le 16 avril 2002


Ce dialogue traite de la renaissance des Berbères d’Algérie et de la stratégie américaine au Moyen-Orient.

le 16 avril 2002

Mansour: Comme je te l’avais promis dernièrement, j’aborde aujourd’hui la situation en Kabylie. Comme prévu les deux assemblées « rubber stamp » de Bouteflika ont approuvé un amendement à la constitution à main levée pour élever la langue Amazigh au niveau de langue nationale. C’est certainement un pas en avant dans marche vers la réconciliation entre les Berbérophones et les arabophones de l’Algérie. Mais comme on dit toujours » the devil is in the details ». Et c’est là où je commence à croire que cette victoire du mouvement Kabyle n’est qu’éphémère. Car en fin de compte cet amendement ne donne que le droit aux Berbères de parler leurs langues chez eux, comme s’ils avaient été interdits de la parler par la constitution passée. Depuis le temps des Romains, les Kabyles en particulier ont continué à parler leur langue quotidiennement chez eux. Mais les Berbères algériens demandent bien plus que cela. Ils veulent la renaissance de la langue originale de ce peuple algérien suite à tous les siècles où les islamistes ont tout fait pour la détruire. Et cette volonté, aujourd’hui, des islamistes de détruire tout ce qui n’est pas arabe en Algérie est plus forte que jamais.

Claude: Cette affirmation à l’effet que les islamistes veulent détruire tout ce qui n’est pas arabe Algérie me surprend et surtout m’explique, enfin, les raisons des massacres de la population au cours des dix dernières années par les bandes islamistes armées. Je ne suis jamais arrivé à comprendre l’objectif des massacres. Pour moi, il était invraisemblable que l’on s’attaque à son propre peuple et surtout aux plus démunis comme les femmes, les vieux et les jeunes. Est-ce que je comprends bien ce que tu me dis? Les 100,000 morts sont des non arabes comme les Berbères, et c’est la raison pour laquelle ils ont été les victimes choisies même s’ils étaient musulmans? J’ai toujours crû que les islamistes ne faisaient pas de telles distinctions et que leur mouvement était ouvert aux extrémistes religieux de toutes races à la condition que le Coran soit la religion. Veuille, SVP, me préciser ta pensée là-dessus!

Mansour: Si les partis islamistes ont voté pour cet amendement c’est qu’ils savent que ce n’est qu’un geste symbolique qui ne remet certainement pas en cause leur volonté d’arabiser et d’islamiser toutes les populations qui composent la nation algérienne d’aujourd’hui. A commencer par Bouteflika en passant par les partis du régime comme le RND et surtout le FLN, sans oublier les partis islamistes agréés, tous n’ont certainement pas l’intention de donner une chance quelconque à cette seule langue ancestrale du pays de se réaffirmer dans ce pays. Et tant que l’arabo-islamisme qui est majoritaire dans ce pays n’acceptera pas sincèrement la nécessité d’une renaissance du berbère, je ne vois pas comment ce texte pourrait changer quoi que ce soit dans l’équation identitaire que l’Algérie doit un jour ou l’autre régler d’une manière définitive. De plus tu sais très bien que dans des pays comme l’Algérie la constitution et même les lois fondamentales ne valent pas plus que le papier sur lequel elles sont écrites.

Claude: Oui, je sais cela et c’est la raison des problèmes qui surgissent de partout. Les dirigeants ne respectent pas les constitutions et agissent comme si le gouvernement était leur entreprise personnelle. Comme je disais dans mon dernier message, il faut à tout prix remplacer tous ces gouvernements fantoches et j’ai bonne confiance que le désordre actuel accentué suite aux combats des Palestiniens, qui ne sont plus appuyés par d’autres pays et qui se retrouvent, pour la première fois, seuls dans la guerre Sharon, soulèvera les foules, les jeunes et les personnes de bonne foi et renversera quelques uns de ces profiteurs. Ce sera le début. Je l’espère fortement.

Mansour: Si demain Bouteflika change d’avis et il n’appartiendra qu’à lui de regrouper les deux assembles, soi-disant garantes de la perpétuité de la nation algérienne, pour tout remettre en cause dans les mêmes conditions. Même les arabophones n’ont pas été consultés sur un sujet aussi fondamental. Nous n’avons pas seulement des cours de justice kangourous mais nous avons aussi des constitutions nationales kangourous. Comme tu vois nous avons encore un très long chemin à parcourir pour vraiment construire un état de droit en Algérie. Et je me demande souvent si nous y arriverons un jour, quand je vois comment nos chefs d’aujourd’hui élaborent les lois et les mettent en oeuvre. Nous avons un état bâti sur du sable, comme les châteaux en Espagne. Et c’est cela qui me fait le plus mal au coeur. Depuis mon très jeune age j’ai combattu pour une Algérie indépendante mais avec les principes de Voltaire, Diderot et les Jules Ferry et je me rends compte à la fin de mon combat que j’ai fait faillite, car nous sommes très loin de construire une nation à l’image de ces principes en Algérie.

