le 14 janvier 2003


Ce dialogue touche l’influence du pétrole dans le Moyen-Orient, le non respect des accords d’Évian, des possibilités de tourisme pour l’Algérie et de l’influence des soviets sur Boumediene.

Le 14 janvier 2003

Mansour: Si je me souviens bien du livre « 1984 » de George Orwell, que j’ai lu dans les années ’60, il avait divisé le monde en 4 grands blocs: les Amériques, l’Euro-Asie, l’Océanie et le reste du monde. Dans ce livre, deux grands ensembles s’alliaient toujours contre le troisième grand ensemble pour l’attaquer. Mais la confrontation ne se faisait jamais sur les territoires des 3 grandes puissances. Elle se réalisait sur le non-continent. A l’époque où j’avais lu ce livre, je voyais ce non-continent comme étant le continent africain qui était nettement en arrière technologiquement par rapport au reste du monde. Mais maintenant je me rends compte qu’il ne suffit pas d’être faible pour attirer les foudres des tout-puissants, il faut aussi posséder quelque chose que les pays riches convoitent et qui ne peuvent avoir qu’en dominant ces régions riches en matières premières et très pauvres en technologie et surtout en maturation en tant que nation.

Claude: Merci de me rappeler le livre de Orwell, que j’ai lu alors distraitement mais qui n’avait pas attiré mon attention plus que cela. Il y a beaucoup de vérité dans ton affirmation «qu’il ne suffit pas d’être faible …..».

Mansour: Il faut tout de même reconnaître aujourd’hui que même Israël n’aurait pas eu les appuis diplomatiques, économiques et militaires dont il a bénéficié depuis sa création s’il n’y avait pas cette convoitise pétrolière des USA en particulier, mais aussi de l’Angleterre et de la France. Est-ce que Bush senior se serait donné la peine de libérer le Koweït en 1991 si ce pays ne flottait pas sur une nappe de pétrole ? Est-ce que même depuis le temps de Roosevelt l’appui total apporté à la famille d’Ibn Saoud n’a rien à voir avec les réserves pétrolières de ce désert de l’Arabie et les multinationales pétrolières américaines qui ont commencé à montrer leurs muscles durant les années 30.

Claude: Tu touches juste. Mais pourquoi les USA qui avaient besoin de pétrole n’aurait pas fait ce qu’ils on fait en faisant la cour à ces pays. Cela me semble normal. Mais il ne faut pas oublier la diaspora juive. Elle est grande, influente, riche. Elle a amené les pays où elle vit à supporter Israël. D’ailleurs en 1948. c’est elle qui dans la dernière nuit avant le vote aux Nations-Unies, celle des grands couteaux comme on la qualifie, a réussi à obtenir le vote en faveur de la création de l’état d’Israël. Ce fut un vote surprenant, historique, discutable, et qui a apporté au Proche-Orient tous les problèmes qu’il connaît aujourd’hui. Oui, le pétrole est l’attrait. Et tu as raison de dire que c’est à cause de cela que les USA bougent depuis longtemps. Mais il ne faut pas oublier le vote de 1948.

Mansour: Le monde arabe aujourd’hui répond à tous les critères pour devenir le non-continent de George Orwell. Il a quelque chose que le monde entier convoite et il n’a ni la technologie ni la notion nationaliste capables de se défendre. La seule raison qui me pousse à élargir ce non-continent au reste du monde musulman c’est que l’islam en tant que religion continue à ce jour à avoir une très grande influence sur les musulmans, notamment très pauvres à travers le monde entier. Le Pakistan, par exemple, n’a vraiment rien à avoir avec la culture du Moyen-orient en dehors de l’Islam. Et pourtant, il plane toujours comme une donnée imprévisible dans ce jeu de riches qui ne seront pas toujours chrétiens car un jour ou l’autre la Chine voudra aussi avoir un morceau de ce gâteau pétrolier.

Claude: Le monde arabe a l’Islam. C’est une richesse unique pour lui, car elle est composée de foi, de ralliements, d’histoires et de traditions, de convictions, de sciences, et surtout est la religion d’un habitant sur cinq de la planète. Le monde arabe n’est pas arriéré et penser à le qualifier ainsi est une erreur grave. Par ailleurs, tout le monde veut une part du gâteau du pétrole et c’est pourquoi, je crains que Chirac, éventuellement, supporte les USA en rapport avec l’Irak même si le conseil de sécurité de l’ONU ne s’entend pas sur le rapport des inspections en Irak et cela à cause des pressions de TOTAL.

