le 14 mars 2002


Ce dialogue traite des attaques de Sharon sur la Palestine suite au 11/9, de la reconnaissance de la langue Kabyle et de la société multi-culturelle en Algérie.

14 mars 2002

Mansour : Tu seras probablement surpris de recevoir si vite un autre message de ma part, mais je viens de lire un article dans le journal Le Matin d’Algérie qui risque de t’intéresser et surtout te donner une idée de ce que pense une grande partie de l’élite intellectuelle arabe concernant cette croisade américaine contre le soit-disant terrorisme international. J’ai aussi vu les informations de la BBC ce soir dans lesquelles j’ai appris que par accord avec les autorités Israéliennes, le gouvernement des USA avait retardé le voyage de son envoyé  spécial (le général en retraite Zini) au Moyen-orient pour permettre aux Israéliens de mener la plus grande offensive militaire contre les camps de réfugies Palestiniens à Gaza. Plus de 2000 civils palestiniens ont été arrêtes depuis moins de 15 jours. Cela me rappelle les opérations Challes et Jumelles en Algérie durant la guerre de libération où toutes les populations civiles étaient parquées comme du bétail dans les casernes de l’armée française en Algérie. J’ai fait partie de ces civils maltraités par les forces d’occupation.

Claude : Oui, tout ce qui se déroule est simplement écoeurant, dégoûtant. J’avais pressenti un déclenchement de violence dès l’élection de Sharon, mais je n’aurais jamais pensé que cela aurait pris la tournure tragique que l’on connaît actuellement. Suite à la tragédie du 11/9 à New York, et à la war on terror lancée par Bush junior, il me semble que plusieurs gouvernements du monde prennent ce prétexte pour régler le cas de leur opposition politique. Ainsi on a vu en Israël le langage changé et c’est au nom de la lutte contre le terrorisme que Sharon et Cie lancent maintenant leursoffensives qui ont tué à ce jour un si grand nombre de Palestiniens.

Et Bush junior agit comme s’il ne connaissait rien de l’histoire des conflits du Moyen-Orient et a fait une erreur magistrale en appuyant le discours de Sharon. Il aurait dû chercher à maintenir la neutralité habituelle de son pays. Il lui a ainsi donné l’espace pour agir à sa guise et Sharon en profite. Et ce n’est que le début…. tout en dénonçant, jour après jour, les kamikazes palestiniens qui font le sacrifice de leur vie pour la liberté éventuelle de leur peuple et en les traitant de terroristes, Sharon pensait cacher sa responsabilité et camoufler sa haine du peuple palestinien. Mais il a été trop loin et finalement Bush junior a réagi car l’opinion publique se cabre contre Sharon et il craint qu’il puisse avoir la même réaction. Bush junior manque de sincérité, et cela est clair. Pour lui, tout est image ou illusion. Comme toi, j’estime que le retard de l’arrivée du général Zini le démontre bien, car il semble être de connivence avec la stratégie israélienne. Tout cela augure très mal pour les Palestiniens et nonobstant la résolution d’aujourd’hui au conseil de sécurité des Nations-Unies qui reconnaît enfin les deux états, je demeure pessimiste car je ne vois pas comment Sharon acceptera de revenir aux limites territoriales de 1967, de démolir les implantations juives sur le sol occupé de la Palestine, et de trouver une solution pour les réfugiés palestiniens. Tout cela me semble insoluble.

Mansour : Mais ce que les Israéliens n’arrivent pas à comprendre c’est que cette répression ne fera que renforcer la volonté du peuple palestinien à se dresser contre l’occupation israélienne. Tout comme il avait fait au sud du Liban, ce même bourreau des palestiniens dans les années 80, essaye d’exterminer le peuple palestinien. Israël sera obligé un jour ou l’autre de se retirer des territoires occupés en Palestine. Face à cette tragédie, le comportement du gouvernement américain est des plus odieux. D’un côté les porte parole de ce gouvernement dénoncent avec véhémence les actes des Palestiniens qu’ils considèrent comme actes de terrorisme, mais se limitent à regretter les dépassements des forces israéliennes qui tuent tous les jours 10 fois plus de civils palestiniens que de civils israéliens qui souffrent des actes terroristes des Palestiniens. Apparemment tant qu’une armée avec uniforme tue des civils c’est au nom de la défense nationale, mais quand des Palestiniens tuent des Israéliens civils c’est du terrorisme. Quelle logique!!!

Claude : Je suis totalement en accord avec toi et nous pensons exactement la même chose. Je crois aussi que la grande majorité des gens que je connais partage cette opinion. Peut être qu’un jour Israël sera obligé de se retirer des territoires occupés mais honnêtement je te dis que je ne vois pas venir ce jour.

