Fidel Castro


Fidel Castro

Le 7 janvier 1959, Fidel Castro, ses compagneros et son armée de barbudos rentrent à la Havane après que le président Fulgencio Batista eut quitté le pays en catastrophe. Fidel est devenu un héros national et une vedette internationale suite à sa longue bataille avec l’armée cubaine. Depuis plusieurs mois, il fait la une des journaux du monde et chaque étape vers sa prise de pouvoir est rapportée avec beaucoup de sympathie. Claude Dupras a suivi, depuis trois ans, les péripéties de ce révolutionnaire et sa montée au pouvoir. Il a lu avidement tout ce qui s’est écrit sur ce personnage fascinant. Il lui semble authentique et si différent de tous les autres qui ont pris le pouvoir par la force en Amérique latine. Il est intelligent, idéaliste, jeune, racé, beau et a du charisme. Comment ne pas être impressionné ?

Cuba est une grande île des Caraïbes d’une superficie équivalente aux trois quarts de l’état de la Floride. En 1959, elle compte plus de 6,5 millions d’habitants. Elle a été, avec Puerto Rico, la dernière colonie d’Espagne en Amérique. Depuis 1898, suite à une guerre d’indépendance durant laquelle les USA sont intervenus, elle est devenue un État « indépendant ». En réalité, c’est un état sous le joug américain.

Né en 1902, Fulgencio Batista est un soldat de carrière qui intervient une première fois en 1934 dans les affaires politiques de Cuba. Avec l’appui des Américains, il force la démission du président progressiste Ramon Grau San Martin et, en accord avec eux, nomme Carlos Mendieta à la présidence. À la suite de l’adoption d’une nouvelle constitution en 1940, il est candidat à l’élection présidentielle et devient le président. À l’élection suivante de 1944, il est défait par Grau San Martin qui reprend son poste. Batista fuit aux USA. En 1952, il revient et dépose, encore une fois par la force, le président élu Carlo Prio Socorras et son gouvernement illégitime est aussitôt reconnu par le gouvernement américain. Au pouvoir, Batista gouverne durement et suspend quelques garanties constitutionnelles, tel le droit de grève.

Fidel Castro, tout comme Batista, est né dans la province d’Oriente d’un père grand propriétaire terrien. Élevé chez les Jésuites, il entre au collège de Beléen à La Havane. C’est un jeune homme brillant qui supporte mal l’échec et les frustrations. Il aime la lecture et s’intéresse particulièrement à l’œuvre du héros de l’indépendance cubaine José Marti. Devenu bachelier en 1945, il entre à la faculté de droit de l’université de La Havane. Motivé par la justice sociale, il se joint à un groupe de militants los manicatos (les vaillants) et s’engage dans la dénonciation des injustices qui accablent le peuple. Il fonde le « Parti orthodoxe » pour contester les augmentations du coût de la vie à La Havane. Délégué de la Fédération des étudiants universitaires cubains, il se rend, en 1949, à Bogota pour l’assemblée interaméricaine estudiantine et est témoin du soulèvement de la population suite à l’assassinat d’un politicien libéral. Il s’engage dans le mouvement à côté des protestataires. De retour à La Havane, après avoir obtenu trois doctorats en droit, il ouvre un cabinet d’avocat et se dédie, entre autres, à la défense des pauvres. Marié à une fille d’une famille puissante liée au gouvernement, il a son premier fils Fidelito. Il divorce et s’en occupe personnellement. Orateur exceptionnel, il mobilise, dès août 1951, les masses et les entraîne contre l’oppression gouvernementale. Son parti le choisit comme candidat pour l’élection de 1952. Elle est annulée lorsque Batista renverse le président. C’est à ce moment-là que débute la bataille politique de Fidel Castro.

