Le hockey


C’est sur la patinoire extérieure de son école que Jean-Claude apprend à jouer au hockey. La patinoire est accessible en tout temps, sauf quelques soirs ou le matin quand les frères l’arrosent pour entretenir la glace. Jean-Claude ne joue pas très bien parce que ses patins, ayant appartenu à son père, sont vieux. Il patine « sur la bottine », comme disent ses amis et c’est très vrai. Il manque aussi de souffle. Il n’est pas fort physiquement car il grandit trop vite et n’a jamais pratiqué de sports de compétition. Mais, malgré cela, vêtu du chandail, de la tuque et des bas longs du club de hockey Canadien qu’il a reçu en cadeau de ses parents à Noël, il joue dur, sans bataille et les parties de scrap qui s’organisent spontanément sur la glace lui permettent Jean-Claude avec son ensemble du Canadien, sur la rue Henri-Julien, devant la résidence de l’oncle Duffyde jouer en équipe. Rapidement, il se met à transpirer malgré les grands froids car il se donne intensément au jeu. Il a un plaisir fou.

Il est tellement fier de son ensemble aux couleurs bleu blanc rouge qu’il le porte même lorsqu’il visite ses cousins et cousines. Il suit de près les parties des Canadiens pour savoir si Maurice Richard a compté. Le Rocket connaît alors ses meilleures années et c’est la grande vedette du Québec. Les chances pour les Canadiens d’emporter cette saison la coupe Stanley sont grandes. Les Canadiens ne l’ont pas gagnée depuis 11 ans. Le journaliste sportif Charles Mayer et le commentateur des parties à la radio Michel Normandin prédisent tous deux que cette année est la bonne. La ferveur est grande, les Canadiens dominent le classement et Maurice Richard brille à toutes les parties. Jean-Claude n’écoute le soir à la radio que la description de la première période, car il doit se coucher tôt. Dès son lever, il court réveiller Charles-Émile pour savoir si ses favoris ont gagné et si Richard a marqué. Malheureusement, les Canadiens n’emporteront pas encore la coupe cette année. Ce sera en 1944.

La cour de la maison de la rue Beatty est grande et carrée. Il y a place pour une belle patinoire de 400 pieds carrés. Jean-Claude demande à son père s’il peut la construire mais celui-ci ne n’est pas très enthousiaste, se voyant déjà obligé de la pelleter et de l’arroser. Il ne veut rien faire sauf y patiner et finalement accepte si les garçons s’occupent de tout. Jean-Claude accepte avec plaisir. Il se met à l’œuvre avec son frère. Ils déblaient d’abord la neige pour retrouver la surface plane du terrain. Ce n’est pas facile. Ils n’ont pas de bonnes pelles et la neige est durcie par endroit à cause d’une fine pluie qui est tombée la veille. Le soir, Charles-Émile inspecte les travaux et constate leur peu d’avancement. Le lendemain, il part acheter trois pelles à la quincaillerie Sauvé, une large pour lui et deux plus petites pour les garçons. Il rentre à la maison où les garçons sont tout surpris de le voir arriver avec ces pelles.

Ensemble, ils nettoient le fond de la future patinoire et forment autour des murets de neige pour la délimiter. Tout le monde a grand faim après ce travail et mange de bon appétit le délicieux repas de maman. Après, on s’habille bien chaudement. Antoinette branche le tuyau d’arrosage au robinet de l’évier de cuisine et le laisse passer par la fenêtre entrouverte. À tour de rôle, en commençant par Jean-Claude, ils arrosent. Là encore, il faut y mettre le temps. Le terrain n’est pas complètement plat, la neige arrosée fait des « moutons » (petits morceaux de glace relevés). Il faut arrêter, gratter, arroser à nouveau. Le travail ne sera terminé que le lendemain par Jean-Claude qui s’y met dès son retour de l’école. Le soir, la patinoire est prête. Mais il faut attendre encore une journée pour jouer sur une belle glace dure. Le moment venu, tout le monde a les patins aux pieds, sauf Antoinette qui, ne voulant pas prendre de risque à cause de sa grossesse, a renoncé à chausser ses patins aux bottines blanches. On organise des parties de hockey avec les voisins qui accourent en nombre. La vie est belle!

Un matin, vers la fin de l’hiver, Jean-Claude se lève, regarde sa patinoire par la fenêtre de la cuisine et remarque qu’elle est couverte de cendres grises et brunes. Pourtant il l’avait bien arrosée avant de se coucher la veille. Il sort et constate en effet qu’on a répandu partout sur la glace de la cendre provenant de fournaises à charbon, probablement immédiatement après l’arrosage de la veille. Il a vite fait de découvrir qu’il s’agit d’un coup de la bande de jeunes Canadiens anglais qui font la pluie et le beau temps dans la ruelle de la rue Beatty. À plusieurs reprises, en bicyclette, il a subi leurs agressions. Depuis, il passe par la rue et gagne la cour par le passage qui longe la maison.

Il décide d’oublier la patinoire pour cette année. Ils se reprendront l’hiver prochain. Il faut régler ce problème de rapports avec la bande de jeunes anglophones. L’occasion se présente au cours du printemps. Un jour, Jean-Claude et Pierre-Paul, juchés sur leurs bicyclettes, décident d’emprunter la ruelle pour rentrer à la maison. Tout à coup surgissent devant eux quatre jeunes Canadiens anglais munis de battes de baseball. Ils raillent ces French pea soup, l’injure méprisante que les Canadiens anglais servent aux Canadiens français, en les menaçant. Jean-Claude avance et fait comme si de rien n’était, jusqu’à ce qu’il doive s’arrêter et mettre le pied à terre pour éviter de tomber. On se moque de lui, on le tasse avec les battes qu’on lui enfonce dans le ventre, on tape dans sa bicyclette et on lui fait toutes sortes de menaces. Pierre-Paul, qui a roulé 15 pieds, fait demi-tour et s’approche d’eux. Ils avancent sur lui alors qu’il descend de sa bicyclette. Il la saisit par la roue avant avec les deux mains et se retourne en faisant avec sa bicyclette des grands moulinets de 360 degrés dans les airs. Il accroche deux des Canadiens anglais à la tête. Il laisse alors tomber son vélo et s’empare d’une des battes tombées à terre. Il se précipite à leur poursuite en leur criant des injures et en menaçant de leur administrer des coups tandis qu’ils s’enfuient sans demander leur reste. Jamais Jean-Claude et Pierre-Paul ne seront importunés par la suite. Le premier admire son jeune frère. Celui-ci, qui n’a que sept ans, se retrouve avec une batte de baseball. L’hiver suivant, la patinoire connaît une saison normale