Mansour: Plus notre dialogue s’approfondit, plus je deviens convaincu que nous risquons une 3ième guerre mondiale, non pas nucléaire, non pas demain, mais une guerre qui se fera sur le dos du monde arabe en particulier et par ricochet sur le reste du monde musulman. Ce n’est pas uniquement la pauvreté, le manque de liberté individuelle dans les pays arabes et musulmans qui favorisent la montée d’un islamisme militant et combatif. C’est surtout le traitement des sociétés arabes et musulmanes à travers le monde par le monde occidental dirigé par les USA qui favorisent le recrutement à tour de bras des nouveaux militants de la mort par les islamistes.

Claude: Je rejette cette accusation que tu lances aux Occidentaux. Le marasme actuel est à cause surtout de la démographie dans les pays musulmans qui est trop forte, des emplois qui sont trop rares, de la motivation qui n’existe pas, de l’incapacité des jeunes à faire valoir leurs talents, de la faiblesse des gouvernements, du «backchis», et… encore. Les jeunes que j’ai vus grandir sur les coins de rues à Alger et qui ont passé toute leur jeunesse à attendre un emploi, un jour meilleur, n’ont pas été placés là par les Occidentaux. Les dirigeants du monde arabe doivent accepter la grande part des responsabilités. Il y a à peine deux ans, avec l’affable Clinton, on n’entendait pas la clameur actuelle contre les Occidentaux. Ce président savait reconnaître les aspirations de tous et agissait de façon à ne pas les bousculer mais plutôt à les écouter, à leur donner un espoir et à agir en conséquence. Par ailleurs, ti-Bush est agressif, insensible, montre son manque d’envergure avec son attitude et ses mots. Il est en train de créer une nouvelle génération anti-Occident, qui est prête à se faire kamikaze afin que leur pays ait sa place au soleil.

Mansour: Le peuple algérien était plus pauvre en 1962 qu’il ne l’est aujourd’hui. Et pourtant il n’était pas révolté contre la culture occidentale telle qui est présentée chaque jour par l’hégémonie américaine d’une manière répétée depuis 1962.

Claude: Mon Dieu que tu coupes court. Que fais-tu du FLN, du manque de liberté, des faillites politiques, du vide démocratique, etc…? En disant que le peuple algérien est plus révolté aujourd’hui qu’avant, tu confirmes tout haut ce que je te dis tout bas depuis longtemps. Il n’est pas révolté contre la culture occidentale. Au contraire, il l’envie, il veut la rejoindre, il veut en être partie, … en France, au Canada, aux USA. Son geste est une révolte contre le système actuel, l’oppression qu’il a vécue, les chances qu’il a manquées et manque encore.

Mansour: Et le peuple algérien ne pouvait que se révolter contre les USA qui avaient la possibilité d’apporter la justice à travers le monde mais qui ont choisi de tuer les Lumumba, Che Guevara et Allende, pour ne citer que ces trois, d’un côté et supporter les régimes tels que le royaume de Jordanie créé de toutes pièces, les scheiks du désert, le roi du Maroc et même finalement notre propre président qui ne fait qu’encourager l’Algérie à devenir une république islamique ignorante (contrairement à l’Islam de l’Iran qui est basé sur la concertation, la démocratie et qui est le seul pays musulman où le représentant de l’opposition a été élu comme président du pays à plus de 70% de voix.

Claude: J’attire ton attention sur ce que, comme toi, je me révolte contre la CIA, le bras vengeur et mafieux de l’état américain. Je n’aime pas les USA quand ils renversent des élus de peuples. Je ne vois pas comment, tout à coup, l’Algérie devient une république islamique ignorante à cause des USA. Il me semble qu’il manque beaucoup de mea-culpa dans tes affirmations.

Mansour: Dans un ordre autre d’idée, je voudrais te demander où as-tu trouvé que l’Algérie avait à un moment ou un autre trahi la lettre et l’esprit des accords d’Évian ?

