le 25 février 2004


Ce dialogue traite des mouvements de résistance en Palestine et ailleurs, de la non-violence et de la possession de la bombe atomique par le Pakistan.

Le 25 février 2004

Mansour: Merci pour la conversation d’hier. J’ai toujours cru que c’est à travers une discussion franche et raisonnable que jaillit toujours la lumière comme on dit. Et je crois que c’est ce que j’ai toujours essayé de poursuivre avec toi en particulier depuis des années.

Claude: Oui, tu as toujours été très franc.

Mansour: C’est vraiment dommage que tu ais eu l’impression d’avoir un dialogue avec un musulman se pensant persécuté par le reste du monde. Il est vrai que toute l’histoire de ma famille en particulier est étroitement liée à l’histoire de l’islam du moins en Kabylie. Tous mes aïeux ont été des imams importants dans notre région Kabyle. Mais je t’avoue que la guerre de libération et surtout l’école de Jules Ferry, ont eu gain de cause de notre passé familial. A 12 ans, j’étais effectivement un ardent musulman. Je faisais mes 5 prières par jour régulièrement, derrière mon père qui était mufti de la grande mosquée de Tizi Ouzou. Mais progressivement, je remettais en cause tous les concepts sur lesquels la religion musulmane est bâtie. Et à l’âge de 17 ans j’étais entièrement agnostique. Et je n’ai pas changé depuis. Non, si je t’ai paru comme un musulman révolté contre son sort, je crois que tu te trompes du moins en ce qui me concerne.

Claude: Révolté, non, mais persécuté oui. Ce que tu m’écris semble me démontrer que tu te sens persécuté comme musulman. C’est comme un ultra nationaliste au Québec qui se sent persécuté complètement par les fédéralistes. Il voit dans chaque geste ou parole des fédéralistes une attaque personnelle. La vie n’est pas comme cela. La religion musulmane est une belle et grande religion et la majorité des gens la considère ainsi.

Mansour: Ce qui me révolte c’est toujours l’injustice que nous vivons en permanence depuis le début de l’histoire de l’homme. Il ne fait pas de doute tout de même que les mêmes actes aussi barbares qu’ils soient commis par les maîtres et les opprimés sont vus à travers différents miroirs. La grande différence philosophique entre toi et moi est peut être le fait que tu crois dur comme fer au concept de lutte non violente de Gandhi, alors que moi je crois que les peuples sont obligés d’arracher leurs libertés, aussi bien vis-à-vis des oppresseurs extérieurs qu’intérieurs. Souviens-toi tout de même que même l’extraordinaire expérience de Gandhi en Inde et de Desmond Tutu en Afrique du sud, n’auraient pas été un aussi grand succès si il n’y avait pas à côté de ce mouvement pacifique un mouvement nationaliste qui était prêt à utiliser la violence pour arracher leurs libertés. Le congress party de Nehru, et la Djamaa Islamia de Djinah qui luttaient contre l’impérialisme anglais en Inde étaient loin d’être des partis tout à fait pacifiques. Ne parlons pas du mouvement de liberation de l’Afrique du sud, qui a mené une lutte armée pendant des années pour enfin amener le reste du monde à accepter l’immoralité du régime de l’apartheid du régime raciste de l’Afrique du sud.

Claude: Ce n’est pas l’action de Nehru aux Indes, ni celle de la lutte armée en AS qui a donné finalement la paix et l’indépendance à ces peuples. Gandhi et Mandela on fait toute la différence et leur long combat de paix a finalement remporté la bataille. C’est une belle leçon et ce qui faut surtout en retirer c’est que cela a pris beaucoup de temps pour qu’ils atteignent leur but. Patience et longueur de temps font plus…..

Mansour: Et ce qui m’attriste aujourd’hui c’est qu’apparemment tout mouvement de libération est automatiquement dénoncé comme étant un groupe de terroristes sans morale et sans raison d’être. Les Cachemiris, ou les Tchétchènes sont aujourd’hui dénoncés à travers le monde comme des mouvements terroristes, alors qu’ils ne luttent que pour avoir droit à la parole concernant l’avenir de leur peuple. Ne parlons pas du Hizbollah et tous les autres mouvements politiques qui luttent pour faire entendre la voix des Palestiniens. Enfin, j’ai vu ce matin même dans le Washington Post que les forces d’occupation américaines en Irak sont absolument contre les revendications légitimes des Kurdes en Irak. Ne parlons pas du sort des Kurdes vivant sous l’occupation de l’Iran et surtout de la Turquie (ami fidèle du monde occidental). Non, devant autant d’injustices contre toutes les minorités à travers le monde, je refuserais toujours de condamner les jeunes de ces minorités qui se révoltent contre l’apathie du reste de l’humanité.

