Pendant ce temps au Québec, le débat sur la démocratie tourne autour de deux autres lois de Duplessis, adoptées au début de 1954 et qui font croire au lien entre nationalisme et antisyndicalisme. La loi 19 permet la «décertification» de syndicats ayant toléré la présence de communistes dans leur direction. La loi 20, de son côté, prévoit une «décertification» pour tout syndicat qui déclencherait une grève dans les services publics. Elles sont rétroactives à janvier 1944. Ainsi, l’Alliance des professeurs de Montréal est «décertifiée». Gérard Picard dénonce «l’hostilité concentrée dont les travailleurs du Québec sont victimes». Malgré que plusieurs se demandent comment un syndicat catholique peut s’opposer à un gouvernement catholique, une partie du clergé, après Monseigneur Charbonneau, manifeste une ouverture à l’endroit du syndicalisme catholique. D’autres comme les sœurs de la Providence qui ont des rapports difficiles avec leurs infirmières syndiquées soutiennent Duplessis. Deux abbés, Dion et O’Neill, préparent un long dossier sur les principes chrétiens de la démocratie. Pour eux, l’arbitraire n’a pas de place en démocratie car tous sont soumis à la loi et les gouvernants n’ont le droit ni de faire des lois, ni d’administrer la chose publique à leur guise. Ils dénoncent aussi les mœurs électorales et affirment «qu’aucun catholique lucide ne peut être indifférent face au déferlement de bêtises et d’immoralité que l’on constate durant les élections». Les antiduplessistes ont de nouvelles flèches à leurs arcs.
Durant ces mêmes années, le contexte social est difficile à Montréal. La charité publique se divise inégalement entre les Canadiens français, les Irlandais, les anglophones, les Juifs et les Anglais protestants. C’est chacun pour sa poche (Centraide n’existe pas).
Au niveau scolaire, les entreprises peuvent payer leurs taxes soit au niveau protestant soit au niveau catholique. Ils ont le choix. Mais comme les Canadiens anglais contrôlent les affaires et les grandes entreprises, ce sont les commissions scolaires protestantes qui sont les plus gâtées. Par conséquent, les enseignants des écoles anglophones gagnent beaucoup plus que ceux des écoles francophones. Ces derniers sont majoritairement des sœurs et des frères de communautés religieuses ou des filles célibataires. Les paroisses catholiques à Montréal se multiplient comme des lapins suite à l’immigration rurale à laquelle s’ajoutent les nouveaux immigrants européens qui commencent à arriver au pays. En plus des logements, des églises et des écoles qui se construisent partout, on voit surgir de nouvelles caisses populaires et de grandes épiceries Steinberg. Les nouvelles écoles pullulent dans les villages et dans les rangs. Duplessis construit ! Les enseignantes qui sont fortement majoritaires et les enseignants doivent apprendre leur métier durant deux ans à l’école normale de leur région qui est dirigée généralement par les communautés. Ceux et celles qui veulent enseigner à l’université doivent suivent des cours d’été à l’U de M. Ce sont surtout des sœurs qui se préparent pour l’école du haut savoir au point que le campus a des airs de couvent.
Les écoles supérieures (secondaires) sont rares et ne débouchent pas aux études collégiales et universitaires. Par conséquent, les élèves de ces écoles ne persistent pas et quittent prématurément les études. De leur côté, les collèges ne manquent pas. Il y en a plusieurs qui sont classiques où étudient les jeunes de l’élite et qui sont utiles pour le recrutement des prêtres, d’autres scientifiques et commerciaux comme le Mont-Saint-Louis et ceux qui donnent le cours secondaire comme le Collège Notre-Dame.
Au point de vue de la santé, les spécialités médicales se multiplient dans les hôpitaux, tout comme celles des nouvelles technologies et ceux-ci se voient obligés d’augmenter leurs tarifs. Comme il n’y a pas d’assurance maladie, la population, qui n’est pas protégée de l’inflation, a une difficulté croissante à payer les nouveaux frais. Elle s’irrite et met en cause les communautés religieuses qui contrôlent les hôpitaux. La situation devient scandaleuse, lorsque les sœurs exigent des patients de faire la preuve de leur capacité de payer avant l’admission à l’hôpital. Les classes populaires accusent les sœurs de faire des affaires au lieu de la charité. Les politiciens cherchent des solutions et le parlement canadien adopte unanimement en 1957 l’acte d’«Assurance hospitalisation et de services diagnostiques».
Le taux de natalité commence à baisser à cause de ces problèmes et du fait que la très grande majorité des travailleurs francophones et des nouveaux arrivants de la métropole sont locataires et vivent dans de petits logements vieillissants. Quant à la classe moyenne qui se loge dans des maisons de la banlieue, elle fait son choix entre de nouveaux enfants ou avoir son nouveau standard de vie qu’elle aime. Les curés perdent leur emprise sur les femmes.
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