Le corps de cadets


Tous les élèves du collège sont obligatoirement membres du corps de cadets du Mont-Saint-Louis. Il existe depuis la première guerre mondiale et a commencé par un corps de cadets à cheval. Il a muté en un régiment et en cette fin d’année 1948 il est commandé par un colonel-élève sous la supervision du major Saint-Pierre de l’armée canadienne et du frère Clément qui utilise, pour cette circonstance, son propre nom: Major Roger Lacroix. Le costume de cadet de couleur kaki semblable à celui de l’armée canadienne, comporte aussi un képi aux couleurs du collège, vert-blanc-rouge, sur lequel est écussonné «une» badge en bronze marquée du chiffre 30. C’est le numéro du régiment du Mont-Saint-Louis pour l’identifier parmi la quarantaine de régiments de cadets de l’armée qui existent dans la région montréalaise, de Sorel à Chateauguay à Laval. Claude y acquiert une formation militaire de base qui le familiarise avec la discipline militaire et lui inculque le respect de ses supérieurs et l’obéissance aux ordres donnés. Il s’initie aux cours de premiers soins, participe à des sessions bihebdomadaires de gymnastique où tout le régiment est réuni, pratique le maniement et le tir à la carabine 303. En tout temps, il doit maintenir son costume de cadet dans un état impeccable, ses bottines frottées, cirées et éclatantes (ce que les cadets identifient comme un spit shine) et sabadge toujours brillante grâce aux produits Silvo ou Brasso qu’il utilise. Claude est nommé lance caporal de son peloton et reçoit une «banane » (un grand V) de couleur jaune kaki pour identifier son poste et qui sera cousue sur chaque manche de son costume au haut du coude. Alors que le caporal est à l’avant du peloton à droite, le lance caporal Claude ferme le peloton au dernier rang, à gauche.

Le régiment comprendun corps de clairons et de tambours dont le rythme du batteur aide les cadets à marcher au même pas, un corps de précision ainsi que la fanfare du Mont-Saint-Louis qui a acquis avec les années une bonne renommée à Montréal. Elle est dirigée par Giuseppe Agostini, un musicien reconnu au Canada et ancien directeur musical de Radio Canada. Elle devient, pour une courte période, la fanfare du régiment de Maisonneuve suite à une décision du lieutenant-colonel de ce régiment qui a vu et entendu la fanfare du collège lors d’une parade au manège militaire Craig et a été très impressionné, d’autant plus qu’il est profondément désappointé de sa propre fanfare. Sous prétexte que ses soldats sont sans talent et ne veulent pas pratiquer, il décide d’éliminer sa fanfare et de recommencer à zéro. Il fait une entente avec le frère directeur et, pendant qu’il travaille à reconstituer la sienne, il utilise celle du collège. Tous les élèves du collège en sont très fiers.

Annuellement a lieu la grande parade pour déterminer le meilleur corps de cadets du grand Montréal. Il s’agit d’une cérémonie de démonstration, d’inspection et de présentation des couleurs. Elle a lieu normalement à l’intérieur du manège militaire Craig (aujourd’hui démoli), sur la rue du même nom et situé directement à l’arrière de l’hôtel de ville de Montréal, de l’autre côté du Champ-de-Mars. En vue du concours, le régiment du collège se rend régulièrement au manège et en profite pour pratiquer et parader dans les rues de Montréal. Il s’agit pour les cadets de se familiariser avec les lieux afin de pouvoir bien exécuter les manœuvres. Lorsque le manège Craig n’est pas disponible, le régiment se dirige vers celui des Canadian Hussards situé sur l’avenue Côte-des-Neiges près du cimetière ou vers celui des Blackwatchs, aux grandes portes en bois avec d’imposantes chaînes, donnant sur la rue Bleury ou encore vers celui des Fusiliers Mont-Royal sur la rue des Pins à proximité de la rue Saint-Denis. Ce dernier manège est peu utilisé par le régiment car il est petit et trop proche du collège. Les frères aiment bien que le corps de cadets du MSL soit vu dans les rues de Montréal. C’est une bonne publicité.