Claude: Les accords d’Evian stipulaient que: «l’État Algérien fondera ses institutions sur les principes démocratiques et sur l’égalité des droits politiques entre tous les citoyens sans discrimination…», tu dois admettre que cela n’a pas été suivi et respecté. Les accords ajoutaient: «Aucun Algérien ne pourra être contraint de quitter le territoire algérien ni empêché d’en sortir», encore là, le contraire s’est concrétisé. De plus, on peut y lire: «Leurs droits de propriété (ceux des Français) seront respectés. Aucune mesure de dépossession ne sera prise à leur encontre sans l’octroi d’une indemnité équitable préalablement fixée», alors dis-moi qui a été payé? Les propriétaires de logements, les propriétaires-terriens, les chefs d’entreprises ? Personne.

Mansour: Ton argumentation concernant ce que l’Algérie a fait ou pas fait me rappelle un peu les discussions qui sont en court concernant la crise avec le Corée du nord sur les ondes en Amérique. On ne se rappelle que de ce que « l’ennemi a fait aujourd’hui » sans se rappeler de ce que l’Amérique avait fait de ses engagements depuis 1994. En 1994, les USA s’étaient engagés à construire, avec l’aide du Japon et de la Corée du sud, une centrale nucléaire génératrice d’électricité dans les deux années à venir. De plus, les mêmes allies s’étaient engages à aider la Corée du nord économiquement et humanitaire ment. Après plus de 8 ans, aucune aide économique et encore moins du point de vue de l’approvisionnement en énergie du nord n’a vu le jour, d’une manière substantielle. Mieux encore, Bush n’a rien trouvé de mieux que de déclarer la Corée du nord comme faisant partie de son empire imaginaire du mal. Et quand la Corée du nord, menace ouvertement par la plus grande puissance militaire du monde, réagit pour se préparer à se défendre, on l’accuse d’avoir déchiré ses accords internationaux. Et l’Amérique qui n’a jamais tenu compte de ces accords ? Est-ce qu’elle n’est pas tenue d’honorer ses engagements internationaux ? Mais on revient toujours à la fable de la Fontaine, » le loup et l’agneau.

Claude: Oui, je crois que tu as raison. Titi ne respecte rien. Le système anti-missile, le contrat de libre-échange avec le Canada, les ententes avec la CE en rapport avec l’acier, l’accord de Kyoto, etc… rien ne compte que les USA. Et maintenant avec la Corée du Nord…Parole donnée devenant moins favorable aux USA, n’est pas parole donnée!

Mansour: L’Algérie a vécu les mêmes chantages durant toute la période des années 60 et 70 de la part de la France de De Gaulle. Je ne prétends pas que le régime de Ben Bella, en particulier, n’a pas fait de grosses erreurs. Mais pour ce qui concerne les accords d’Évian, Ben Bella, que je déteste, n’a jamais remis en cause une seule des clauses. Bien au contraire, c’est le gouvernement français qui a tout fait pour que ces accords ne soient pas appliqués. Je te signale en particulier la clause qui assurait la réinsertion de tous les pied- noirs qui avaient quitté l’Algérie à la fin de la guerre. Mais plutôt que d’encourager les pieds-noirs à retourner en Algérie, récupérer leurs propriétés, notamment agricoles, le gouvernement français n’a rien trouvé de mieux que de les encourager à ne pas retourner en leur offrant toutes sortes de compensations monétaires pour toutes leurs pertes en Algérie.

Claude: Es-tu complètement réaliste? Ne crois-tu pas qu’après une guerre meurtrière de 8 ans, les massacres de l’armée française, la haine qui s’était développée entre les deux races, …. il était difficile sinon impossible qu’un français moyen retrouve le courage de rentrer chez lui, en Algérie, où il avait sa maison, son entreprise, ses terres, ses amis, etc.. Non, il a choisi le chemin difficile de devenir un immigrant dans son pays, la France, ou d’aller dans un autre pays recommencer à nouveau. Ce ne fut pas facile pour les pieds-noirs, et accuser le gouvernement français de De Gaulle, d’avoir tout fait pour qu’ils ne rentrent pas en Algérie surtout avec l’immense problème que cela lui donnait, est une accusation qui n’est pas fondée sur la réalité, si j’en juge par les amis pieds-noirs que j’ai connus et qui m’ont donné leur version des choses.

Mansour: La France s’était engagée à continuer à supporter le système éducatif en Algérie. Mais en 1963, la France avait déjà renié cet engagement en prétendant qu’il n’y avait pas assez de volontaires français pour l’Algérie.

