La parenté, les vacances


Les affaires de la shop et du salon de coiffure deviennent relativement prospères, même si la coupe de cheveux est à vingt-cinq cents et la permanente à un dollar. La famille n’est pas riche, mais vit bien et toujours un peu mieux, car les affaires croissent sans cesse. Les profits suivent. En plus, la vie de famille est tissée très serrée. Exception faite de l’été, aucun dimanche ne s’écoule sans une visite chez l’oncle Duffy ou l’oncle Bibeau pour y rencontrer la parenté. C’est, pour Jean-Claude et Pierre-Paul, l’occasion de revoir leurs nombreux cousins et cousines. Il y a aussi Mémère Dupras à Saint-Jérôme, ou encore Mémère Lalonde à Saint-Henri. Toute la famille est heureuse de se retrouver aussi souvent et tout le monde s’en porte mieux. C’est que, en plein cœur de cette Grande Dépression, tous ne s’en tirent pas aussi bien que Charles-Émile et Antoinette. La famille s’entraide le plus possible. L’oncle Bibeau, épicier à Saint-Henri, n’a pas trop de problèmes, mais l’oncle Duffy, ouvrier et père d’une grosse famille (six filles et un garçon) a plus de difficultés à joindre les deux bouts. Mémère Dupras et Pépère Dupras – il a quitté son emploi à la Dominion Rubber – ont aussi des difficultés, car ils n’ont pas de revenus de pension. Mémère Lalonde, une femme de caractère, travaille et vit de ses propres revenus. Léopold a rejoint Charlot à l’usine Robertson et devient soudeur. Leurs salaires de misère permettent tout juste à leurs familles de survivre dans ces temps de plus en plus difficiles.

L’été venu, Charles-Émile loue, pour une période d’un mois, un « camp » à Pointe-Calumet, sur le bord du Lac des Deux-Montagnes. Antoinette profite bien du temps qu’elle y passe en compagnie de Jean-Claude et de Pierre-Paul et elle reprend les énergies perdues durant ses longues heures de travail au salon. Elle prend plaisir à se détendre au soleil dans sa chaise longue ou directement sur la plage et à se baigner dans le lac tous les jours. Elle initie Jean-Claude et Pierre-Paul à l’eau et leur apprend à nager. D’ailleurs, elle nage elle-même très bien et adore faire la planche. Quant à Charles-Émile, il ne prend pas de vacances mais fait le voyage de Verdun deux ou trois soirs par semaine. Il a toujours bien hâte au samedi soir quand il arrive au « camp ». Il n’en repart que le lundi, après le repas du midi. Le « camp » fait partie d’un ensemble de structures alignées et identiques, de construction rudimentaire. Juché sur pilotis, en bois, il est peint en vert et dispose d’une véranda grillagée. Pour toute toilette, une cabane en bois à l’extérieur qui dessert plusieurs « camps ». Malgré ce côté un peu spartiate, les Dupras apprécient leur temps à la campagne et font tout pour que leurs garçons apprennent et s’amusent. Ils vont ensemble à la chasse aux grenouilles, couper des quenouilles pour Antoinette, pêcher la barbotte, la perchaude et l’achigan avec Charles-Émile, « faire » de la chaloupe, pique-niquer régulièrement, regarder passer les voiliers et plein d’autres choses. Ce grand lac et le fleuve Saint-Laurent que Jean-Claude a sous les yeux à Verdun développent chez celui-ci un goût pour les grands espaces marins et il rêve de naviguer sur un grand bateau pour partir au loin, très loin. Charles-Émile rend aussi visite à sa sœur Albertine qui passe l’été à Saint-Calixte, avec sa nombreuse famille.