Chanter dans le Midi
L’un de mes théâtres préférés en France était situé dans une ville au climat nettement plus clément: celui de Nice, dirigé par l’inénarrable monsieur Aimé. Comme l’opéra ne suffisait pas à l’occuper, monsieur Aimé dirigeait aussi les arènes d’Arles, de Toulon et de Nîmes, où se déroulaient des combats de taureaux.
Monsieur Aimé essayait toujours d’attendrir les chanteurs: «Tu me coûtes plus cher qu’un taureau, se plaignait-il, fais-moi un prix ! Je suis tellement pauvre que ma femme est obligée de vendre des bom-boms aux arènes de Nîmes. » Avec son accent pimenté du Midi, il était difficile de le prendre au sérieux, d’autant plus que la «pauvre» madame Aimé se pavanait partout dans ses fourrures et ses bijoux. J’aurais bien voulu être aussi pauvre qu’elle.
Monsieur Aimé était un personnage haut en couleur. Un jour que je termine pour lui une série de représentations de Don Quichotte, il me demande de demeurer à Nice une semaine de plus pour chanter, en français, le Consul dans Madama Butterfly. Le pauvre avait perdu son baryton.
Mais il y avait un hic: les représentations commençaient le lendemain même. Je voulais bien lui faire plaisir, mais comme je ne connaissais le rôle qu’en italien, il me faudrait le réapprendre au complet en quelques heures. Et Aimé a le toupet de me demander, une fois de plus, de lui «faire un prix». Je lui rétorque: «Cette fois, vous exagérez! Je vais vous facturer la traduction!» Ça lui en a bouché un coin.
Cette saison-là, le théâtre de Nice présentait également Les Pêcheurs de perles de Bizet. Aimé veut que je remplace le Zurga qu’il a déjà retenu. Je refuse. Il décroche :aussitôt le téléphone. Avec un peu de chance, Roger Lalande, directeur de l’Opéra de Bordeaux, lui prêtera André Catin.
«Allô, Roger? C’est Aimé, à Nice. Dites-moi, votre baryton Cataigne est-il toujours en saison?
– Qui?
– Votre baryton Cataigne, pouvez-vous me renvoyer?
– Le baryton qui? Je ne comprends pas!
– Le baryton CATAlGNE! CATAlGNE COMME DANS PUTE, MERDE! »
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