Claude: Il n’y avait plus de Français en Algérie. Seulement une poignée est restée. Le nouveau gouvernement algérien voulait-il réellement assurer une éducation française aux jeunes algériens ?

Mansour: Mais il y avait suffisamment de volontaires pour plus que doubler les effectifs enseignants au Maroc du roi et à la Tunisie de Bourguiba alors que la France n’avait aucun accord bilatéral dans le passé. Plus grave encore, l’Algérie qui souffrait d’un taux de chômage effroyable à cause de la pauvreté, l’arrêt des activités économiques dirigées par les pieds-noirs et des effets de la guerre de 7 ans, s’est trouvée du jour au lendemain, en 1967, confrontée à des cotas d’immigration que la France avait imposés unilatéralement, et contrairement aux accords d’Evian. Mais l’agression la plus touchante de la part de la France a été le cota imposé aux exportations de vin provenant de l’Algérie. Plus d’un million de paysans ne vivaient que de cette production viticole. Du jour au lendemain, l’Algérie était obligée de trouver un marché pour plus de 10 millions d’hectolitres par an. Voilà encore une abrogation d’une des clauses des accords d’Evian que la France s’est permise d’oublier sans que personne ne réagisse.

Claude: Il y a eu des torts des deux côtés. Chacun a subi les effets néfastes de cette dure guerre. Quelle est la clause des accords d’Evian qui obligeait la France à vendre ou ouvrir ses marchés aux produits algériens ? Voici, ci-après, le texte de l’accord d’Evian, touchant la coopération, dis-moi, où tu lis ce que tu affirmes plus haut:

De la coopération entre la France et l’Algérie

Les relations entre les deux pays seront fondées, dans le respect mutuel de leur indépendance, sur la réciprocité des avantages et l’intérêt des deux parties.

L’Algérie garantit les intérêts de la France et les droits acquis des personnes physiques et morales dans les conditions fixées par les présentes déclarations. En contrepartie, la France accordera à l’Algérie son assistance technique et culturelle et apportera à son développement économique et social une aide financière privilégiée.

1) Pour une période de trois ans renouvelable, l’aide de la France sera fixée dans des conditions comparables et à un niveau équivalent à ceux des programmes en cours.

Dans le respect de l’indépendance commerciale et douanière de l’Algérie, les deux pays détermineront les différents domaines où les échanges commerciaux bénéficieront d’un régime préférentiel.

L’Algérie fera partie de la zone franc. Elle aura sa propre monnaie et ses propres avoirs en devises. Il y aura entre la France et l’Algérie liberté des transferts dans des conditions compatibles avec le développement économique et social de l’Algérie.

Mansour: Durant cette période il n’y avait que l’Union soviétique qui était prête à nous débarrasser de ce vin et nous permettre de continuer à employer plus d’un million de paysans. En fait, la source de la désastreuse révolution agricole a été en fait cette crise du vin des années 60 causée par la France qui continuait à croire à un empire africain qui devenait de plus en dangereux par le nationalisme algérien. Je te signale que malgré les déclarations politiques du FLN d’alors plus de 50% des investissements étaient réalisés par et au profit du secteur privé. Ce n’est que le jour ou Boumediene s’était rendu compte qu’il ne pouvait plus compter ni sur la France et encore moins sur les USA qu’il a finalement tourné casaque (tout comme Castro l’a fait à Cuba, si tu te souviens) et s’est accroché fermement à la branche du socialisme.

Claude: Ce fut une erreur grave, que Boumediene et Castro ont fait chacun de leur côté. La situation de ces pays, aujourd’hui, le démontre bien. On a enlevé toute initiative aux gens de ces pays et tout le pays en a souffert. L’ultra-socialisme est la pire des maladies politiques. J’aime beaucoup Fidel que je vois comme le seul grand et vrai révolutionnaire de ma génération. C’est pour moi l’exception à la règle, car normalement je n’appuie pas un tel leader qui n’a pas été élu démocratiquement. Mais Fidel est particulier. D’ailleurs, pour ton information, je vais faire le tour de Cuba en fin de mois, avec mon épouse pour constater l’état du pays après 40 ans d’un régime sans liberté réelle. Je crois savoir ce que je vais retrouver, mais j’ai hâte d’y être. Je te ferai rapport à mon retour avec photos à l’appui. Nous partons vers le 31 janvier.