Claude: Je te comprends mais tu sais fort bien que Rome ne s’est pas construite en une seule journée. Alors ne désespère jamais même si les changements majeurs que tu espères n’arrivent pas aussi vite que tu aimerais. Il faut quand même admettre que depuis 1962 beaucoup de changements ont été faits et que la situation devient plus claire et s’améliore considérablement. Avant de jeter la pierre définitivement à Bouteflika, je lui donnerais le temps de retrouver son courage pour prendre les décisions qui doivent être prises. Il faut reconnaître qu’il a eu un certain leadership on faisant du Tamazight une langue nationale. Ce n’est pas la fin, mais le début….

Mansour: Ceci étant dit je t’annonce que les dirigeants du mouvement Kabyles on apparemment suivi ton conseil, puisqu’ils ont accepté de se rendre aux autorités sécuritaires du pays pour empêcher justement que le mouvement ne soit poussé vers une lutte armée. Mais je ne sais pas ce que cela donnera comme résultat. Je suis assez vieux pour me rappeler que le mouvement nationaliste algérien avait aussi tenté cette approche pacifique vis-à-vis des colonialistes français, mais en fin de compte ils ont été emportés par les » jeunes turques » qui ontpréféré prendre le maquis déjà en 1947 plutôt que de se rendre aux autorités policières françaises, y compris mon frère aîné, Saïd, qui a passé plus de 2 ans au maquis avant de se faire arrêter en 1950, dans un marché hebdomadaire où il devait faire un discours politique pour encourager les Kabyles à s’organiser pour une lutte armée contre le colonialisme français. La suite des événements dépendra du régime de Bouteflika. S’il continue à arrêter tous les dirigeants du mouvement Kabyle et ses sympathisants comme c’est le cas à ce jour, alors je doute que la voie pacifique aura le dernier mot dans ce conflit. Figures-toi que justement le régime est très conscient des répercussions internationales d’un mouvement pacifique kabyle et il fera tout pour justement forcer ce mouvement à utiliser d’autre moyens pour continuer sa lutte.

Claude: Je suis heureux de constater que la voie de la non-violence est choisie. Autant tes chefs que le gouvernement connaissent la force d’une telle politique. Il me semble que le gouvernement a peur et ne sait pas quoi faire! Il faut continuer à appliquer la pression pour augmenter la crainte. J’espère aussi qu’un chef charismatique se lèvera pour être le leader, devenir l’image de cette révolte et être capable de calmer les » jeunes turcs » dont tu parles. Gandhi a eu lui aussi ses » jeunes turcs » et ces idéalistes mal-pensants ont créé de grands torts aux campagnes de Gandhi qui a dû faire un long jeûne pour les arrêter. Il a gagné car il approchait de la mort et la presse mondiale l’a tellement publicisé que les jeunes ont finalement jeté leurs armes et ont arrêté leurs actions violentes pour lui sauver la vie. Il s’agissait, comme tu sais, de jeunes musulmans, ce qui présageait des troubles à venir entre les hindous et les musulmans.

Mansour: Pour revenir à l’amendement de la constitution, je te signale que jusqu’à ce jour les Kabyles n’ont pas le droit de se défendre eux même dans leur langue devant les tribunaux algériens. Est-ce que tu penses réellement que Bouteflika demandera demain à tout le système judiciaire algérien d’accepter de remettre en cause la suprématie absolue de la langue arabe dans ce système ? Plus grave encore, est-ce que tu penses que le gouvernement de Bouteflika donnera les mêmes chances au Kabyle dans le financement du système éducatif du pays ? Et comme tu es un rompu de la politique comment peux-tu concevoir le rééquilibrage des forces politiques du pays pour donner une place honorable aux Kabyles, que ce soit dans l’administration, les rouages du pouvoir et surtout dans les services de sécurité du pays.

