L’été 1954


Après l’extraordinaire été de 1953, Claude a hâte à celui de 1954. Dès le début de mai, il rejoint l’ingénieur Baillargeon du Service du drainage pour lui offrir à nouveau ses services pour l’été qui approche. Il est surpris d’apprendre qu’il n’y a pas d’emploi pour lui. On lui reproche l’incident de la fourgonnette du Service que Claude avait utilisée, sans permission, pour faire le long voyage aller-retour de l’Abitibi à Montréal en août dernier. Il avait bien tenté alors d’expliquer les circonstances de cette erreur, croyait ses arguments acceptés et que tout était oublié. Mais non, il est sur la liste noire. Il a manqué à ses responsabilités et il paye aujourd’hui pour ce manque de jugement. Claude est blessé profondément par ce qu’il vient d’apprendre mais sait au fond de lui-même que le Service a raison. Il va prendre sa pilule et en tirer une leçon pour l’avenir. Il doit être en tout temps responsable. Cela deviendra son leitmotiv au travail et dans ses actions.

Il part à la recherche d’un autre emploi. Au camp d’arpentage, un des professeurs, ingénieur et arpenteur-géomètre, lui offre de venir travailler à son bureau pour l’été. Il s’agit de la firme Gohier et Dorais. Claude connaît la firme de renom. Ernest Gohier est un ingénieur réputé et est devenu président du nouvel Office des autoroutes du Québec qui planifie la construction d’une autoroute de Montréal à Saint-Jérôme. Son associé, Gabriel Dorais est professeur à Polytechnique et enseigne l’arpentage. Claude a été un de ses élèves. Dorais a un problème d’alcool et cette mauvaise habitude nuit considérablement à ses affaires et à sa réputation. Claude entre dans un bureau où les principaux associés ne sont plus actifs mais a confiance en l’ingénieur Darcy Saint-Pierre qui prend la relève. Il croit qu’il bénéficiera sûrement de ce qu’il apprendra derrière sa table à dessin.

Au début de juin, il se présente au bureau situé au deuxième étage de l’édifice des Artisans sur la rue Craig, près de Saint Denis. Dès les premières semaines, Claude sent qu’il n’aimera pas ce travail. Les arpenteurs et leurs équipes sont toujours en dehors du bureau à faire leur relevés et apportent à Claude, à la fin de la journée, leurs carnets de notes afin qu’il transcrive les données sur des plans. Il s’embête, est entre quatre murs, n’est pas motivé au point qu’il se demande s’il a bien fait de prendre la carrière d’ingénieur. L’été sera long. Il pense à lâcher et à chercher un autre l’emploi. Mais il a donné sa parole à l’ingénieur qui lui a fait confiance et qui a besoin d’aide pour l’été. Il s’est engagé jusqu’en septembre et y demeurera advienne que pourra. Durant l’été, rien ne s’améliore et Claude ressent le laisser-aller évident de cette entreprise et estime qu’elle est vouée à fermer ses portes dans un court laps de temps. Elle a été une des plus grandes firmes d’arpenteurs-géomètres du Québec et ses deux associés ont été reconnus comme les meilleurs dans leur champ d’expertise. Sans eux, sans leur compétence, sans leur input, sans leur dynamisme, le nombre de clients s’amenuise.

En dehors du travail, il est souvent à la Baie Missisiquoi ou avec ses amis de Verdun. Il rencontre le curé de la paroisse Venise-en-Québec qui lui demande d’organiser une première bénédiction des bateaux qui mouillent dans la baie. Plus de 75 sont au pied du quai le jour de l’événement. Devant 200 spectateurs, le curé, accompagné de deux enfants de chœur, prie pour la sécurité de tous ceux qui viendront à la baie pratiquer les sports aquatiques et bénit les embarcations. L’activité sera répétée pendant plusieurs années à venir.

Claude fréquente régulièrement sa blonde Denise B. Et ils vont souvent au chalet de la baie et de là visitent les villes américaines près «des lignes». Le 1er juin, elle lui organise une belle fête surprise pour son anniversaire et ses amis lui remettent une collection de disques de Charles Trenet. Ils ont de nombreuses rencontres avec leurs amis de Poly. Ils visitent Pierre Deguise et sa blonde Louise, au chalet de ses parents au Lac Achigan. Pierre présente à Claude son père, Paul Deguise. Monsieur Deguise est un des rares ingénieurs-conseils canadiens français de Montréal qui se spécialisent en mécanique et électricité. Il a une très bonne réputation professionnelle.

Claude a hâte à septembre alors qu’il entreprendra sa dernière année à Poly après avoir bien réussi sa 4ième année.