Mansour: Je comprends très bien ton point de vue concernant la lutte acharnée des USA contre » the evil empire ». Les USA ont certainement sacrifié énormément pour permettre aujourd’hui aux Canadiens, aux Européens en particulier et même au reste du monde « blanc» la vie qu’ils ont. Mais s’il te plaît ne me dis pas que cette croisade pour la liberté individuelle a apporté quelque chose de positif aux pays pauvres comme l’Algérie. Ils ont encore les cicatrices trop douloureuses imposées par cette croisade qui ne les concernait pas en réalité, pour la bonne raison qu’ils n’ont jamais connu ce que sont les droits de l’homme et du citoyen. Ils sont à ce jour très loin d’en profiter de toutes les manières.

Claude: Si un jour, les pays arabes profitent comme nous de la liberté individuelle, ils sauront alors que le jour de l’implosion du régime des Soviets a été un très grand jour pour la planète. N’oublie pas que ceux qui profitent le plus de cet état de fait, ce sont les habitants des pays de l’Union soviétique et de ses ex-pays satellites qui ont retrouvé leur liberté, leur fierté. D’ailleurs, demande-leur aujourd’hui s’ils veulent revenir au régime passé. On parle de plus de 400 millions de personnes. Ce n’est pas une mince affaire. Et je ne peux croire, nonobstant les grandes différences dans le mode de vie, dans la religion, dans l’histoire que les musulmans ne chériraient pas une liberté individuelle totale, s’ils pouvaient en être gratifiés.

Mansour: Je suis un peu méchant avec toi, car je sais qu’au fond de toi-même tu comprends que nous ne pouvons pas tirer les mêmes leçons des 50 dernières années des conflits internationaux pour la bonne raison que nous n’avons pas été exposés aux mêmes effets de ces événements. Tout ce que j’ai essayé de faire c’est de rappeler qu’il y a toujours deux côtés à chaque «piece de money». Tout dépend de la face que nous regardons, n’est ce pas ?

Claude: Ne t’inquiète pas je ne te crois pas méchant. Bien au contraire, je te vois très patient et généreux. Je sais qu’il y a toujours deux cotés à chaque médaille, mais il me semble que le mien est plus réfléchissant.

Mansour: Tu as affirmé dans le dialogue précédent que ce n’est pas la faute des USA si les pays arabes en particulier ont les régimes qui les ont étouffés depuis plus d’un demi siècle. Je ne peux pas être plus en désaccord avec toi. Tu réfléchis à ce sujet comme si toutes les sociétés arabes avaient un choix quelconque dans les dirigeants qu’ils ont soi-disant acceptés. « There is nothing farther from the truth » comme disent les anglo-saxons. Même aujourd’hui et même plus que jamais, aucun régime arabe ne peut survivre sans un patron puissant étranger, qu’il soit la France, l’Angleterre ou les USA.

Claude: Ce n’est pas possible que tu me dises cela. Je ne crois pas un instant à cette affirmation. L’Algérie avec sa démographie grossissante, sa jeunesse éduquée, brillante, ses richesses naturelles, sa situation géographique parfaite, pourrait devenir un grand pays, fort, riche, indépendant, et même un leader des pays du Maghreb.. Mais que fait-elle? Que font ses dirigeants depuis 40 ans? Un exemple, l’Algérie est un des pays les plus intéressants à visiter: sa beauté spectaculaire, la mer, ses plages, ses belles villes blanches, les montagnes Atlas, son architecture, ses villages, les palmeraies, le Sahara, le Hoggar, son climat, l’Islam et ses minarets, son passé français, son passé romain, ses hiéroglyphes des temps préhistoriques, etc… Elle a tout pour attirer annuellement des millions de visiteurs qui se traduisent par des devises, des emplois, des affaires. Alors que fait-elle depuis son indépendance ? Pourquoi les touristes l’évitent pour le Maroc, ou la Tunisie alors qu’elle a beaucoup, beaucoup, plus à offrir ? Non, je ne marche pas avec ton défaitisme négatif. L’Algérie est un des beaux pays de la planète et il me semble que vous faites tout pour que ce soit un secret bien gardé. Elle n’a besoin que d’elle-même pour sortir du marasme dans lequel elle s’est plongée. Un autre exemple, j’avais dit du temps que je travaillais avec Ecotec, qu’un jour, à ma retraite, j’achèterais une propriété en Algérie sur le littoral pour y passer mes dernières années. J’en rêvais. J’ai acheté cette maison, mais dans le sud de la France. C’est bien et j’aime, mais en Algérie cela aurait été beaucoup mieux et j’aimerais encore plus car ma vie serait plus captivante. Que j’aimerais être président de l’Algérie pour deux ans…

