Cinq ans qui changent tout, 1958-1964


De 1958 à 1964, Claude est témoin d’un bouleversement des institutions de la vie des Canadiens-français. Tout y passe : Église, travail, famille, politique, soins de santé, charité et éducation.

Le 9 octobre 1958, le pape Pie XII meurt après 19 ans à la tête de l’église catholique. Son long pontificat de Pie XII fut marqué par une centralisation progressive et un exercice solitaire du pouvoir. Il agissait comme un monarque. Au conclave, les cardinaux souhaitent à la fois un changement de style gouvernemental et marquer un temps de réflexion face à un monde moderne en rapide évolution. Ils veulent que le nouveau pape en soit un de transition. Étant donné que c’est le premier conclave dont Claude est conscient (en 1939, Il n’avait que 7 ans lorsque Pie XII fut élu), Il est très curieux et a soif de connaître. Il lit donc tout ce qui s’écrit et écoute tout ce qui se dit sur cet évènement important de l’église catholique. Après trois jours de conclave et dix tours de scrutin infructueux, la fumée blanche annonce que le pape est choisi. C’est le cardinal Angelo Giuseppe Roncalli, archevêque de Venise, qui a 77 ans. D’origine modeste, bon diplomate, francophile, de tempérament bonhomme, Roncalli semble le candidat parfait pour assurer un changement sans rupture dans l’Église. Il choisit de s’appeler Jean XXIII.

Claude n’oubliera jamais l’ordre du cardinal Léger qui lui avait défendu d’organiser une danse moderne dans le gymnase du Mont-Saint-Louis. Dans un texte publié par les évêques, ces danses, le « slow » et le « jitterbug », sont considérées comme sources de péchés mortels. Claude ne comprenait pas cette interdiction qui lui a ouvert les yeux sur le fait que l’Église prenait trop de place dans sa vie.

L’Église connaît une résurgence de mouvements laïques qui entre en conflit avec les évêques. Celui des jeunes catholiques a toujours eu un rôle restreint dans l’Église, mais cela change. D’autres s’implantent à plusieurs endroits dont les milieux de travail, loin du contrôle des curés. Certes, ces associations ont des aumôniers mais ceux-ci partagent les aspirations des membres qui tout en étant soucieux d’assurer une présence chrétienne dans le monde industriel en pleine croissance, sont fascinés par le nouveau mode de vie.

On débat sur la confessionnalité des syndicats et des caisses populaires. La confédération des travailleurs catholiques du Canada et les mouvements des caisses populaires Desjardins bénéficient d’une étroite collaboration de l’Église et sont limités aux catholiques. Le syndicat à un aumônier nommé par l’évêque et les caisses populaires sont établis dans les locaux des paroisses. À Montréal, des syndicats neutres reliés aux centrales américaines prennent naissance et bousculent les habitudes. En peu de temps, les syndicats catholiques se rendent compte qu’ils ne font pas le poids avec les nouveaux arrivés et le mouvement Desjardins voit des caisses dissidentes créent la Fédération des caisses populaires de Montréal où tous les clients de toutes nationalités sont acceptés. Peu à peu, les liens avec la paroisse s’atténuent.

La grève de l’amiante à Asbestos fut la première contestation, par les syndicats, du régime politique et laissa des traces amères et de mépris profond dans la société québécoise. Par la suite, la syndicalisation pris son envol. Les grèves qui suivirent à Louiseville et Murdochville reçurent un appui populaire.

La faculté des Sciences Sociales de l’université Laval qui avait contesté Duplessis est punie par ce dernier qui n’engage pas ses diplômés dans le gouvernement. Par contre, ceux-ci sont embauchés par le gouvernement fédéral.

La pauvreté à Montréal est l’affaire de chaque ethnie et chaque religion. Il y a depuis toujours quatre fédérations de charité avec leurs propres campagnes de souscriptions : francophone catholique, anglophone catholique, irlandaise et juive. Un mouvement pour unifier la charité est entrepris et n’aboutira pas avant 15 ans avec la création de Centraide.