En fin d’année, le corps de cadets fait sa dernière grande parade dans la 2ième cour du collège devant une estrade d’honneur bondée de dignitaires dont des «hauts gradés» de l’armée canadienne, du frère directeur, du chapelain, de plusieurs anciens dirigeants du régiment et des parents des élèves. Le régiment montre son savoir-faire. Le corps de précision est la vedette principale de cette journée. Après avoir pratiqué toute l’année, il se met en marche au signal d’un tambourineur suivi du roulement constant des tambours. Sans commandement, il avance, se divise, ses rangs se croisent, s’entrecroisent, reviennent et se regroupent; il arrête, fait un about turn et repart avec les fusils dans une autre série de mouvements complexes et spectaculaires. Le corps est fortement applaudi par l’assistance. A la fin de la grande parade, le général-invité fait l’inspection des rangs, s’arrête ici et là, examine le vêtement d’un cadet, parle à l’un et à l’autre. Claude est étonné de l’aspect sévère et rigide du général.

Quelque temps après, au quartier général du corps de cadets, lors d’un mardi après-midi de congé, Claude et un groupe d’élèves, surtout des pensionnaires, travaillent à classer tous les habits pour les envoyer au nettoyage, à ranger les fusils et tous les accessoires du régiment. En récompense, le frère Clément les amène au driving range sur le chemin de la Côte-de-Liesse pour frapper des balles de golf. Ensuite, ils vont tous déguster une bonne pizza au restaurant Chez Renaldo, de la rue St-Hubert, un restaurant italien assez huppé qui fait la meilleure pizza en ville. Le frère Clément a cette habitude de demander à des élèves de faire une corvée pour des tâches particulières comme, par exemple, donner un coup de main à un ancien élève qui a besoin de faire enlever la neige du toit de son chalet. Ce sont surtout les pensionnaires qui participent à ce travail qui est toujours bien récompensé par le bénéficiaire.

En juillet 1948, Claude reçoit de ses parents la permission de participer au camp militaire pour cadets à Saint-Jean. Ce sera une période de quatre semaines d’entraînement intensif pendant laquelle il expérimentera la vraie vie militaire. Il couche dans des tentes de l’armée (chaque peloton a sa tente), se lève très tôt au son du clairon et, avant le petit déjeuner, participe à la parade d’inspection des pelotons et des couleurs sur la grande place d’honneur du camp. Chaque jour, il répète les exercices de base et suit la dure préparation que reçoivent les soldats pour aller à la guerre. Il pratique le tir du fusil 303. A la cantine, il mange la même nourriture que les soldats. Il fait partie des équipes de nettoyage des latrines, des planchers et du camp en général. Il entreprend de longues et interminables excursions à pied, chaussé de grosses bottes de marche et vêtu de l’habillement lourd du fantassin d’infanterie incluant les équipements de survie, de couchage, le fusil et les munitions.

Après deux semaines, Charles-Émile et Antoinette le visitent au camp lors d’une fête organisée le dimanche pour les familles. Ils le trouvent fatigué et sont surpris et quelque peu choqués lorsqu’il les informe de ses multiples activités quotidiennes. Ils retournent perplexes et se questionnent sur le bien fondé de sa participation à un camp militaire. Ils ne réalisent pas que Claude y découvre la camaraderie, apprend l’importance de l’aide mutuelle et apprécie vivre dans un milieu de haute discipline.

Chaque soir, Claude est surpris de constater toutes les difficultés qu’il a réussi à surmonter ce jour-là. Il se couche exténué mais satisfait et dort toujours profondément. A la fin du camp, le 1er août, il rentre en train à Montréal et aperçoit Antoinette qui l’attend à la gare Bonaventure (cette gare sera complètement ravagé par le feu trois semaines plus tard, en pleine canicule et sera alors fermée définitivement). Elle l’accueille chaleureusement mais est désappointée de le trouver exténué et amaigri. À ses questions, Claude répond que les activités des deux dernières semaines ont été encore plus intenses et difficiles. Dans l’auto qui les «ramène» à la maison, il lui dit qu’il a tellement aimé son expérience qu’il s’est enregistré pour un mois l’été suivant au camp militaire de Valcartier. Surprise, Antoinette, refuse sur-le-champ et l’avise d’annuler cet engagement.

Claude croit que c’est sa pauvre condition physique qui a poussé Antoinette à prendre une telle décision mais c’est plus que çà. Les journaux rapportent de nouvelles tensions dans les relations entre les pays de l’Ouest et l’URSS et ceci l’incite à réagir ainsi. Elle craint, qu’avec les connaissances guerrières qu’il acquiert, il soit parmi les premiers appelés si un nouveau conflit éclate puisqu’il aura 18 ans l’an prochain. Claude ne comprend pas la décision de sa mère et regrette de ne pouvoir vivre une autre expérience militaire qu’il considère utile et exceptionnelle. Ce n’est que plus tard qu’Antoinette lui donnera ses raisons d’alors.