L’indigo


L’incident du train en Afrique du Sud révéla au jeune avocat que tant que sa peau serait brune, où qu’il aille dans l’empire, il ne serait jamais un citoyen britannique à part entière. Son implication dans le conflit de planteurs d’indigo lui fit réaliser que jamais les Anglais ne traiteraient avec le peuple de l’Inde d’égal à égal. L’urgence de libérer l’Inde du joug britannique devenait une priorité.

Au cours de la session annuelle du Congrès national indien à Lucknow, un paysan pauvre, émacié mais résolu s’approcha de Gandhi et lui dit : « Je suis Raykoumar Shukla; je suis de Champaran et je désire retourner dans mon district. » Il était venu assister à la session du Congrès dans le seul but de convaincre Gandhi de venir supporter les planteurs d’indigo.

Gandhi lui répondit qu’il devait se rendre à Cawnpore et ensuite dans plusieurs contrées de l’Inde. Cela ne découragea pas le paysan. Il suivit Gandhi pendant plusieurs semaines en lui demandant, chaque fois que l’occasion se présentait : « Fixes-moi une date ».

Ému par la ténacité de Raykoumar, Gandhi lui dit finalement : « Je serai à Calcutta à telle et telle date. Viens m’y chercher pour m’emmener avec toi ». Le jour venu, le paysan obstiné était assis à l’endroit fixé et il attendait que Gandhi fut libre de partir avec lui.

La culture de l’indigo se faisait sur des vastes propriétés appartenant à de riches anglais. Ces terres divisées en métairies étaient cultivées par les fermiers indiens. Ces paysans vivaient dans la terreur; on les battait pour tout et pour rien et si l’un d’entre eux osait se plaindre, on détruisait sa récolte en plus de lui infliger des sévices corporels graves.

Un missionnaire avait osé dire : « Pas une caisse d’indigo n’arrive en Angleterre qui ne soit tachée de sang humain. » Un magistrat avait confirmé cet avis en déclarant à une commission d’enquête : « Je considère cette manière de cultiver l’indigo comme un système sanguinaire. »

Gandhi ne fut pas le bienvenu à Champaran. Le secrétaire de l’Association de propriétaires britanniques refusa de le rencontrer et le commissaire de la province se mit à l’injurier en lui ordonnant de quitter immédiatement le district de Champaran. Gandhi refusa et il décida au contraire, avec d’autres avocats, d’installer son quartier général dans une maison du village.

En route vers un village voisin où un paysan avait été maltraité, Gandhi reçut un avis officiel lui ordonnant de quitter immédiatement. Il signa un accusé réception sur lequel il manifestait son intention de désobéir à cet ordre et il fut cité à comparaître le jour suivant.

Le lendemain, lorsqu’il se présenta devant le tribunal, des milliers de paysans venus de partout entouraient le palais de justice. Pour la première fois de leur vie, ces humbles paysans s’étaient soudainement libérés de la peur de Britanniques. Devant l’ampleur de la manifestation, le ministère public demanda au juge de reporter la cause. Gandhi refusa et insista pour plaider coupable à l’accusation. Le magistrat suspendit l’audience avant de prononcer sa sentence et Gandhi fut libéré temporairement. Les avocats qui avaient jusqu’alors représentés les paysans décidèrent qu’ils iraient en prison avec lui si Gandhi était condamné.

Quelques jours plus tard, Gandhi reçut un avis de la cour l’informant que le vice-gouverneur avait décidé de laisser tomber l’affaire. La bataille de Champaran était gagnée. La désobéissance civile avait gagné sa première cause dans l’Inde moderne.

Avant de quitter la ville, Gandhi négocia une entente entre les métayers et les propriétaires terriens et quelques années plus tard, la culture de l’indigo fut abandonnée et les terres furent données aux paysans.

Cet épisode fut un tournant dans la vie du Mahatma Gandhi. Il avait fait la preuve que dorénavant, les Britanniques ne pouvaient plus lui donner des ordres dans son propre pays. Souvent, les causes les plus humbles ont de grands effets. L’entêtement d’un petit paysan à servi à faire un premier pas vers la libération de tout un peuple.