Mansour: Et ce n’est pas uniquement la situation des peuples arabes. Regardes ce qui se passe actuellement en Côte d’Ivoire par exemple, ou en Afghanistan, ou même en Bosnie-herzégovine. Supposons pour un instant qu’un groupe de militaires, non attachés à la France et ses intérêts au Maroc, se décident de se débarrasser du roi du Maroc, es- ce que tu penses que la France de Chirac hésitera une seconde pour intervenir et protéger la royauté du Maroc ? Je vois déjà tes méninges fonctionner pour me rappeler le fait accompli de la révolution iranienne.

Claude: Voilà, et tu réponds toi-même à tes affirmations. L’indépendance ce n’est pas cela. La démocratie ce n’est pas cela. Tu me donnes l’impression que vous avez tous la psychose d’un peuple soumis. Il faut se débarrasser de ces fils d’araignée. Il faut ne compter sur personne que vous-mêmes. Au moins Khomeiny a réussi cela. Il s’est débarrassé du Chah soumis aux USA et à l’Occident et a donné à son pays l’indépendance politique et d’esprit. Il est vrai qu’il a été trop loin, mais maintenant que cet état d’âme existe et s’est ancré dans la tête des Iraniens, ceux-ci deviennent, petit à petit, plus sûrs d’eux et contestent les choses qu’ils qualifient de non démocratiques ou exagérées, comme, actuellement, en ce qui concerne la décision de peine capitale à ce professeur d’université de Téhéran qui s’est montré favorable au «protestantisme» de l’Islam. C’est leur Martin Luther.

Mansour: Mais je te répondrais que les Américains justement ont réagi vigoureusement en poussant l’imbécile de Saddam Hussein à attaquer l’Iran sans aucune provocation de la part de ce dernier. Et cela a permis à l’Amérique de gagner plus de 10 ans de répit en Iran. Ce n’est qu’aujourd’hui que l’Iran commence à se poser les vrais problèmes de l’avenir de cette société et l’Amérique se concentre sur ce pays en le projetant déjà comme l’ennemi de l’humanité après l’Irak. Il faut tout de même être réaliste, ce n’est pas dans les intérêts des USA, de la Grande Bretagne ou de la France d’avoir des pays arabes émancipés à l’occidental.

Claude: Les pays musulmans ne peuvent et ne doivent pas devenir des pays à l’occidental. Ils ont suffisamment de qualités pour développer la civilisation islamique pour qu’elle redevienne concurrente avec l’Occident. Il faut éviter le piège des islamistes et élire des leaders capable de bien faire ce qu’il y a à faire pour que la société musulmane devienne moderne à sa façon, forte, brillante, développe les arts, les sciences et les lettres, tout en renforçant ses entreprises et assurer une qualité de vie à ses concitoyens. Faible, on s’offre aux loups; fort, on est le loup!

Mansour: Pour ce qui est de notre aventure de bibliographie, je comprends bien tes points de vue. Je suis d’accord que cet ouvrage ne devra pas être une juxtaposition de deux cultures qui sont amenées à se confronter. Loin de la. Je crois que nous devons façonner cet ouvrage d’une telle manière pour donner une autre image des deux civilisations. Celle d’une osmose de deux cultures. Je crois que je suis le produit de cette osmose. Mon plus grand guide spirituel, en dehors de mon père a été un père blanc de Tizi Ouzou, qui m’a appris ce que c’était la générosité chrétienne. Et peut-être que toi aussi avec ton contact avec les Algériens tu as aussi trouvé des valeurs morales qui t’avaient échappé auparavant. Je crois que si nous pouvons écrire un livre sur la symbiose entre les deux cultures et surtout ce nous pouvons en tirer face à cette folie religieuse qui nous pousse à nous entretuer, alors je crois que nous aurons accompli notre devoir de citoyen de l’humanité.

A très bientôt.