La revue Bleu et Or


La reprise de la revue Bleu et Or est en pleine organisation à la Société artistique. Thiffault craint de ne pouvoir égaler les spectacles passés et suggère de parler de «soirée de variétés» au lieu de revue. Claude collabore étroitement avec le comité et particulièrement avec son ami de Verdun, Jacques Girard, qui est vice-président de la SAUM. Cependant, il utilise toujours l’expression revue Bleu et Or car il a confiance qu’ils réussiront à faire quelque chose de grand. Il a beaucoup d’idées mais ne s’y connaît pas vraiment. Heureusement, le comité est aguerri au domaine du spectacle et recrute des jeunes doués pour ce genre de show. La revue aura lieu dans le grand amphithéâtre de l’université le 28 octobre. La préparation du programme va bon train et plus de 60 carabins aux talents variés sont recrutés pour présenter leur numéro. Le choeur Bleu et Or sera de la partie. Mais il manque un maître de cérémonie et finalement faute de mieux, on propose à Claude de remplir cette tâche. Il réalise qu’il devra parler devant un auditoire de plus d’un millier d’universitaires. Non, il ne peut pas et refuse. Le comité insiste et ajoute comme co-MC Jean-Guy Mongeau. Finalement, pour ne pas être «un casseux de veillée», il accepte. Parmi les «artistes» il y a un étudiant en sciences sociales, Claude Léveillée, reconnu pour avoir un grand talent de compositeur et qui improvise bien au piano. De plus, il interprète ses chansons et connaît de bons succès dans les partys. Il n’a jamais participé à un grand spectacle et fera son début à la revue Bleu et Or. Claude a déjà entendu chanter Léveillée mais le rencontre personnellement pour la première fois lors des premières répétitions. Le chargé de la revue aimerait bien que Léveillée fasse plus que son numéro et propose à Claude de se joindre à lui pour monter un sketch imitant le duo du chanteur Jacques Normand et du caricaturiste Norman Hudon. Léveillée jouera Normand et Claude sera Hudon. Ils répètent ensemble quelquefois et décident d’improviser autour de quelques thèmes et idées.

Le soir de la revue arrive. Le spectacle débute par des maîtres-bouffons et se termine dans une pantomime (un drame étudiant) «la trinité de la terre: la piastre, la bouteille, la femme». Entre les deux, il y a un orchestre (les Pas-Barés), un monologue intéressant, quelques sketchs sur les médecins et les avocats qui amusent l’auditoire, une exhibition de judo qui l’épate, une chanteuse… Le grand moment de la soirée est la prestation de Léveillée. Il connaît un succès instantané et devient pour l’auditoire une révélation. Le sketch de Claude avec Léveillée passe aussi la rampe. Comme MC, Claude se tire relativement bien de sa tâche et son point fort arrive à la fin du numéro du chœur Bleu et Or. Alors que le choeur s’apprête à quitter la scène, il l’invite, à l’improviste, à y rester pour chanter avec lui la nouvelle chanson à répondre «le rapide blanc», qui fait fureur au Québec:

Il vient frapper à la porte, awignahanhan awignahanhan

La bonne femme lui a demandé

Ce qu’il voulait ce qu’il souhaitait

Ah, je voudrais ben madame

J’voudrais ben rentrer

Ah ben a dit rentrez donc ben hardiment

Mon mari est au rapide blanc

Y a des hommes de rien qui rentrent pis qui rentrent

Y a des hommes de rien qui rentrent pis ça m’fait rien, awignahanhan

Le directeur du chœur est surpris et pas très heureux de l’initiative de Claude, mais les membres du chœur se prêtent avec grâce aux demandes de Claude qui les dirige et entraîne la salle avec «awignahanhan awignahanhan». Globalement, la revue est appréciée. Guérard écrit dans le Quartier Latin «Un succès formidable… Pour une surprise c’en fut une» et il annonce qu’on «envisage de le reprendre avec cette fois la collaboration possible de la Radio et de la Télévision» (ce qui n’arrivera pas). Quant au journaliste étudiant Bernard Crevier (QL) «du début jusqu’à la fin une soirée d’intéressants divertissements… la revue«Bleu et Or» est ressuscitée». Évidemment, elle n’est pas à la hauteur des revues Bleu et Or d’antan, mais qui sait dans l’avenir. Léveillée deviendra un monstre sacré de la chanson québécoise et Claude sera fier d’avoir proposé le premier spectacle dans lequel il a fait ses débuts. Il n’oubliera jamais son sketch avec lui.