Le concours du Conservatoire


Dans la semaine qui suit notre arrivée, je loue un piano chez Ricordi et me m’installe pour travailler. En novembre, agréable surprise: mon copain Joseph Rouleau débarque à Milan avec Barbara, sa nouvelle épouse. À quatre, nous leur trouvons un logement à deux pas de chez nous, ce qui sera très pratique pour nous voisiner et pour jouer au Parchési que j’ai apporté dans ma valise !

Au studio de Narducci, par contre, il n’est pas question de s’amuser. Mon professeur est un tyran. Véritable géant de l’opéra, monument de sciences, il connaît tout de l’art du chant et du répertoire, et entend me le transmettre.

À ses côtés s’amorce pour moi une longue et intense période de travail. Maestro me fait mémoriser des opéras au rythme d’un toutes les quelques semaines. Travailler avec lui, c’est étudier douze heures par jour. Douze bien comptées. Un jour où je me dépense comme un beau diable pour lui faire plaisir, il quitte le clavier, me rejoint dans la queue du piano, me passe l’index sur le front et s’exclame d’un air dégoûté: « Sec ! ton front est sec ! Sudi ! (Sue!)»

Un peu avant Noël, Narducci déclare:

« Je voudrais que tu auditionnes pour le commendatore Colombo, le directeur du Teatro Nuovo. Si tu réussis, il pourrait t’inscrire au concours du Conservatoire. Et si tu te classes parmi les premiers, tu as une chance de faire tes débuts professionnels l’été prochain

-L’été prochain ? Mes débuts? »

Le sang me coule soudain très vite dans les veines. «Perché no ?» fait Maestro.

Le concours du Conservatoire Giuseppe Verdi de Milan attirait chaque année environ 175 jeunes chanteurs de tous les pays, hommes et femmes, et c’étaient les professionnels de La Scala qui les y préparaient: le coach Renzo Bianchi, le metteur en scène Marchioro et le chef d’orchestre Mario Cordone. Pouvait on rêver mieux ?

Malheureusement, j’ai à peine le temps d’assimiler la bonne nouvelle que la catastrophe s’abat sur nous. Aline est foudroyée par une péritonite. Urgence. Je téléphone à Maestro: peut-il nous recommander un médecin ? Une demi-heure plus tard, nous filons à l’hôpital en ambulance en compagnie du cher Joseph, dont l’amitié me réconforte.

Il faut opérer ma femme sur-le-champ. En cette fatidique journée, j’ai beau essayer de me raccrocher à mon optimisme naturel, le Québec me semble à des années-lumière de l’Italie…

L’hôpital porte le nom de San Ambrogio, le patron de Milan. Juste à côté s’élève la fameuse église du IVe siècle du même nom. Saint-Ambroise est une figure très influente à Milan, même que La Scala ouvre chaque année sa saison le jour de sa fête, le 7 décembre. Pendant l’intervention chirurgicale, je vais donc lui rendre visite dans son église pour le mettre de mon côté. Par bonheur, il exauce mes prières et, quelques jours plus tard, Aline est hors de danger. Ouf !

Tout ce temps, je n’ai pu m’empêcher de penser au concours du Conservatoire. À trois courtes semaines des éliminatoires, il n’y a plus un instant à perdre. Je me remets au travail et bûche comme un fou.

La première épreuve, fin janvier, se déroule très bien, de même que la deuxième. Mais le malheur frappe encore. Cette fois, c’est moi qui tombe gravement malade (cela ne m’est jamais arrivé depuis): une méningite aiguë me cloue au lit pendant une semaine avec quarante de fièvre, le délire et des maux de tête à me faire éclater le crâne. Les piqûres de pénicilline manquent de m’achever et je fonds de onze kilos. Quelle affreuse déception ! C’est fichu, je raterai les finales…