au 8 avril 2003


Ce dialogue traite de la venue des islamistes en Algérie et des suites de l’élection de 1991, où ils avaient remporté le plus grand nombre de votes. Démocratie ou dictature militaire anti-islamiste est le thème.

Au 8 avril 2003

Mansour: Tu m’as déjà démontré que tu es comme moi, nous avons la peau très fine quand il s’agit d’accusations contre notre propre nation. J’avoue de mon côté que quand il s’agit de l’avenir de mon propre pays, très souvent le cœur l’emporte sur la raison. Quant à mes accusations,contre tout le monde occidental, concernant la guerre civile en Algérie qui perdure depuis plus de 10 ans, elles sont fondées sur des faits réels que j’ai lus ou observés dans le passé.

Claude: Je comprends bien ton point de vue. Mais il me semble important aussi de faire la part des choses si on veut discuter de façon réaliste de ces sujets.

Mansour: Avant de passer à la contribution du Canada quant à la protection des islamistes algériens, je vais essayer de passer en revue quelques éléments qui sont tout de même connus à travers le monde entier. Pour ce qui concerne, par exemple, l’Allemagne, il ne fait pas de doute que ce pays a protégé toute l’infrastructure islamiste algérienne durant toute la décennie des années 90. Presque tout l’état major du mouvement islamiste algérien était réfugié dans ce pays durant cette période. Non seulement cet état major était réfugié dans ce pays mais il avait certainement été supporté financièrement par le gouvernement allemand pour pouvoir se permettre de mener une vie d’un gouvernement en exil.

Claude: Lorsque tu affirmes avec certitude que l’Allemagne à financé ces islamistes, j’ai peine à te croire d’autant plus qu’il n’y a pas de preuves à une telle affirmation.

Mansour: Pour ce qui est de la France, il est vrai qu’il est difficile de distinguer les islamistes algériens qui demandaient des visas touristes du reste des algériens demandant à rendre visite à leurs parents installés en France. Mais je sais tout de même que les services du ministère de l’intérieur de la France a toutes les informations détaillées concernant cemouvement extrémiste. Personne ne pourra me convaincre que la France a délivré des visas à des militants islamistes algériens sans le savoir. Mieux que cela, je crois que tu dois tout de même savoir que pendant toute la période du pouvoir socialiste en France (dominé d’ailleurs par la juiverie française) la politique française était en fait axée sur l’établissement d’un régime islamiste en Algérie. Aussi bien Mitterrand que Jospin étaient persuadés que les intérêts français étaient mieux servis par un régime rétrograde islamiste que par un régime réellement républicain.

Claude: Au moins tu admets qu’il peut y avoir deux sortes d’Algériens en France. Les immigrés normaux et ceux qui sont des islamistes. Si tu l’admets pour la France pourquoi ne l’admets-tu pas pour l’Algérie ? Quant à l’attitude de Mitterrand et de Jospin, je crois que tu fais de la manipulation. Ils ont acceptésles gains du FIS islamiste aux élections municipales d’Algérie et n’ont pas aimé que l’armée algérienne intervienne et rende le parti FIS hors-la-loi et annule l’élection. Ils n’étaient pas les seuls dans le monde à dénoncer ce geste anti-démocratique de l’armée. Quand on défend la démocratie il faut assumer ses résultats même lorsqu’ils ne nous conviennent pas. Je n’accepte pas ta projection que Mitterrand et Jospin croient que la France serait mieux avec les islamistes au pouvoir en Algérie. «It is far fetched !»

Mansour: Parlons de l’Angleterre qui a toujours été la plaque tournante de tous les mouvements islamistes arabes, y compris le FIS. Quand aux USA je ne peux que te rappeler que le porte-parole officiel du mouvement fondamentaliste islamiste à Washington était pendant très longtemps le « toast de Washington ». Il a été emprisonné pendant une période très limitée à cause d’une Française qui avait porté plainte contre lui, mais aujourd’hui il est toujours libre de ses mouvements dans ce pays alors qu’il avait publiquement avoué que le FIS avait failli à sa tâche car il n’avait pastué tous les journalistes francophones ou démocratiques en Algérie. Mieux encore ce même individu a bénéficié de toutes les largesses du gouvernement des USA. Il avait une soi-disant bourse d’étude et il a bénéficié de l’assistance sociale américaine à laquelle même les pauvres citoyens américains n’ont pas droit. Mais vive la CIA et tout son support politique en Amérique.

