Les ORL


Les ORL

Je m’explique tous les jours sur la question de l’émission vocale devant mes élèves. Mais il m’arrive de le faire ailleurs que dans mon studio d’enseignement. Ce fut le cas à l’automne 1994, lorsque l’Association des oto-rhino-laryngologistes de Montréal m’a m’invité à la soirée de clôture d’un grand congrès réunissant 175 ORL venus de tous les pays.

À la demande du président de l’Association, j’accepte à cette occasion de donner un petit spectacle de vingt minutes devant le distingué auditoire de ses confrères. Puis je réfléchis. Mmm … Depuis le temps que j’ai envie de parler aux médecins … L’occasion est trop belle. Un peu intimidante peut-être, mais tant pis. Je téléphone à l’organisateur et lui demande s’il m’accorderait quelques minutes de plus pour adresser la parole aux congressistes. Le médecin est plutôt surpris mais il accepte:« Oui, certainement, vous devez avoir des choses intéressantes à dire sur la voix … »

Le soir du banquet, à l’heure du café, le président annonce le «chanteur-conférencier Robert Savoie ». Je le remercie et … je ferme le micro. Comme le silence tarde àgagner le fond de la salle, je lance un «Bonsoir, Good evening!» bien appuyé sur le diaphragme. Les voix s’apaisent et, bravement, je plonge:

«Mesdames et Messieurs, je suis très honoré de me trouver parmi vous. On m’a demandé de vous préparer un petit spectacle de chant, mais, si vous me le permettez, j’aimerais commencer par vous faire part de quelques observations personnelles sur la voix. La voix est votre spécialité, je le reconnais, mais elle est aussi la mienne.

Silence complet maintenant.

« Je n’ai aucune formation médicale. Je n’ai étudié ni la biologie ni la physiologie ni la pathologie. Ce que j’ai étudié de très près, en revanche, c’est le fonctionnement de la voix. Je sais à quelles conditions on peut parler haut, fort distinctement et longtemps sans se fatiguer. Je sais comment la voix parlée ou chantée s’entretient saine, vigoureuse, vibrante.

« De nos jours, beaucoup de gens ont la voix « malade ». Ils ont des nodules sur les cordes vocales, font des laryngites de l’inflammation, ou bien ils ont tout simplement la voix éteinte ou chroniquement enrouée. Pour guérir ces symptômes, les médecins prescrivent des médicaments, des injections, des vaporisations, etc., quand ils ne vont pas; jusqu’à pratiquer des opérations sur les cordes vocales mêmes.­

« Dans un article paru récemment dans la revue médicale Let’s Live sous la signature de Dr Martin Cooper, j’a appris, par exemple, comment on soigne les problèmes de voix du président des Etats-Unis. Bill Clinton, on le sait, perd la voix presque chaque fois qu’il prend la parole longuement en public.­

«D’après le réseau CNN, le président a la voix enrouée depuis quinze ans. Et j’ai lu dans le New York Times qu’on attribue ses difficultés à des « allergies temporaires' » causées par les sapins et guirlandes de Noël, et par les animaux domestiques. Toujours est-il que les médecins ont mis M. Clinton au régime. Apparemment, ils croient que l’alimentation a quelque chose à voir avec le piètre état de sa voix. Finis les hamburgers et les frites; plus de chocolat, de produits laitiers, d’aliments épicés, de thé ou de café. Ils lui ont recommandé de boire beaucoup d’eau, d’installer un humidificateur chez lui, de parler doucement. Ils lui ont aussi prescrit un médicament contre le reflux d’acide gastrique sur les cordes vocales et, pour finir, des traitements contre les allergies.­­

« Or il est clair, après tout ça, que le président Clinton a encore la voix enrouée.

« Ce dont il a besoin, à mon avis, ce n’est pas de remèdes ni de régimes, c’est de leçons de chant. Pas pour apprendre à chanter, évidemment, mais pour apprendre à parler. Depuis des années, Bill Clinton fatigue son larynx. Plus il se laisse emporter par l’enthousiasme, plus il écrase son larynx. Je crains que les traitements qu’on lui prescrit maintenant s’avèrent tout à fait inutiles.»­

Je ne suis pas plutôt revenu à ma table qu’une grande femme à l’allure distinguée s’approche. La congressiste, car c’en est une, m’apprend qu’elle fait partie de l’équipe qui soigne le président. Oups! «Mr. Savoie, may l have a word with you in private ?» Intrigué, vaguement inquiet, je quitte avec elle la salle bruyante et nous allons nous réfugier dans un petit coin tranquille pour parler technique.­

Pendant 45 minutes, je lui ai décrit mes procédés. J’ignore si mes conseils ont été suivis à la Maison Blanche, mais j’ai entendu deux ans plus tard le président prononcer un discours d’une heure et quinze minutes devant la nation. À la fin, il lui restait encore de la voix. Peut-être s’est-il mis aux exercices? Si e’ est le cas, je l’encourage à persévérer, car les problèmes de voix, s’ils ne se «soignent» pas à proprement parler (à moins d’être pathologiques), se corrigent avec le temps.­

La revue Scientific American consacrait en décembre 1992 un excellent article à la voix. L’auteur, Dr Robert T Sataloff, professeur d’otorhinolaryngologie à l’Université Thomas Jefferson de Philadephie, rédacteur en chef au Journal of voice et professeur de chant au Curtis Institute of Music, y expose des vues que je partage entièrement. Il rappelle qu’il y a vingt ans, la voix humaine était encore un mystère. Même si chanteurs et comédiens fascinent depuis des siècles, on en connaissait très peu sur le fonctionnement de l’appareil vocal ou la façon de le soigner. On pratiquait des opérations sur les cordes vocales mais ces interventions, plus souvent qu’autrement, conduisaient non pas à la guérison mais à l’enrouement définitif!­­

Depuis, explique l’auteur, de grands progrès scientifiques et techniques ont été accomplis grâce aux échanges qui ont cours entre des professionnels autrefois bien retranchés dans leurs spécialités respectives: laryngologistes, théoriciens de la voix, pathologistes, professeurs de chant et artistes de la scène. De nos jours, le chanteur qui a «perdu des notes », l’homme politique ou le vendeur à la voix éteinte, ou encore le fumeur à qui l’OB découvre une tumeur peuvent trouver de l’aide. La mise en commun de toutes les expertises a permis d’y voir beaucoup plus clair.

Ces progrès rendent les opérations chirurgicales de moins en moins nécessaires, continue le docteur Sataloff. Restent les médicaments, qui peuvent être efficaces dans certains cas, encore qu’il faille être prudent. Beaucoup de médicaments, en effet, même ceux qui sont vendus sans ordonnance, ont des effets secondaires dommageables pour la voix. Les antihistaminiques et l’aspirine, par exemple..

Par contre, il existe maintenant des techniques de rééducation vocale permettant de réparer les voix en mauvais état. En thérapie, l’individu apprend à respirer, à développer son soutien abdominal, à éliminer les tensions dans le larynx et le cou. Le processus permet même de guérir des nodules (des excroissances dures sur les cordes vocales). Or, la thérapie dont parle le docteur Sataloff est très proche parente des exercices vocaux que je « prescris» à ceux de mes élèves qui ont la voix abîmée.