Les grandes entreprises ont le choix de payé leurs taxes scolaires aux commissions scolaires catholiques ou aux commissions scolaires protestantes. Comme les entreprises sont surtout dirigées par des protestants, ils optent pour les leurs. Les salaires des enseignants catholiques sont par conséquent moins élevé que ceux des enseignants protestants. La Commission des écoles catholiques de Montréal réclame des salaires égaux pour des qualifications égales. Les protestants expliquent qu’ils doivent faire concurrence avec les salaires payés en Ontario.

Depuis 1950, les paroisses catholiques se multiplient rapidement à Montréal, la ville aux cent clochers, à cause de la population rurale qui y émigrent. Parallèlement, il y a une émigration européenne importante suite au conflit de la deuxième guerre mondiale. Ces paroisses ont tous des noms religieux qui sont repris par les groupements sportifs, scolaires ou bancaires. Ainsi, Claude fait partie des Loisirs Notre Dame-de-la-Garde, il fréquente l’école Notre-Dame-de-Lourdes et il place ses économies à la Caisse Populaire Notre-Dame-de-la-Paix. Il ne dit pas qu’il vit dans tel ou tel quartier, mais dans la paroisse Notre-Dame-du-Sacré-Cœur. Ce sont les sœurs du Saint-Nom-de-Jésus-et-Marie et les frères du Sacré-Cœur qui lui ont enseigné à l’élémentaire et les frères Sainte-Croix et ceux des Écoles Chrétiennes au collégial. La religion est omniprésente.

La future institutrice séjourne deux ans à l’école normale de sa région, après son cours primaire, pour obtenir son brevet C et pouvoir enseigner. Pour augmenter ses qualifications, de plus en plus exigées, elle suit des cours durant l’été à l’université de Montréal qui prend les allures alors d’un couvent géant. Quant aux étudiants, lors de leur retour à l’automne, ils portent fièrement leur Blazer marine avec écusson de l’U de M et leur pantalon gris qui les identifient à leur université.

  L’opposition à l’Union Nationale de Duplessis est de plus en plus forte. Le conflit avec la faculté des sciences de Laval fait boule de neige dans les milieux universitaires. La revue Cité libre avec Pierre-Elliot Trudeau est influente. Ce dernier accuse l’épiscopat de nationalisme traditionnel et affirme que les valeurs de l’Église sont des obstacles à la démocratie et au développement économique du Québec. Deux jeunes prêtres, les abbés Dion et O’Neill, accusent l’Union Nationale d’immoralité politique à cause du patronage qu’elle exerce.

L’Église ne peut suffire financièrement aux nouvelles demandes et c’est le gouvernement qui peut faire face à de telles dépenses par ses taxes et ses emprunts. L’église voit son rôle dans la société perdre de son importance. Au même moment, le pape Jean XXIII rend plus facile aux prêtres et aux religieux d’être relevés de leurs vœux. C’est en masse que ces derniers reviennent à la vie laïque. Comme plusieurs sont des professionnels d’expérience avec diplômes universitaires dans l’enseignement, le domaine hospitalier et les institutions sociales, leurs services sont retenus par l’État qui les réclame car ses demandes dépassent largement l’offre. Ils entrent dans les bureaucraties canadiennes et québécoises et dans les institutions parapubliques où ils continuent leurs carrières sans interruption.

L’Église s’adapte difficilement aux nouvelles réalités auxquelles font face les fidèles. Ses dirigeants n’ont aucune expérience de la vie d’adulte laïque et leur nombre diminue. Mais petit à petit, ils s’ajustent, écoutent et accompagnent ceux qui connaissent l’Église ou qui ne l’ont jamais connue.

En plus de la sécularisation de la société québécoise, le mouvement national renaît. L’unité nationale canadienne est remise en question. Les anglophones et les immigrants y tiennent mais un certain nombre de francophones québécois rêvent à l’indépendance du Québec.