Jeanne Berbié


Jeanne Berbié

J’ai connu Jeanne Berbié au Festival de Montréal, où elle était venue chanter Concepcion dans L’Heure espagnole de Maurice Ravel. Nous sommes devenus copains tout de suite. Elle avait une belle voix de mezzo mais pouvait facilement chanter des rôles tenus en général par des sopranos. Jeanne adorait Montréal et, par la suite, n’a cessé d’évoquer ses bons souvenirs quand, dans sa belle France, le hasard nous réunissait sur la même scène.


Clouée au pilori

Dans Cosi fantutte de Mozart, Jeanne Berbié chantait Despina, la petite servante futée qui se déguise en notaire au deuxième acte: perruque blanche, petites lunettes sur le bout du nez et grande toge noire flottante.

Un soir où c’est moi qui chante Alfonso, son complice, elle entre avec son énorme cartable noir de notaire sous le bras, la plume et l’encrier dans l’autre main. Je suis assis à la table où elle est censée s’installer pour officier au mariage des deux couples de tourtereaux. Sous l’encrier se trouve un clou qui sert à l’assujettir sur la table. Quand je me lève pour céder la place à Jeanne, je m’aperçois qu’elle est littéralement clouée sur place par la manche. Elle s’est clouée dans la table en même temps que l’encrier! Avec son gros cartable dans l’autre main, elle ne peut plus faire un geste.

Entre ses phrases chantées, Jeanne me souffle en essayant bravement de ne pas rire: «Déprends-moi, imbécile!» Coquin, je la fais attendre, exprès, avant de la secourir: juste assez pour l’énerver mais pas assez pour qu’elle rate sa réplique. J’aurais bien voulu la faire craquer. Le fou rire, en scène, c’est encore pire qu’à la messe.

Le soir de la dernière, Michel Sénéchal, qui chantait Ferrando, arrive avec un coussin péteur et le cache dans le fauteuil où Jeanne (Despina, toujours déguisée en notaire) va s’asseoir à la fin de l’opéra pour chanter le finale. Toute la distribution est au courant de la plaisanterie qui se prépare.

Le moment venu, cinq paires d’yeux suivent le mouvement de Jeanne qui s’approche du fauteuil en chantant. En dedans, nous rions déjà en anticipant le bruit obscène qu’elle va déclencher, et l’expression que prendra son visage.

Jeanne-Despina traverse la scène, se jette dans le fauteuil et … rien! Le coussin péteur ne pousse pas le moindre, petit soupir! Il s’est dégonflé. Jeanne, intriguée par notre expression, se demande ce que trament ses collègues … Plus tard, quand Michel lui a raconté le tour qu’il avait voulu lui jouer, c’est elle qui s’est moquée de lui. A bien ri qui a ri la dernière!