Mansour : Le roi soleil, Bouteflika, vient de faire un discours important en Algérie où il a accordé à la langue berbère le statut d’une langue nationale, par décret. Ce discours te donne une idée de l’arrogance de ce régime. La constitution nationale qu’il avait juré de protéger lui  interdit de prendre une telle décision. Mais tout comme par le passé, la constitution nationale n’est utilisée que quand elle sert quelques intérêts particuliers du chef de l’État. Cela me rappelle la fameuse phrase d’Hitler quand il disait que les accords internationaux ne valaient pas plus que le prix du papier sur lequel ces accords avaient été signés. Je suis le premier à demander que la langue berbère, parlée par au moins 15% de la population, soit reconnue comme langue nationale. Mais il aurait fallu que cet acte soit établi après consultation de toutes les populations. Si les arabophones ne sont pas d’accord avec le principe d’une nation multi culturelle, c’est leur droit de l’exprimer, tout en assumant toutes les conséquences d’une telle position. On ne peut pas et on ne doit pas imposer une nation multi culturelle à la majorité de cette nation si elle le refuse. Une nation algérienne multi culturelle se fera par consentement ou ne se fera jamais. Il aurait peut être pu contourner la constitution s’il avait demandé à l’assemblée nationale de voter une loi confirmant ses décisions en rapport avec ce sujet très sensible en Algérie. Je suis Kabyle et je veux croire à une Algérie multi culturelle, mais je ne voudrais pas que cette Algérie multi culturelle, sur le papier, se fasse suite au dictat d’un seul homme en Algérie. Comme tu vois, tu dois te demander ce que je veux en fin de compte. Bouteflika, par un seul discours a en fait satisfait le plus grand de mes désirs en élevant le berbère au niveau d’une langue nationale, mais cette victoire me parait trop éphémère, car elle n’a engage que lui même.

Claude : Je te comprends. La constitution d’un pays se doit d’être respectée. En annonçant que la langue berbère allait devenir langue nationale Bouteflika a dit avoir abandonné l’idée de soumettre cette question à un référendum de crainte que sa réponse ne soit pas nécessairement positive. Je vois là une position très réaliste. Il a aussi affirmé que la constitutionnalisation de cette question se fera par une voie à être choisie, et les observateurs pensent que cela pourra se faire par le consentement des deux chambres du parlement algérien. Il y a donc une voie possible. J’ai appris par le communiqué de presse que la langue berbère est commune au Kabyles, aux Chaouias, aux Mozabites et aux Touaregs. Cela fait beaucoup de monde et il me semble que le gouvernement sera mal placé pour contrecarrer cette décision du président.

Le mouvement de contestation en Kabylie a donc eu un effet important sur les dirigeants et cette stratégie de non-violence a pesé lourd dans cette décision d’accepter la langue berbère. Le souvenir de cette contestation, celui de la répression qui a suivi et la hantise de contestations futures viendront hanter les dirigeants lors de la confirmation au parlement de la décision du président. Je crois que cela ajoutera à la possibilité de ratification de la loi.

Jusqu’à un certain point, Bouteflika agit comme un leader national même si les élections législatives sont à 75 jours de distance. Et il ne faut pas rêver et croire qu’une société multiculturelle peut recevoir un consensus majoritaire dans un grand pays comme le tien. Au Canada, nous avons vécu des moments très difficiles sur des débats de cette nature, et si aujourd’hui nous vivons relativement en paix c’est que l’on a simplement mis de côté ces débats. Le parlement canadien a adopté des lois pour rendre le pays bilingue et biculturel, et certains amendements à la constitution ont été approuvés par le parlement en 1982, signés par le Canada et toutes les provinces, sauf le Québec, et la reine Elizabeth II est venue ratifier ce document au Canada. Cela n’était pas conforme aux clauses de la constitution car le Québec devait être un signataire. Plus tard, pour régler cet imbroglio, des amendements à la constitution ont été défait par les Canadiens lors d’un référendum. Et nous en sommes toujours là. Cela a donné une poussée extraordinaire aux séparatistes qui ont connu après leurs meilleures années. Le consensus pour une société multiculturelle au Canada ne sera jamais confirmé par référendum. Alors ne t’en fais pas si dans ton pays c’est la même chose…. Je crois que Bouteflika est très réaliste sur ce sujet.

De plus, Bouteflika a fait intenter des poursuites judiciaires à l’encontre des gendarmes et des agents de l’État reconnus responsables de la répression en Kabylie, 24 sont incarcérés et poursuivis pour homicide, et 681 officiers, sous-officiers et gendarmes en poste en Kabylie lors des émeutes ont été mutés. C’est peu pour les 60 morts et les 2,000 blessés mais c’est un geste qui ajoutera à la pression de faire adopter la loi pour obtenir la paix sociale dans le pays.

En tout cas, je le souhaite. À bientôt