Claude: Je dois admettre que tout ce que tu me racontes est bizarre et que c’est possible que tout soit bien ordonné par la CIA. Elle a des raisons que la raison ne comprend pas. J’aimerais bien savoir pourquoi cet individu a eu autant de présence dans la capitale américaine ? Peut-être que le gouvernement américain voulait l’utiliser pour amener le FIS à avoir une sympathie pour les USA. Le 9/11 n’était pas encore arrivé et toute la question des méchants islamistes était une chose dont on ne parlait pas dans les milieux politiques américains.

Mansour: Pour revenir au rôle du Canada dans cette cabale anti-islamique d’aujourd’hui, je voudrais que tu prennes contact avec la communauté algérienne de Montréal. Tu verras dans quelles conditions les démocrates algériens ont été enfin acceptés dans ce pays et les conditions acceptées par ton propre pays pour recevoir des émigrés fondamentalement islamistes dès le départ. Ces milliers d’algériens qui ont été acceptés au Canada durant la guerre civile en Algérie n’avaient qu’à déclarer qu’ils étaient contre le régime algérien en place pour avoir le statut de réfugiés politiques dans ton pays. Mais les démocrates algériens devaient démontrer qu’ils avaient suffisamment d’argent dans la poche pour ne pas alourdir le budget social du Canada. Il est tout de même vrai qu’à aucun moment le Canada ne s’est prononcé officiellement pour ou contre les islamistes algériens, mais la politique d’émigration mise en oeuvre durant cette malheureuse période nous donne tout de même une idée de la politique déclarée ou pas du Canada face à cette question en particulier.

Claude: Je connais bien la communauté algérienne du Canada, particulièrement celle de Montréal. Elle est bien intégrée et très heureuse d’être dans la métropole canadienne où elle trouve de l’emploi et est accueillie comme il se doit. L’immigration canadienne est choisie et tous les immigrés doivent rencontrer les normes établies par le gouvernement afin d’assurer qu’ils ne viendront pas au pays comme chômeur ne pouvant se trouver un emploi ou qu’ils n’auront pas les moyens pour subsister durant le temps qu’ils en chercheront un ou devront suivre des cours de formation pour en dénicher un. C’est une politique qui s’applique à tout immigré quelque soit le pays d’où il origine. Quant aux réfugiés, c’est une autre chose. Le Canada comprend la situation des individus pris dans des luttes fratricides dans quelques pays et ouvre ses bras pour accueillir ceux qui réclament un asile afin de sauver leur peau. C’est normal. Chaque fois qu’il y a une crise dans le monde on voit arriver dans notre pays des réfugiés. Le Canada les aide. Tous les nouveaux immigrés ont une carte sociale qui leur donne droit aux programmes de protection sociales du Canada, et cela dès les premières semaines de leur arrivée. Même ceux qui doivent montrer qu’ils ont un compte de banque suffisant pour entrer au pays, se voient donner une telle carte. Ils reçoivent, par exemple, les soins de médecins et d’hôpitaux gratuitement. Les raisons qui sont invoquées pour accueillir un réfugié change de cas en cas et c’est possible que certains islamistes aient pu rentrer. Mais de là évaluer le nombre à des milliers, je crois que c’est une exagération. Plusieurs Algériens se sauvaient bien plus des massacres faits par les islamistes que du gouvernement algérien.

Mansour: Finalement pour clore ce débat, je crois que je voudrais te poser une question importante qui est la suivante. Est ce que tu crois que la constitution allemande d’aujourd’hui est antidémocratique tout simplement parce qu’elle interdit tout parti communiste ? Si je te pose cette question c’est que l’Algérie est dans la même situation que l’Allemagne de 1945. Nous avons un passé historique dont nous ne pouvons pas avoir une fierté quelconque surtout concernant les valeurs démocratiques, comme tu les conçois toi même aujourd’hui. Même dans un récent dialogue, tu faisais allusion à l’erreur de l’intervention de l’armée algérienne dans le processus soi-disant démocratique qui a eu lieu en 1991 en Algérie. Ce que tu ne sais probablement pas, c’est que l’Algérie durant la préparation de ces soi-disant élections démocratiques (gagnées par les islamistes) le président algérien de l’époque, Chadli, avait déjà fait la passation de pouvoir aux islamistes avant même les élections. Mieux encore, il avait l’intention de changer tout le leadership de l’armée algérienne pour permettre à tous les officiers islamistes de prendre le pouvoir réel avant même les élections. Mieux encore, la loi électorale, qui avait été établie de toute urgence quelques mois avant les élections, était justement conçue pour donner le pouvoir aux islamistes au deuxième tour du scrutin. N’oublies tout de même pas qu’à la fin du premier tour de cette fameuse élection, le FIS n’avait obtenu que moins du tiers des voix exprimées. Et pourtant, en tenant compte de la loi électorale édictée par les services de la présidence, il aurait eu la majorité à l’assemblée nationale. Les élections de 1991, en Algérie, me rappellent beaucoup la manière avec laquelle Bush a été élu président des USA alors que son concurrent avait plus d’un million de voix de plus que Bush.

