L’école de Verdun


L’école Notre-Dame-de-Lourdes se trouve sous la direction des Frères du Sacré-Cœur. Jean-Claude, en joignant la classe de 5ième année, est surpris de la différence d’ambiance avec le pensionnat des soeurs. Ici, la discipline ne semble pas exister. Les cris des élèves sont assourdissants et un escalier ne se monte ou ne se descend que trois marches à la fois, à grandes enjambées. Les murs sont égratignés, les fenêtres plus ou moins nettes, les planchers propres au milieu mais sales dans les coins et rien ne reluit dans ce bâtiment de quatre étages où les frères ne semblent pas trop s’en faire. Ses compagnons de classe sont aussi très différents. Alors qu’au pensionnat tous semblaient sortir du même moule, il côtoie ici des types qu’il n’a jamais vus. Toutes les classes de la société sont représentées. Plusieurs de ses nouveaux camarades viennent de familles très pauvres qui ont souffert et souffrent encore, de malnutrition et d’insalubrité. Il remarque leurs vêtements usés, déchirés, recousus, mais toujours bien repassés et leurs pantalons souvent trop courts.

Plusieurs ont redoublé et sont par conséquent plus vieux que Jean-Claude parce que leurs parents, non instruits, sont incapables de les aider avec leurs devoirs ou leurs leçons. Ceux-ci veulent qu’ils aillent à l’école jusqu’à l’âge de quatorze ans, le minimum légal. Atteignant alors possiblement la 9ième année, ils se retrouveront ainsi avec un minimum d’instruction, mais ils seront en mesure d’aller travailler pour aider leur famille à passer à travers les difficultés financières qui les assaillent.

Cette pauvreté vient souvent du fait que les familles sont nombreuses. On y compte six, sept, huit et voire même douze enfants. Jean-Claude se rend compte que certains sont des « durs » et cherchent à imposer leur loi. Et même s’il a beaucoup grandi et qu’il est le plus grand de sa classe, il est très impressionnable et n’est pas toujours sûr de ce qui lui arrivera après l’école s’il ne se soumet pas aux diktats de ces « taupins ». Les premières semaines sont difficiles, mais il n’est victime d’aucun sévices et il en vient à la conclusion que ses nouveaux amis ont l’air plus dur qu’ils ne le sont en réalité. Il s’ennuie de l’atmosphère du Mont-Jésus-Marie. Pierre-Paul, pour sa part, s’intègre mieux car il n’a pas froid aux yeux et ne se laisse pas intimider. Ses copains ont eu vite fait de comprendre qu’il vaut mieux le compter parmi leurs amis. Il n’est pas agressif, mais il sait se défendre.

L’école est un magnifique bâtiment situé de biais avec l’église de la paroisse Notre-Dame-de-Lourdes, au coin de la 5ième avenue et de la rue Verdun. Jean-Claude s’y rend à bicyclette. La Commission Scolaire a une entente avec la Communauté des Frères du Sacré-Cœur, reconnue pour produire de bons religieux éducateurs, pour diriger quelques-unes de ses écoles, notamment celle des deux fils Dupras. Le professeur de Jean-Claude est un frère d’environ 35 ans, sérieux, bon pédagogue, dévoué, qui sait se faire respecter par son comportement digne. Il enseigne, avec les livres publiés par sa communauté, la grammaire, l’arithmétique, l’histoire et la géographie. Tous l’aiment bien. C’est un homme heureux et cela se sent. Dès le début de l’année, il garde Jean-Claude à la fin des cours pour lui demander ce qu’il veut faire.

Le frère connaît déjà son parcours car Antoinette est venue le rencontrer en début d’année scolaire pour lui faire part de son séjour au pensionnat. Il est vivement impressionné par ses notes et les décorations qu’il a reçues. Il se rend compte que Jean-Claude aime le chant et lui suggère de rencontrer le directeur de la chorale de l’église paroissiale pour passer une audition et voir s’il peut en faire partie. C’est une grande chorale renommée dans le sud-ouest de Montréal qui chante à l’occasion dans les églises de la région. Jean-Claude est ravi et il accepte avec empressement. Le directeur le rencontre à l’issue d’une répétition dans le jubé de l’église au cours de laquelle notre garçon, assis dans un coin, écoute attentivement. Il est très impressionné et se dit qu’il ne sera jamais accepté pour faire partie de ce groupe. Le directeur lui demande de chanter un cantique de Noël. Sans accompagnateur, Jean-Claude s’exécute. Le directeur écoute, sans manifester quoique ce soit. Il lui demande ensuite de chanter une chanson de son choix. Jean-Claude joue le tout pour le tout et se lance dans « le petit kaki ». Le directeur se fend d’un sourire et lui demande d’être présent à la répétition dans deux jours. Le garçon saute de joie, remercie le directeur, descend du jubé à toute vitesse, retrouve sa bicyclette, l’enfourche et roule à fond de train annoncer la bonne nouvelle à sa mère. Celle-ci est très fière de son gars.

Les répétitions sont nombreuses et longues, mais agréables. Jean-Claude est heureux car il constate qu’en apprenant bien ses « parties » et en écoutant le directeur qui sait bien diriger, il contribue avec les autres membres de la chorale à la réalisation de belles œuvres. La chorale chante à l’occasion des grand-messes, des offices des fêtes de Noël et des fêtes d’obligation (l’Épiphanie, la Pentecôte, l’Assomption, l’Immaculée-Conception, l’Ascension, la Toussaint) et toujours aux vêpres du dimanche, ce qui, dans ce dernier cas, déplait à Jean-Claude. Il est motivé parce qu’il aime chanter, mais aussi parce qu’il est fortement marqué par la religion catholique. Il est fier de faire partie de la chorale et rien ne lui fait plus plaisir que de recevoir les félicitations de son père et de sa mère, ou des voisins, pour les performances de la chorale. Il apprend alors, sans vraiment s’en rendre compte, la valeur d’un bon chef et la force du travail en équipe. Seul, ses moyens sont limités mais, avec les autres, il peut tout.