Les concerts de Lachine
Fin septembre 1976. Noël Spinelli, qui connaît tout le monde à Lachine ou presque, a déjà rassemblé une dizaine de citoyens en vue parmi les gens qui ont assisté aux spectacles. L’idée de participer à la création d’une société de concerts dans leur ville les a complètement «allumés ».
«On commence quand?
– Tout de suite, répond Spinelli avec son entrain habituel. Il faut présenter un concert avant Noël! »
Vite, il faut une charte d’organisme sans but lucratif, il faut un conseil d’administration, il faut une subvention municipale, il faut une programmation, il faut faire imprimer des billets. Et puis qui donnera les concerts, et où?
Ce ne sont pas les artistes qui manquent et la Vieille Brasserie fera très bien l’affaire pour commencer. Le piano? On en louera un, dit Noël, qui, dans la même phrase, décrète: «Robert Savoie organisera le premier concert, et puis ensuite tous les autres. Il sera directeur artistique!» Et qui présidera le conseil? À mon tour, je lance: «Noël Spinelli! »
Aussitôt dit, aussitôt fait. Il est décidé qu’on présentera dix concerts par année, soit un par mois avec relâche l’été. Le maire accepte sous réserve de faire approuver nos budgets par le conseil municipal.
Autre question, grave celle-là: quel jour auront lieu les concerts? et à quelle heure?
«Le dimanche à 15 heures, dit le président.
– Non, le dimanche les gens font du ski, vont au chalet. Le lundi soir à 20 heures peut-être?
– Impossible, le lundi ils se reposent de leur fin de semaine. Ce devrait être le vendredi.
– Ah non! Pas vendredi. Samedi non plus, personne ne viendra. »
Bref, il n’y a pas de bon soir. Il faut soumettre la question au vote. j’apprendrai avec le temps que les règles de la démocratie sont aussi difficiles à appliquer dans les petites choses que dans les grandes. Finalement, c’est le dimanche 15 heures qui l’emporte, de justesse.
On continue. Les Concerts Lachine Inc. auront un budget annuel de 10 000 dollars. Les recettes de concert étant estimées à 7 500 dollars, le déficit sera comblé grâce à une subvention municipale.
C’est parti! La première saison, je fais appel aux musiciens de toutes les disciplines pour varier la programmation: pianistes, chanteurs classiques et populaires, instrumentistes viennent donner des récitals en solo. À l’entracte, on sert le café avec des biscuits maison. Les bénévoles, parmi lesquels le directeur artistique, se félicitent du succès de leur initiative, laquelle, soit dit en passant, n’a sa pareille nulle part ailleurs dans la province.
Félix Leclerc est venu à la Vieille Brasserie, Édith Butler aussi. Jusqu’à la Sagouine, Viola Léger, qui est venue «se barcer devant l’monde» à Lachine. Et d’autres, des jeunes, moins connus à l’époque mais qui étaient destinés à faire de brillantes carrières, comme les violonistes Angèle Dubeau et Chantal Juillet, et le pianiste Marc-André Hamelin, qui se produit maintenant dans le monde entier. Cette magnifique relève a fait ses débuts professionnels dans une petite salle de Lachine.
Pendant toute cette période, je fais la navette entre le bureau du MAALQ naissant, Lachine, et l’occasionnel voyage en Europe. Je vais notamment à Tours chanter Les Noces de Figaro.
Dans les premiers jours de juin 1977, coup de théâtre. Je reçois un coup de fil de mon ami Pierre Rolland, hautbois solo et représentant des musiciens de l’OSM. Pierre a entendu parler des Concerts Lachine et veut me faire une proposition. La convention collective des musiciens prévoit huit services (séances de travail) par semaine. Or, les engagements de l’été ne suffisent pas à les employer. Serait-il. possible pour l’orchestre de venir donner des concerts à Lachine?
Un peu plus et je tombais en bas de ma chaise. Je réponds à Pierre que le maire Descary revient d’Europe demain. Peut-il attendre la réponse 24 heures?
Le lendemain:
«Guy, comment aimerais-tu recevoir l’OSM et Charles Dutoit à Lachine cet été?
– Es-tu tombé sur la tête, Robert? répond-il, presque irrité. Comment veux-tu qu’on se paye l’OSM? Il ne faut pas exagérer! On présente des concerts, c’est déjà beau.
– Tout ce que la Ville aurait à payer, c’est le coût du transport!
– Pardon?»
Je m’explique. Évidemment, le maire donne le feu vert.
Le contrat est signé. C’est ainsi que, le 22 juin 1977, pour la première fois de son existence, l’OSM joue hors des murs de la Place des Arts. Ce n’est que beaucoup plus tard, en effet, qu’on verra l’Orchestre commencer à donner des concerts à la basilique Notre- Dame et se promener dans les parcs pendant la belle saison. C’est un honneur extraordinaire pour une petite ville comme Lachine et le conseil municipal en est bien conscient.
Jusque-là, tout le prestige de Lachine avait reposé sur le sport, en particulier sur le hockey. C’est à Lachine, après tout, que sont nés Yvan Cournoyer, Pete Morin, Jacques Lemaire, Phil Goyette. Se pourrait-il qu’après les sports, ce soit dorénavant la musique classique qui fasse parler de Lachine dans la grande région de Montréal?
Ayant décidé de présenter les concerts de l’Orchestre à l’église des Saints-Anges, sur le boulevard Saint-Joseph, je fais construire des plates-formes par le Service des travaux publics. Non sans avoir longuement assuré le curé, Philippe Morin, que je n’avais nullement l’intention de faire monter des danseuses à gogo sur la scène devant le maître-autel !
Le concert est gratuit et l’église est pleine. Plus de mille personnes ovationnent l’Orchestre. Le succès est tel que les visites de l’OSM se répéteront les années suivantes au rythme de quatre par été. Avec les récitals, nous en serons donc à quatorze concerts par année. Pas mal pour une ville qui n’avait jamais entendu de musique classique avant 1976!
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