Dans un premier temps, il conteste en cour le coup d’état de Batista. N’obtenant pas de succès, il crée deux journaux très virulents contre le dictateur. En un rien de temps les services secrets de Batista descendent sur l’imprimerie. Fidel a 26 ans. Il crée alors des cellules secrètes en vue de préparer une lutte armée. Il a besoin d’armes et le 26 juillet 1953, dirige ses compagneros dans l’attaque d’une caserne militaire à Santiago. C’est un échec total. Trois de ses amis sont morts, 68 sont faits prisonniers, torturés et fusillés. Les autres suivent Fidel vers les montagnes. Ainsi naît le « mouvement du 26 juillet ». Il est vite arrêté. Lors de son procès, il se fait entendre dans un plaidoyer contre la dictature, qui dure cinq heures, et impressionne par sa verve et sa personnalité dominante. Il est sauvé de l’exécution par l’archevêque de Santiago qui intervient à temps mais il est condamné à 15 ans de prison. Le texte de son plaidoyer contient les germes de la révolution qu’il préconise et est diffusé secrètement dans tous les coins du pays. En prison, Fidel est plus déterminé que jamais. Prisonnier solitaire pendant plusieurs mois, il est enfin réintégré avec ses compagnons d’armes et s’évertue à leur donner des cours, écrire des textes et à être positif. Le moral de tous monte. En 1955, il a une belle surprise. Batista accorde une amnistie générale aux prisonniers. Fidel est libéré le 15 mai et prend sur-le-champ la direction du Mexique. Comme il veut continuer son action révolutionnaire, il sollicite des fonds aux USA et y fait des discours pour disséminer ses idées. Au pays des Aztèques, il fait la connaissance de deux hommes qui auront une importance capitale sur son avenir : Che Guevara et Alberto Bayo. Guevara est argentin, médecin et jeune idéaliste révolutionnaire qui veut aider Fidel. Il s’offre pour mener la guérilla contre l’armée de Batista. Bayo est Cubain, a combattu en Espagne contre Franco et met à sa disposition sa compétence militaire. Fidel et son frère Raul, toujours près de lui, apprécient cette nouvelle collaboration.

Le 15 novembre 1956, Fidel annonce que le temps est venu de se rendre à Cuba, alors que le pays connaît une période de prospérité. Les gangsters américains, sous la direction de leur penseur Meyer Lansky, ami de Batista, développent le jeu, le marché de la drogue et la prostitution (la ville est devenue un grand lupanar avec plus de 13,000 jeunes filles qui pratiquent le vieux métier). Lansky a des plans pour faire de La Havane un nouveau Las Vegas sur le boulevard El Malecon qui longe la mer dans la partie hors du centre-ville. La capitale reçoit annuellement 300,000 touristes américains riches. La vie nocturne est frénétique. Les truands s’enrichissent. Le night-club Tropicana est toujours à guichet fermé. Les hôtels Hilton et Riviera sont en construction. L’industrie sucrière est en plein essor. Les investissements de capitaux américains sont nombreux. Malheureusement, l’expansion économique augmente spectaculairement les inégalités entre les habitants de la capitale et la disparité entre les villes et la campagne. La Havane a un taux d’analphabétisme de 10% contre 43% à la campagne. L’activité culturelle est intense. Si on la compare à l’Amérique latine, la capitale a plus de salles cinéma par habitant, est quatrième pour l’espérance de vie, deuxième pour le nombre de téléphones par habitant et première pour le nombre de téléviseurs par habitant. Cuba a une presse nombreuse qui comprend 58 quotidiens et 129 magazines. Son PIB est comparable avec celui des pays pauvres de l’Europe, tels l’Italie, l’Espagne ou la Grèce. Il y a un lit d’hôpital par 300 habitants contre un pour 875 au Mexique mais 65% sont dans la capitale alors que celle-ci n’a que 22% de la population. Enfin, le taux de mortalité infantile est de 32 par mille habitants et Cuba est en 13ième position dans le monde… devant la France. Par contre, si on les compare au Canada et aux USA dont Cuba est si près, les statistiques n’ont rien à voir.

Fidel s’embarque sur une mer houleuse avec 82 insurgés à bord d’un petit bateau de 60 pieds, le Granma, chargé de munitions. Raul et le Che sont là. Tous vivent un vrai cauchemar. L’arrivée a lieu plus tard que prévue. Batista a été prévenu, et ses soldats les accueillent. Seuls douze d’entre eux survivront dont Fidel, le Che et Raul. Finalement, après plusieurs semaines de pérégrination, le groupe forme la première guérilla de la Sierra Maestra et y établit le premier territoire libre de Cuba. Il adopte comme moto Patria o Muerte. C’est à ce moment-là que Claude entend parler pour la première fois de Fidel Castro. De nouvelles recrues se joignent au mouvement et deviennent les barbudos et, le 2 décembre 1956, de jeunes révolutionnaires s’attaquent au palais présidentiel dans le but de tuer Batista. Échec et répression sanglante sont encore au rendez-vous. D’autres batailles du côté de Santiago sont dures et perdues. Par contre, l’opinion publique cubaine ne veut pas de violence et change peu à peu pour s’opposer à Batista.

