Claude et Mansour s’échangent deux messages en rapport avec la négociation «USA-Israël-Autorité palestinienne» lancée par le président Clinton. Mansour explique la relation qu’il voit entre le mouvement de libération d’Algérie, le FLN, et la situation des Palestiniens à ce jour.
le 25 août 2002
Claude
Je t’avoue que je ne sais pas grand chose de Mr Chomsky, mais tu n’es pas le seul à attirer mon attention à son sujet. (Claude lui a fait parvenir une copie d’un texte écrit ce jour-là et publié sur Internet par cet Américain de gauche). Apparemment, il est très connu dans les cercles arabo-américains. Malheureusement, rares sont les Chomsky dans toute la communauté juive internationale. Dans son article que tu m’as envoyé, Chomsky cite, par exemple, un certain journaliste américain du nom de Friedman, je pense, qui a fait la une de toutes les chaînes télévisées des USA, surtout pendant les négociations tripartites «USA-Israël-Autorité palestinienne» lancées par le président Clinton à la fin de son mandat. Je t’avoue que durant toutes ses interventions je le trouvais relativement libéral tout en étant, bien entendu, pro israélien et américain. Et personnellement, je pense que Friedman a été plus logique dans ses analyses du monde arabe que même Mr Chomsky, qui est tout de même aveugle dans ses positions anti-colonialistes qu’il a dû acquérir durant les années des guerres de libération des années 50-70. Le problème du Moyen-orient est bien plus compliqué que les problèmes de colonisation de cette période. L’intelligence de Friedman, c’est de reconnaître les rapports de force à un moment donné et de donner des conseils intelligents pour obtenir le maximum d’inserts aussi bien pour les USA que pour les juifs du monde entier. Mais même son raisonnement laisse les décideurs indifférents à cause de leur arrogance découlant de leurs supériorités militaire, diplomatique et financière. Intelligent comme il est, Friedman savait qu’Israël devait profiter du leadership d’Ehoud BArrak pour enfin tirer le maximum de concessions des Palestiniens tout en s’assurant la démilitarisation définitive de toute résistance arabe à l’expansionnisme israélien.
Ni Barak et encore moins le lobby juif américain n’étaient prêts à accorder quoi que ce soit au pauvre et corrompu Yasser Arafat. Celui-ci était prêt à signer n’importe quel accord qui lui permettrait de sortir comme le libérateur du peuple palestinien, mais Barak savait qu’en refusant tout compromis sur le statut de Jérusalem, Arafat ne pouvait que refuser toute offre de paix sanctionnée par Clinton et son administration. Mais tout comme Chomsky dit dans son article, Barak savait qu’il n’y avait qu’un seul élément important dans la négociation d’une paix éventuelle avec les Palestiniens, c’était la force, et cette force était de son côté. Ce qu’il a oublié de prendre en considération cependant, c’est que malgré toutes les concessions d’Arafat, il ne pouvait pas assurer la protection d’Israël et surtout celle des populations israéliennes. Et pour cause, le peuple palestinien, aussi divisé qu’il est aujourd’hui n’est toujours pas prêt à se sacrifier comme un mouton d’Abraham. Arafat peut signer n’importe quel accord avec les Israéliens mais si ces accords ne s’accordent pas avec les revendications légitimes de ce peuple, ils ne seront que des feuilles de papier à déchirer à tout moment.
Ceci étant dit, la cause palestinienne ressemble aujourd’hui à la cause du peuple algérien durant le début du 20ième siècle. Pendant plus de 50 ans un nombre incalculable d’associations sociopolitiques naissaient en Algérie pour s’ériger comme les seuls représentants de tout le peuple algérien face au colonialisme français. Et tant que toutes ses associations et organisations politiques étaient divisées, la cause de l’indépendance de l’Algérie n’était pas sérieusement prise en compte par les autorités coloniales françaises, car elles savaient qu’elles pouvaient toujours jouer une faction contre une autre pour remettre les revendications réelles du peuple algérien aux calendes grecques.
Au 1er novembre 1954, moins de 300 nationalistes algériens en ont eu mare des labyrinthes politiques et ont décidé de lancer la guerre de libération en donnant ordre à toutes les autres organisations et factions sociopolitiques du pays de se ranger derrière la bannière du FLN, sans condition aucune en dehors de la lutte de libération nationale (ce mouvement de libération a été en fait une révolte contre la gestion autocratique du seul mouvement réellement populaire de l’Algérie de l’époque, à savoir le MTLD dominé par le fameux Messali Hadj). Mais même quand la guerre de libération a été déclenchée le 1er novembre 1954, aucun parti politique algérien de l’époque n’était prêt à se joindre à ce nouveau mouvement d’unité nationale pour la libération. Messali Hadj au nom du zaim du MTLD avait immédiatement réagi pour essayer de recouper ce mouvement rebelle en créant des groupes armés en Algérie et en France pour mettre fin à cette hérésie du FLN. Ne parlons pas des mouvements assimilationnistes comme ceux de Ferhat Abbas en particulier et de Abbassi Madani qui se disait pro islamiste mais qui en fait était contre l’indépendance de l’Algérie. Le FLN a dû non seulement lutter contre le MTLD, qui était noyauté par les services coloniaux français (et cette lutte a été atroce, notamment en France où des centaines d’Algériens nationalistes du FLN ont été assassinés) mais devait aussi discréditer publiquement les élus des partis de Ferhat Abbas et de Abbas Madni à l’assemblée coloniale algérienne de l’époque. Ce n’est qu’en fin 1956 que les oulémas d’Abassi Madani et les UDMAde Ferhat Abbass se sont enfin ralliés à la cause du FLN, sous menace de mort violente à tous les membres de leurs organisations. Le FLN devait donc non seulement lutter militairement contre les forces coloniales françaises mais devait aussi assurer la cohésion de tout le peuple algérien derrière son programme. Et c’est, qu’on le veuille ou pas, la seule raison pour laquelle la France a finalement accepté de quitter l’Algérie.
