Nous voulons notre opéra


Nous voulons notre opéra !

Inspirés par les succès du Festival de Montréal, Yoland et moi formons à l’automne de 1956 un projet fou: doter enfin Montréal d’une compagnie d’opéra PERMANENTE, qui montera chaque année une saison lyrique complète. Tout enthousiastes, nous sollicitons une entrevue avec un grand amateur : Jean Drapeau en personne, maire de Montréal. M. Drapeau nous reçoit très cordialement. « Vous avez une bonne idée », nous dit-il. « Organisez-vous et revenez me voir.» Il n’a pas eu à nous le dire deux fois.

Quelques jours plus tard, un soir de spectacle, nous invitons Roland Leduc et Michel Ambrogi dans notre loge pour leur faire part de notre idée. Tous deux sont immédiatement séduits. Reste à créer un conseil d’administration, c’est-à-dire réunir autour de nous des hommes d’affaires et un président de banque, et à rédiger une charte. M. Ubald Boyer, président de la Banque Provinciale (maintenant la Banque Nationale) accepte de se joindre à nous. Il sera à la tête d’un conseil de treize membres. Pour ne pas confondre la nouvelle compagnie avec feu l’Opéra de Montréal d’il y a trente ans, nous la baptisons Grand Opéra de Montréal. Enfin, il est décidé que nous donnerons, à la fin de l’hiver, six représentations du Barbier de Séville et de La Bohème, deux excellentes valeurs de guichet. Voilà, monsieur Drapeau, nous sommes organisés!

Peu après, notre dossier bien ficelé, nous frappons à la porte du Conseil des arts métropolitain, l’organisme municipal chargé des questions culturelles. Avec nous dans l’antichambre, attendant son tour, se trouve Mme Ludmilla Chiriaeff, venue soumettre son projet de création des Grands Ballets canadiens. Les deux demandes sont rapidement acceptées par le Conseil. Il y avait décidément du Drapeau là-dessous …

Yoland et moi, gonflés à bloc et le cœur léger, participons à la conférence de presse organisée par M. Boyer dans sa grande maison de Laval-des-Rapides pour lancer la nouvelle compagnie d’opéra.

Mars 1958. Le Barbier est un gros succès artistique et public (malgré les affres qui me secouent à la dernière représentation, le lendemain du I Pagliacci télévisé avec Jobin). En fermant les livres cependant, le comptable découvre un petit déficit de rien du tout. Notre président de banque est mécontent; il faudra retourner devant la Ville, dit-il, et demander une avance sur la subvention de 40 000 dollars prévue pour La Bohème, notre deuxième production.

Entre-temps toutefois, des élections municipales ont eu lieu et M. Drapeau a été défait. Notre équipe se présente tout de suite chez son successeur à la mairie, Sarto Fournier, pour régler la question du déficit. Les crédits pour La Bohème étant déjà votés, nous sommes sûrs qu’il consentira sans difficulté l’avance dont nous avons besoin.

Mais les choses ne se passent pas du tout comme prévu. À notre requête, Sarto Fournier répond textuellement : Je ne donnerai jamais d’argent à des violoneux. » Au lieu (de nous dépanner, il gèle les fonds prévus pour La Bohème. Le Grand Opéra de Montréal est en faillite pour quelques sous.

Profondément déçu, je décide sur-le-champ de repartir pour l’Italie. Je vends tout, maison, meubles, auto. Bye bye Montréal, Québec, Canada. Tout ce que j’abandonne à contrecœur, c’est ma Buick Roadmaster 57. Bas millage et pas chère. Pour le reste, qu’est-ce qu’un chanteur d’opéra québécois a jamais regretté en quittant sa terre natale?

Chapitre 3: Roberto Savoia 

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