Claude: Soyons réalistes, si en Israël les bombes n’avaient pas éclaté, si les Palestiniens avaient protesté avec une non-violence, ne crois-tu pas qu’aujourd’hui ils seraient en meilleur position ? Leurs réactions violentes leur ont donné un mur à la Berlin, des milliers de morts, aucun cm carré de terrain, aucune indépendance et une partie du monde qui se révolte à chaque bombe qui éclate en Israël. Ils n’ont pas eu la patience ou la clairvoyance d’utiliser la non-violence et ils ne sont pas au bout de leur peine. Dès le départ, les Palestiniens n’avaient pas de chance à cause de la grande différence dans la force des armes de chaque camp. Au lieu de réaliser leur infériorité militaire, ils ont essayé de résister avec violence, et ont connu les déboires que l’on sait. C’est honteux qu’Arafat et ses complices n’aient pas compris que le meilleur chemin pour atteindre leur objectif était la non-violence. C’était un cas patent où la non-violence devait être la stratégie. Je ne crois pas que le Hamas ou le Hizbollah sont des groupes terroristes, je les reconnais pour des mouvements de résistants face à l’envahisseur de leur pays. Il est vrai qu’ils jouent un rôle pour chercher à décourager par leurs guérillas les populations de l’envahisseur. Mais à ce jour cela ne règle rien.

Mansour: Pour ce qui concerne le fameux scientifique Pakistanais que tu accuses de tous les maux de l’humanité, je crois qu’il serait peut être utile de commencer à demander des comptes à tous les scientifiques européens et américains qui ont ouvertement aidé Israël à développer son arsenal de destruction, bien plus sophistiqué que ce que ce Pakistanais a pu transmettre aux Libyens ou Iraniens. En plus, est-ce que tu penses réellement que cet individu a opéré individuellement sans le consentement de son gouvernement et surtout des forces armées pakistanaises. J’en doute. Si on doit porter jugement sur cet individu, il serait peut être honnête de porter jugement sur toute la politique d’armement du Pakistan et des autres pays concernés dans ce transfert d’informations scientifiques et de technologie.

Claude: Je ne sais pas où tu veux en venir. Je parle d’un individu, Khan, et je pose des questions. Alors pourquoi parler de tout ce qui se passe dans le monde au lieu de reconnaître que Khan n’a pas agi correctement et a probablement mis en danger plusieurs personnes. Je ne comprends pas pourquoi tu réponds à mes craintes pas des arguments ne s’y rapportant pas.

Mansour: Il serait peut être utile de se demander, par exemple,le rôle de l’Arabie Saoudite dans le financement du programme atomique du Pakistan, à commencer par les années 70, au moment où Israël avait pratiquement avoué posséder des armes atomiques à sa disposition. Je n’ai pas une bonne mémoire mais je crois me souvenir que les dirigeants Pakistanais parlaient d’une bombe islamique dans les années 70 et 80. Le problème qui devrait se poser aujourd’hui est de savoir si les pays arabes ou musulmans ont le droit d’avoir accès aux armes dont disposaient Israël et ses alliés ou pas.

Claude: Le problème du Pakistan, c’est l’Inde, et comme l’Inde avait la bombe, le Pakistan croyait qu’il se devait de l’avoir. A-t-il suivi la filière normale pour l’avoir ? Je ne le sais pas. Mais il a maintenant la bombe. En suis-je heureux? Non, car je crois que le moins de pays possibles devraient l’avoir. J’aimerais que personne ne l’ait. Mais ce n’est pas réaliste, alors il faut combattre pour que le moins de pays possibles l’obtiennent. Qu’ils soient chrétiens, musulmans, hindouistes, bouddhistes, ou chinois cela n’a rien à voir. Le penser, c’est se sentir persécuté.

Mansour: Toi même tu m’as parles très souvent d’une guerre de civilisation entre l’islam et le reste du monde civilisé (chrétien en fait). Mais je ne suis pas d’accord avec ce constat. A mon avis, c’est toujours en fait un conflit entre les «haves» et les «have nots». Le monde musulman d’une manière générale est dominé économiquement, et scientifiquement par la civilisation occidentale. Pour survivre, ce monde doit se prendre en charge. Mais pour maintenir cette dominance occidentale les «haves» sont obligés de s’appauvrir au maximum, et disloquer ce monde musulman afin de le rendre le moins dangereux possible pour leurs intérêts économiques et géopolitiques. Cela n’a rien à avoir avec les islamistes ou les valeurs religieuses de ce grand amas de sociétés arabo-musulmanes de l’atlantique aux steps de l’Asie. C’est cette réalité géopolitique que j’essaie de comprendre et partager avec les gens comme toi en particulier. Je ne suis pas particulièrement partie prenante dans cette saga mondiale. Je suis culturellement contre toutes les valeurs sociales partagées par ce monde dit musulman. Mais je sais que les peuples dominés continueront à se défendre par tous les moyens. C’est une réalité qui a été toujours vérifiée même durant l’empire grec, italien ou même anglais. L’homme refuse de se soumettre à jamais à son maître. L’homme est créé pour marcher debout, et tout effort de le faire marcher à quatre pattes finira par échouer.

Claude: Le danger, s’il y en a un, ce sont les islamistes. Ceux des pays musulmans qui veulent renverser leur propre gouvernement. Leurs gouvernements fantoches, très souvent contrôlés à distance par les USA, n’agissent pas démocratiquement. Je te réfère encore au livre que j’ai résumé qui démontre clairement la menace islamiste qui nous confronte ? Est-ce que nier la menace est une position raisonnable? Est-ce réaliste de penser que cette menace islamiste ne touchera pas les Occidentaux ? Cette menace est-elle vraie? Je le crois, car après avoir renversé leurs gouvernements, que feront ces gouvernements ensemble? S’attaqueront-ils aux infidèles? Est-ce l’histoire du monde arabe qui se répète ?

À bientôt