Je te raconte toute l’histoire de l’Algérie combattante pour te dire que le peuple palestinien n’a pas, en fin de compte, commencé sa véritable lutte de libération. Il y a des révoltes, par ci et par là de temps à autre, mais la véritable lutte de libération de ce peuple ne pourra commencer réellement que le jour où quelques dizaines ou centaines de Palestiniens, tout comme les Algériens qui ont lancé la guerre de libération algérienne, seront prêts à se sacrifier, non pas au nom d’Allah, ou d’un parti politique quelconque, mais au nom de tous les Palestiniens quelques soient leurs origines politiques culturelles ou religieuses. Et je ne vois pas ce jour venir de sitôt.
Quand au reste du monde arabe, je t’avoue que je m’en fous royalement. Tous les peuples arabes, y compris, malheureusement, l’Algérie que je ne considère pas comme ethniquement arabe, n’ont que ce qu’ils méritent. Ils ont un territoire reconnu par le reste du monde. Ils sont maîtres de leurs destinées. Mais, ils sont apparemment prisonniers d’une culture politique qui remonte au Moyen-âge. Ces peuples n’ont jamais lu les Voltaires, Rousseaux ou St Juste pour comprendre le concept même de la liberté individuelle.
Tu dois te demander pourquoi je suis constamment en contradictionavec moi même. Mais je suis une contradiction. J’appartiens aux cultures berbères, arabes et françaises (de Jules Ferry en plus). Je reconnais que je suis en contradiction avec tout ce que je dis mais cela ne change rien à la situation où je suis aujourd’hui, à l’heure même où je t’écris ce message. Je suis toujours très fier des cultures berbère et arabe (je viens après tout d’unetribu qui est venu de Rio de Oro pour islamiser la Kabylie) dont j’ai hérité, mais je suis aussi très imbu des valeurs culturelles françaises des 18ième et 19ième siècles. Je suis peut être un Chomsky sans le savoir, avec bien entendu le manque d’intellect et de plume qu’il a démontré depuis des décennies déjà.
Merci de m’écouter et de commenter mes positions. Mansour
Mansour
Merci de ce message qui ajoute beaucoup à mes maigres connaissances de ton beau pays. Je suis toujours stupéfait de la profondeur de ton savoir sur l’histoire de l’Algérie. J’apprécie beaucoup tes descriptions des hommes et des politiques et cela me donne toujours à réfléchir et à chercher à comparer ce qui s’est passé chez vous avec ce qui se passe dans le monde. Aujourd’hui, tu me soulignes que la vraie révolution et la réelle lutte des palestiniens ne sont pas encore commencées et tu assois ton argumentation sur l’histoire des débuts de la révolution algérienne. Cela est d’une logique qui me semble solide et presque indiscutable.L’unité est l’essence même du succès.
Quant à ti-War-Bush, (je viens de comprendre que le W. dans son nom est pour War), je le vois dépérir très bientôt dans les sondages. La manifestation publique de la semaine dernière, relativement dure, contre ses visions de guerre n’est qu’une première qui sera suivie de plusieurs autres et qui engageront un nombre grandissant de protestataires. Avec les pays, dont le Canada, qui s’annoncent contre la guerre en Irak, avec les journalistes américains qui posent de plus en plus de questions pertinentes et écrivent des articles de fond questionnant les raisons d’une telle décision, avec les ententes à nature économique que l’Irak signe avec des pays comme la Chine et la Russie, avec l’attitude constamment guerrière de ti-War-Bush, avec la crise économique qui commence à empoigner les américains et qui affecte la valeur du dollar, et autres signes de ce genre, il me semble clair que son chien est mort. Les prochaines élections législatives américaines devraient démontrer ce que j’avance, à la condition cependant que le parti démocrate se montre à la hauteur nécessaire dans ses critiques contre ce président méprisable.Il peut aussi être sauvé par la force actuelle et surprenante du parti républicain qui ne semble pas tenir compte de ses politiques mais n’agit qu’en fonction de garder le pouvoir.
Je ne connais pas Chomsky mais j’ai été impressionné par ses écrits et c’est pourquoi j’ai attiré ton attention sur son article.
Je vois dans tes messages une constante et non des contradictions, Tu es un homme de cœur, nationaliste, qui aime sa race et son peuple et qui souffre de le voir languir alors qu’ailleurs la liberté et le progrès sont au rendez-vous. Tu n’as pas changé depuis que je te connais et il me semble que tu maintiens vivant le feu sacré qui t’anime. Voilà pourquoi ta révolte intérieure demeure et que tes écrits sont parfois flamboyants. J’aime te lire et j’apprends beaucoup. Mes amis aussi.Continuons.
Claude
Pas de commentaire