Monseigneur Charbonneau


Le 2 janvier 1950, Monseigneur Charbonneau est convoqué à la Délégation apostolique d’Ottawa où il reçoit des mains de Monseigneur Antoniutti, délégué apostolique, une lettre de la Secrétairerie d’État du Vatican lui apprenant qu’il est déposé de son siège d’archevêque et doit quitter Montréal dès les premiers jours de janvier. C’est une décision rarement prise par un pape. L’archevêque demande aux autorités vaticanes de se faire entendre, de présenter sa défense. Le Vatican refuse. La décision est prise, il doit s’y soumettre.

Plusieurs disent que c’est Duplessis qui a obtenu sa démission du pape Pie XII. D’autres qui connaissent bien Monseigneur Charbonneau soulignent qu’il est un piètre administrateur de l’immense diocèse de Montréal, qu’il n’a même pas un secrétariat capable de le seconder, que sa correspondance s’entasse sans réponse dans les bureaux et qu’il ne sait comment régler les nombreux problèmes laissés par ses prédécesseurs, des évêques malades, dont Monseigneur Bruchési. A ceux qui lui suggèrent comment s’organiser, il répond: «personne ne mettra le nez dans mes affaires».

Claude ne sait pas ce qui a motivé Rome et lit dans les journaux que la raison découle des divergences de vues de l’archevêque de Montréal avec l’épiscopat québécois sur plusieurs affaires de discipline et d’enseignement. Monseigneur Charbonneau appuie la thèse du père Georges-Henri Lévesque pour la non-confessionnalité dans les œuvres alors que les évêques toujours prudents sont contre. Aux infirmières qui veulent s’organiser en une association professionnelle et ont besoin d’une loi pour ce faire, il propose qu’elle ait un caractère non religieux alors que les évêques veulent deux associations, une catholique et l’autre protestante. Il fait l’apologie du CCF, le parti socialiste, alors que les évêques toujours conservateurs croient que l’Église possède une doctrine sociale capable de guérir tous les maux. Devant le manque de Canadiens français dans le monde des affaires, il veut introduire le bilinguisme dans tout l’enseignement de son diocèse et les évêques craignent de graves répercussions d’une telle réorientation du système d’enseignement. Il prononce de grands discours favorables au nationalisme économique. Il nomme à l’archevêché le premier évêque auxiliaire de langue anglaise. Il approuve publiquement les projets de lois d’Ottawa pour les pensions de vieillesse et les allocations familiales, parce qu’«il y a des misères à soulager, peu m’importe d’où l’argent viendra», alors que les évêques voient là un empiètement du fédéral dans le domaine social. Les actions de Monseigneur Charbonneau le rendent très populaire auprès de ses commettants. Comme dit le chanoine et historien Lionel Groulx: «il y a de ces hommes qu’on dirait marqués pour un mauvais destin».

Les évêques lui reprochent des choses encore plus graves, comme son attitude à leurs assemblées où il a des excès de langage et fait des colères qui injurient grossièrement ses collègues évêques. Il n’a pas d’amis. Certains croient qu’il souffre d’un déséquilibre psychologique. Le délégué apostolique s’en arrache les cheveux et a des remords de l’avoir recommandé comme archevêque. Les pressions exercées par les évêques sur Rome auprès du concile qui n’aime pas les querelles entre catholiques (surtout sur la place publique) et l’utilisation du mot «conspiration» dans son sermon à l’église Notre Dame, en ont eu raison. L’Église a trop d’intérêts au Québec dans le domaine hospitalier et éducationnel, entre autres, pour froisser les dirigeants politiques et ça les évêques le savent bien. Duplessis n’est pas intervenu et n’avait pas à intervenir. Le sort de Monseigneur Charbonneau était déjà décidé. Le 30 janvier 1950, l’archevêque annonce sa démission à ses proches et quitte Montréal le jour même, à la surprise de tous. Il prend l’avion vers Victoria à l’autre bout du Canada, en Colombie-Britannique. Les fidèles catholiques du diocèse Montréal sont estomaqués et expriment leur indignation car ils aiment bien leur archevêque et ses idées. Ils ne savent rien des difficiles relations qu’il a avec les autres évêques. Leur estime collective pour l’autorité religieuse est ébranlée.

Son remplaçant, nommé par le Pape, est Monseigneur Paul-Émile Léger.

Monseigneur Charbonneau arrive à destination, brisé et détruit. Il se dépouille de tous ses insignes d’archevêque et remplira dorénavant les tâches d’un humble prêtre. Il donnera jusqu’à sa mort, neuf ans plus tard, un exemple de soumission remarquable. Il finira sa vie en beauté. Contrairement à son désir d’être inhumé simplement dans le cimetière de sa paroisse natale, l’archevêque Monseigneur Léger, devenu cardinal, exprime le désir de le voir reposer dans la crypte des évêques de Montréal à la cathédrale Marie-Reine-du-Monde. Ses funérailles sont télévisées. Elles sont célébrées par le délégué apostolique au Canada devant une foule considérable composée, entre autres, de nombreux évêques, de prêtres, de représentants de tous les gouvernements. Son corps sera porté dans la chapelle où reposent ses confrères archevêques. Il sera réhabilité.

En dépit de ses sautes d’humeur, son caractère particulier, ses réactions choquantes, Claude réalisera plus tard que les positions de Monseigneur Joseph Charbonneau furent souvent d’avant-garde par rapport à celles de l’épiscopat québécois et conclura que malheureusement il voulait aller trop vite, ne faisant pas assez de cas de l’opinion de ses collègues et ne cherchant surtout pas à les persuader de ses points de vue.