Claude: Je ne suis pas prêt à dire que l’Allemande est anti-démocratique parce qu’elle refuse que le parti communiste soit en liste aux élections. Au Canada, ce parti est reconnu. Mais aux USA (le parti est illégal), en Allemagne et ailleurs on le craint et on le barre des élections. Je crois que ce sont des gestes antidémocratiques. À lire ce que tu dis en rapport avec ces fameuses élections de 1991 qui auraient, selon toi, donné le pouvoir aux islamistes au deuxième tour, je crois que vous avez eu peur trop vite. Il y a eu les grandes manifestations des algériennes partout dans les pays contre ces islamistes qui ont eu des répercussions énormes et qui auraient à mon point de vue influencé l’élection au deuxième tour. Il y avait le fait que le FIS n’avait pas obtenu la majorité des voix au premier tour. Je ne vois pas comment ils auraient pu prendre la majorité de l’assemblée nationale dans cette situation. Une chose est certaine, le fait de rendre le FIS illégal, d’arrêter et d’emprisonner ses leaders, a résulté dans les massacres de plus de 100,000 innocents algériens. Et cela continue. De plus, comment croire dorénavant à la démocratie en Algérie quand on refuse d’accepter le résultat d’une élection qui avait été organisée selon les règles. C’est un très mauvais précédent.

Mansour: Ce qui me chagrine un peu avec ton approche vis-à-vis de la démocratie c’est que tu penses que les peuples ont toujours la possibilité de changer leurs avis. Et c’est là ou je diverge avec toi. Est-ce que tu penses réellement qu’un pouvoir islamiste établi en Algérie allait permettre au peuple algérien de se prononcer une nouvelle fois, librement, sur son propre avenir ? Je pense que tu crois à cette devise puisque tu m’affirmes que le peuple algérien aura l’occasion de changer de cap une fois qu’il aura vécu une période dominée par les islamistes. Je te signale à ce sujet qu’Hitler a été élu dans un cadre démocratique. Mais une fois au pouvoir, l’Allemagne n’a jamais revu la démocratie qu’après la débâcle de la 2ième guerre mondiale. Je te garantis que si les islamistes s’étaient installés au pouvoir en 1991, l’Algérie d’aujourd’hui serait au mieux l’Iran du temps de l’ayatollah Khomeiny et au pire la réflexion du régime des Talibans de l’Afghanistan. Mieux encore je suis persuadé, que connaissant la faiblesse intellectuelle de notre clergé islamique, l’Algérie serait aujourd’hui encore pire que l’Afghanistan des Talibans. Voilà ce que nous aurions récolté au nom de la soi-disant démocratie occidentale.

Claude: Je ne comprends pas comment l’Algérie avec son armée aurait enduré que les islamistes fassent la pluie et le beau temps et annule toutes les élections futures. C’est pousser à l’extrême tous les dangers de l’élection d’un mouvement radical. Je crois que prendre l’exemple d’Hitler n’aide pas car c’est un cas très particulier, que l’on connaît bien d’ailleurs. N’oublie pas que même en Iran, il y a des élections démocratiques et que ceux qui sont opposés au groupe de Khomeiny peuvent être candidats. Tu broies beaucoup de noir et je crois que cela n’aide pas à avoir une vision réaliste de cette situation de l’élection de 1991.

Mansour: Personnellement, j’ai de plus en plus d’admiration vis-à-vis de la constitution turque. Après tout, elle a permis à un parti islamiste de s’occuper de la gestion courante du pays, mais elle garde tout de même une institution forte et militaire qui empêchera, du moins à moyen terme, les dépassements des fous de dieux qui existent dans tous le pays qu’ils soient arabes ou pas. Le modèle turque n’est certainement pas l’idéal de la démocratie de Platon, mais il permet du moins d’éviter les dépassements religieux désastreux.

Claude: Si l’armée algérienne avait agi comme celle en Turquie, cela aurait été mieux, à mon avis. Les résultats démocratiques de l’élection auraient été reconnus. Mais l’armée a éliminé le FIS et se faisant, a créé un problème encore plus grand pour l’avenir du pays. Par ailleurs, on ne peut pas dire que le gouvernement islamiste de la Turquie ne travaille pas bien pour son peuple et dans ses relations avec les autres pays.

