L’accident
Il ne m’est arrivé qu’une fois de me blesser en scène. C’était à Toulouse, pendant une représentation d’Otello de Verdi. Je tenais le rôle de Iago, l’inique conseiller d’Otello. Au deuxième acte, Iago insinue que Desdémone, la femme d’Otello, lui est infidèle. Hors de lui, fou de jalousie, Otello se jette sur Iago pour l’étrangler.
L’0tello du spectacle mesurait 1,90 mètres et pesait 115 kilos, contre mes 1,77 mètres et 91 kilos. Nous jouons la scène à fond, tous les deux. Otello, résolu à en finir avec Iago, me serre le cou entre ses mains puissantes. «Divina grazia, difendimi!» chante Iago (Grâce divine, défends-moi!). À cet instant, je repousse mon partenaire de toutes mes forces et grimpe sur le praticable pour lui échapper. Le praticable mesure un mètre de hauteur. Dans le feu de l’action, au lieu de monter les quatre marches de l’escalier, je les saute.
On aurait dit qu’un gros caillou s’était logé dans mon mollet gauche. Je dépose le pied par terre pour continuer à chanter mais la sensation de brûlure est intolérable. Je ne peux plus mettre de poids sur ma jambe. La musique continue, implacable. Je redescends par l’escalier en boitant, et je ne sais par quel miracle, arrive à terminer l’acte. Après le grand duo où Otello et Iago, réconciliés, se jurent amitié fidèle pour toujours, le rideau tombe. Je m’effondre.
Le directeur du théâtre, Louis Izar, qui n’a rien perdu de l’incident, accourt en se tordant les mains. Sera-t-il obligé d’interrompre la représentation? Devant la gravité de mon état, il fait appel au public. Un médecin apparaît à l’arrière-scène, fait découdre ma botte de cuir et la retire. Je me mords les lèvres de douleur. Puis il me fait une piqûre dans le mollet pour l’insensibiliser. On m’apporte une autre paire de bottes. Izar se présente devant le rideau pour expliquer la situation et, après une série de longues et profondes inspirations, je retourne sur scène. Il reste deux longs actes …
Le lendemain, je consulte le médecin soigneur du club de soccer de Toulouse, qui m’applique des compresses d’argile brûlante. Les traitements ont fonctionné. Je n’ai manqué aucune représentation mais j’ai claudiqué pendant un mois.
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