L’usine de sel


Ne prévoyant pas être arrêté si tôt dans la campagne de désobéissance civile qu’il avait lancé pour faire abolir la taxe sur le sel, Gandhi avait écrit au vice-roi pour l’informer « si Dieu le voulait » de son intention de se rendre à l’usine de sel de Dharasana avec quelques compagnons.

Tant la taxe que le monopole exercé par le gouvernement sur cette denrée essentielle étaient néfastes. À cause de la chaleur tropicale, le sel est aussi nécessaire que l’air et l’eau à tous ceux qui travaillent durement et transpirent, ainsi qu’à leur bétail.

Sa longue marche vers la mer pour recueillir illégalement une pincée de sel avait enflammé l’Inde entière et c’est par millions que les habitants se sont mis à défier la loi dans le respect de l’ahimsa (la non-violence).

L’Inde n’avait plus peur…

Comme le Mahatma était maintenant en prison, ses compagnons décidèrent de donner suite à son projet.

La poétesse Saroyini Naïdou accompagnée de 2,500 volontaires établit son campement à une quarantaine de milles au nord de Bombay. Après la prière du matin, elle rappela les directives de Gandhi publiées dans Young India à l’effet que même s’ils étaient sauvagement battus, il ne fallait pas résister. Elle leur demanda même de ne pas lever les bras pour se protéger contre les coups.

Comme prévu, la répression fut terrible et sanglante.

Manilal Gandhi prit la tête des manifestants et il les mena près de chaudières de sel. Elles étaient protégées par des fossés et des barbelés. Un détachement de 400 policiers sous le commandement de six officiers britanniques assurait la surveillance des lieux.

La troupe de Manilal franchit le fossé et s’approcha de la clôture de barbelés. Un officier leur ordonna de s’arrêter mais ils refusèrent d’obéir. Une vingtaine de policier se lancèrent sur les marcheurs et leur assénèrent des coups de lathis bardés de métal sur la tête. Les manifestants se laissaient frapper sans même lever la main pour se protéger.

Ceux qui avançaient étaient assommés et tombaient inconscients ou se tordaient de douleur. Ils avaient les épaules brisées ou le crâne fracturé. Les survivants, en silence, poursuivaient leur marche jusqu’à ce que les policiers les assomment à leur tour.

Lorsque la première colonne de manifestants fut abattue, une deuxième se mit en marche. Chacun savait que dans quelques minutes il serait assommé ou même qu’il serait mort. Pourtant, comme le raconte Webb Miller, correspondant pour la United Press qui assistait à la scène: « Je n’ai jamais perçu le moindre signe d’hésitation ou de peur. Ils avançaient sans broncher, la tête haute, sans possibilité d’échapper à une blessure sérieuse ou à la mort. La deuxième colonne fut décimée comme la première. Ce n’était pas un combat ou une mêlée, les manifestants marchaient tout simplement en attendant d’être assommés. »

Un nouveau groupe se mit en marche; arrivés près de la clôture, les manifestants s’assoient. Les policiers les frappent au ventre et aux testicules. Une autre colonne se présente et s’assit. Les agents les prennent par les bras et les jambes et les lancent dans le fossé.

Heure après heure, les brancardiers emportent des centaines de corps inertes et ensanglantés. La poétesse et Manilal sont arrêtés; à onze heures, la chaleur est torride (116°F) mais les volontaires poursuivent leur action.

À l’hôpital provisoire, on compte deux morts et plus 300 blessés et agonisants. Les mêmes scènes se répétèrent durant plusieurs jours.

Avec une telle manifestation de courage et de détermination, il était maintenant clair que l’Inde était libre. Légalement rien n’était changé mais plus jamais l’Inde ne se soumettrait à ses oppresseurs britanniques. Plus personne n’avait peur. La culture européenne avait perdu son prestige.

Comme le dit Louis Fisher dans « La vie du Mahatma Gandhi » publié chez Calmann-Lévy, : « Les Britanniques frappaient les Indiens à coup de bâton et de crosses de fusil. Les Indiens ne s’inclinaient pas, ne se plaignaient pas, ne reculaient pas. L’Angleterre était impuissante et l’Inde invincible. Il était maintenant inévitable qu’un jour la Grande Bretagne refusât de gouverner l’Inde et que l’Inde refusât d’être gouvernée. »

Suite : Les jeûnes

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