Le 28 mai 1957, les rebelles attaquent la garnison El Uvero dans un petit village au sud de la Sierra Maestra et sortent victorieux. C’est la première grande bataille de la guerre. « Cette victoire », dit le Che, « nous indiqua que nos guérillas avaient atteint leur maturité. Notre moral s’accrut énormément, notre détermination et nos espoirs de victoire aussi … nous avions enfin trouvé la clé du secret : comment battre notre ennemi ». Le Che est le premier combattant à être promu commandant par Fidel. En juillet, Fidel émet le « Manifeste de la Sierra Maestra » qui appelle les Cubains à former un front révolutionnaire civique pour « terminer le régime de force, la violation des droits individuels et les crimes de la police ». À Santiago, 60,000 personnes assistent aux funérailles d’un jeune leader de 23 ans du « mouvement du 26  juillet », tué par le chef de police. Les rebelles remportent plusieurs victoires. L’ex président de l’association médicale de Cuba dénonce, au congrès international de médecine à Istanbul, les atrocités du régime Batista. La revue Revista Carteles rapporte que Batista possède vingt comptes bancaires à numéro en Suisse, que les compagnies américaines ont soutiré $77 millions  de profits durant l’année et que le capital américain contrôle 90% des mines cubaines, 80% des services d’utilités publiques, 50% des chemins de fer, 40% de la production de sucre et 25% des dépôts bancaires.

Au début de 1958, Batista reçoit $1 million d’aide militaire des USA. Ses avions, ses bateaux, ses armes et tout son équipement militaire sont fournis par les Américains et son armée est entraînée par une mission conjointe des trois branches de l’armée américaine. Radio Rebelde inaugure ses transmissions pour « un territoire libre à Cuba ».

Le 23 février 1958, le coureur automobile argentin Fangio est enlevé durant 24 heures et du coup, Fidel et ses barbudos deviennent connus dans le monde entier. Un appel à une grève générale, le 9 avril, est un échec et se termine par 200 morts. Plus de 45 groupements civiques (avocats, architectes, comptables, dentistes, ingénieurs, professeurs, travailleurs sociaux…) signent une lettre ouverte appuyant le « mouvement du 26 juillet ». Le rythme des victoires des castristes continue.

Radio Rebelde transmet le texte du « pacte de Caracas » qui appelle à l’insurrection, à l’établissement d’un gouvernement provisoire et à la fin de l’aide américaine à Batista. Le 31 octobre, pour montrer son appui à Batista, le secrétaire d’état américain John Foster Dulles et son épouse dînent à l’ambassade cubaine à Washington pour commémorer Teddy Roosevelt qui empêcha l’armée de libération cubaine de 1898 d’entrer à Santiago. Les villes et villages de Baire et San Luis sont capturés, puis suivent Fomento, Jiguani, Caimanera, Mayajigua, Guayos, Cabaignan… et une quinzaine d’autres.

Au début de l’automne, Fidel lance un appel pressant aux Cubains pour faire des sacrifices et des économies et suggère aux parents de ne pas acheter de jouets aux enfants à l’époque des fêtes à cause de la crise qui sévit dans le pays. Il promet en revanche à ces enfants et particulièrement à ceux de la province d’Oriente de les « bombarder » de jouets à la première occasion après que Batista sera renversé. Il veut, par ce geste symbolique leur faire oublier les horreurs des bombardements par les avions de Batista. Le 29 décembre, le Che prend Santa Clara et fait mille prisonniers. Fidel et Raul descendent vers Santiago. La veille du jour de l’an, se sentant battu, Batista s’enfuit de la capitale avec ses sacs d’or vers Saint-Domingue en République Dominicaine. Le lendemain, du haut d’un balcon face à la Cathédrale, Fidel fait son premier discours de vainqueur à la place centrale de Santiago. Puis il entreprend sa route vers La Havane.

Le 1er janvier 1959, Che Guevara et Camilo Cienfuegos rentrent à La Havane et prennent contrôle de la capitale. Le lendemain, Manuel Urruti est installé comme président et José Mira Cardona comme premier ministre. Ce sont des nominations temporaires pour combler les postes afin que le pays ait un gouvernement. Il est aussitôt reconnu par les Américains.

Le 7 janvier, Fidel Castro arrive à La Havane aux acclamations d’une foule débordante d’allégresse. Il choisit l’Habana Hilton pour loger les quartiers temporaires de son gouvernement révolutionnaire. Fidel comprend bien l’ironie et la sagesse de sa décision, car cet hôtel a été construit dans les dernières heures du régime Batista. C’est une tour qui est devenue le symbole de l’intervention américaine en Amérique latine.

Le 12 janvier, 75 hommes de Batista et des ex policiers sont exécutés pour cruauté et violence. Le lendemain, Fidel annonce que les procès militaires continueront jusqu’à ce que tous les criminels du régime du dictateur Batista soient punis.

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