ce qui n’est pas tant un signe de sa propre faiblesse que de la montée en puissance des autres pays, et plus particulièrement des États-Unis. Je ne crois pas que ce soit faire injure à la France de constater que le génie français s’est imposé beaucoup plus par sa créativité que par ses succès commerciaux. Des exemples? Prenons le cas de la télé couleur. Le procédé français, le SECAM, étais supérieur à tous égards au NTSC américain ou au PAL allemand. Pourtant, il ne s’est pas imposé, ce qui n’est pas grave en soi. Sony a bien dû renoncer au BETA, techniquement supérieur, devant les succès commerciaux du VHS. Mais, SONY est une entreprise, pas un pays.

Qu’une entreprise fasse fausse route et connaisse un échec commercial, c’est une chose. Qu’en revanche un pays investisse les ressources de toute la collectivité dans une technologie qui fait fiasco, ça devient un drame national. Malheureusement pour la France, l’État a fait de mauvais choix stratégiques dans le domaine de l’informatique et des télécommunications avec Bull et le minitel, pour ne citer que ces deux exemples. Que la France ait mis par la suite les bouchée doubles et soit en train de se rattraper ne change rien au résultat. La France suit le progrès, elle ne le définit pas. Comme, par surcroît, elle doit composer avec des rigidités structurelles dont ses concurrents ont su s’affranchir, elle avance à un rythme plus lent et le fossé se creuse. Je m’en tiens à ces quelques exemples pour illustrer la dynamique qui est à l’oeuvre. Il y a des centaines d’exemples qui pourraient être encore plus pertinents. Ce qui ne veut pas dire que la France n’occupe jamais le premier rang dans quoi que ce soit. Cela arrive encore, et je suis le premier à me réjouir. Mais, dans l’ensemble, la France n’occupe plus autant les premières places qu’il y a trente ans, et c’est ce que je déplore.

Ma critique n’est pas une condamnation, c’est un appel au sursaut.»