Mansour: Ceci étant dit, d’après ce je vois de la démocratie américaine en ce moment, je ne vois pas de quoi s’enorgueillir. Pas plus tard qu’aujourd’hui, la fameuse chaîne de télévision américaine NBC vient juste d’annoncer qu’elle avait renvoyé son meilleur reporter en Irak (Peter Arnett, qui entre parenthèses avait mis CNN sur l’écran mondial de l’information après ses reportages à partir de Bagdad de la première guerre du golf), tout simplement parce qu’il avait accepté une interview de la télévision irakienne et où il avait apparemment répété simplement tout ce qui se disait sur les chaînes de télévision américaines depuis plus de 4 jours. Vive la démocratie et surtout la liberté de la presse et d’expression dans le bastion de la démocratie occidentale. Pour toi, j’ai l’impression que tu ne trouves aucune différence entre une dictature militaire et une dictature basée sur une religion ou une autre. Mais moi, je ne suis pas d’accord avec toi sur ce point précis. Je voudrais certainement avoir un contrat social similaire à celui qui régit les pays comme la France, l’Angleterre ou le Canada, mais je ne voudrais à aucun prix prendre le risque de donner le pouvoir à des fous de dieu au nom d’une soi-disant valeur universelle de la démocratie et de la liberté d’expression et d’association. Il y a un proverbe qui me revient souvent à l’esprit quand je pense à tout ce que tu me racontes au sujet des valeurs positives de la démocratie qui dit tout simplement que le chemin vers l’enfer est toujours pavé de bonnes intentions. Tu me traiteras peut être de fasciste, mais je t’assure que je préfère encore une dictature militaire en Algérie qu’un pouvoir islamiste issue d’un processus démocratique. Je peux me débarrasser facilement d’une dictature militaire (mieux encore ces dictatures ont toujours implosé de l’intérieur même du régime) mais il n’est certainement pas facile de se débarrasser d’un régime islamiste qui façonnera des générations et des générations à venir conformément à son idéologie religieuse.

Claude: Je comprends tes craintes et je te dis qu’il y a probablement beaucoup de vérité dans tout ce que tu dis. Je n’ai pas vécu ce genre de problème, ni ma famille. Alors il m’est très difficile de juger pour un être comme toi qui est pris dans un tel tourment. La démocratie comme je la comprends est un système par lequel l’individu peut s’exprimer librement et qui lui assure la liberté, le droit de parole, le droit de rassemblement, le droit de voyager et le droit de critiquer. Je n’ai jamais vécu une dictature militaire. Je ne veux pas te traiter de quoi que ce soit et surtout pas d’être un fasciste, ce que tu n’es pas. Je trouve cependant malheureux que tu ne donnes pas foi aux principes mêmes de la démocratie et que tu n’aies pas la patience d’attendre qu’elle donne ses fruits. Aucune dictature n’est bonne. Qu’elle soit militaire ou autre, il est toujours difficile de l’éliminer. Et si on peut se débarrasser facilement d’une dictature militaire, comme tu dis, alors pourquoi ne vous êtes-vous pas débarrassé de la dictature militaire algérienne ? Non, elle est aussi une peste qu’une autre. Devant une telle vérité, je dis qu’il faut avoir foi dans la démocratie à cause de ses valeurs intrinsèques.

Mansour: Pour moi, l’Islam militante n’est pas une idéologie à tolérer même si on doit sacrifier pendant une certaine période des valeurs démocratiques. Mais je ne parle bien entendu que de la situation particulière de l’Algérie. L’Islam par exemple en Iran est beaucoup plus réfléchie et surtout imprégnée dans une culture millénaire alors qu’en Algérie, l’Islam ou du moins ceux qui sont aujourd’hui son porte-parole est totalement rétrograde, illettrée et xénophobe. Je ne veux pas que l’Algérie, qui a tout de même sacrifié plus de 10% de sa population pour recouvrer son indépendance politique, se retrouve entre les mains de ce genre de fous de dieu qui égorgent les femmes et les enfants tout simplement pour démontrer qu’ils existent toujours, en tant que force politique en Algérie aujourd’hui. J’ai déjà vu les conséquences du système de parti unique en Algérie et je ne voudrais certainement pas accepter un nouveau régime unique, basé sur l’Islam, s’installer en Algérie. Jusqu’à ce jour, tu sais que je continue à militer pour une Algérie une et indivisible, malgré toutes les souffrances que mon vrai peuple Kabyle subit depuis la mort de Boumediene, en particulier. Mais si jamais un régime islamiste s’installe en Algérie, même par voie démocratique, je serai le premier à militer pour une Kabylie libre et indépendante de cette folie islamiste. Je n’ai plus l’âge pour contempler de prendre les armes mais je t’assure que je ferais tout pour aider à concrétiser ce divorce forcé entre les Kabyles et le reste de l’Algérie.

Claude: Suite à ce long exposé sur l’islamisme militant, j’ai une image concrète de tes points de vue sur le sujet. Merci.