Claude: Oui tout cela arrivera si les Kabyles mènent une bonne bataille et gagnent. Car les gouvernements ne bougent que par nécessité et agissent pour refroidir les points chauds, calmer les esprits, et faire plaisir aux électeurs afin de pouvoir gouverner dans le calme et pour longtemps. Les crises écourtent souvent la vie des politiciens au pouvoir. Les politiciens le savent et comme leur but est le pouvoir, ils agissent toujours pour les éviter. C’est pour cela que les manifestations, les révoltes, les pétitions, les contestations et même les éditoriaux de journaux ont des effets sur les politiques. C’est comme cela chez nous, c’est comme cela partout et je crois que c’est comme cela en Algérie. Alors il faut agir intelligemment, maintenir le cap et ne pas oublier la destination. Il faut faire tout ce que l’on peut faire dans une séquence efficace et progressive capable d’augmenter petit à petit la tension chez les dirigeants afin qu’ils ne perdent pas la tête mais comprennent que la solution la meilleure est de reconnaître le bien-fondé des revendications.

Mansour: Personnellement, je t’avoue que je ne vois pas ce jour venir d’aussitôt. Nous avons encore beaucoup de tempêtes à surmonter avant de voir la lumière au bout du tunnel comme on dit. Je sais que ce ne sera pas de mon vivant en tous les cas. Mais je pense que malgré toutes les tempêtes que l’Algérie se crée aujourd’hui, elle a au moins le courage de poser les vrais problèmes contrairement au reste du monde arabo-musulman. Quitte à aller vers l’autodestruction, le peuple algérien n’hésite pas a confronter les problèmes les plus importants qu’il rencontre et, là encore, je crois que nous devons cela à la mission civilisatrice de la France qui nous a appris a défendre nos principes même quand nous n’avons aucune chance de gagner la bataille.

Claude: Je te vois très réaliste en me confirmant que dans le fond la situation s’améliore et qu’il est bon que ton pays regarde ses problèmes en face. Probablement que la culture française y est pour quelque chose mais je crois surtout que l’intelligence du peuple algérien y est pour beaucoup.

Mansour: Je crois que la réception de Powell dans les capitales arabes démontre à quel point mon analyse, dans la première partie de mon message, est correcte du moins pour le moment.Je sais que les régimes arabes que Powell a décidé de visiter ne sont que des esclaves de l’impérialisme américain, mais même cela ne lui facilitera la tache. Il reviendra certainement de son voyage au Moyen-orient avec un semblant de cessez le feu, mais ni les populations arabes à travers le monde et encore moins le peuple Palestinien n’oublieront de sitôt la collaboration des Américains avec Sharon dans cette offensive contre les Palestiniens. Même le roi du Maroc, pourtant son père a été l’un des premiers chef d’état arabe à collaborer avec Israël dans le domaine de la sécurité d’Israël, n’a pu s’empêcher de demander à Powell pourquoi il n’avait pas commencé son périple diplomatique à Jérusalem, sous entendant par là que la Maison Blanche donnait ouvertement le temps à Sharon de faire le plus de mal possible aux Palestiniens avant de se rendre finalementà Jérusalem.

Claude: Je suis totalement en accord avec toi. À les voir à la télé, il me semble que Powell et le State Department ne sont pas bien leur peau. J’ai l’impression que c’est ti-Bush, sa conseillère et certains dirigeants républicains qui établissent la politique que le pays suit dans cette crise importante. A mon humble avis, je crois que l’objectif réel est d’obtenir le vote juif, normalement démocrate, pour les républicains aux prochaines élections. Cela peut changer les résultats de New York, de la Californie et de d’autres États et assurer à ti-Bush sa réélection. Il espère augmenter aussi son nombre de votes et ne plus vivre les problèmes qu’il a vécus lorsqu’il fut élu la première fois. À mon avis, c’est un boomerang qui leur reviendra sur le nez avant les élections !

Mansour: Mieux encore cette reddition américaine au lobby juif a donné une occasion en or à un bonhomme comme Saddam Hussein de se présenter aujourd’hui comme le seul rempart arabe contre la coalition américano israélienne. Alors que les régimes amorphes arabes supplient l’administration américaine d’imposer le retrait des troupes israéliennes en Cisjordanie, en vain, Saddam Hussein prend l’initiative d’arrêter toute exportation de pétrole vers l’Amérique en particulier pendant un mois. Je déteste cet homme autant qu’Hitler, sinon plus, mais je reconnais qu’il a marqué des points importants au niveau de l’opinion arabe à travers le monde arabe par ce geste symbolique. Il n’a pas envoyé ses gardes républicaines pour défendre les pauvres populations palestiniennes mais il a tout de même démontré que le monde arabe était plus hypocrite que son régime car il a eu au moins le courage de brandir l’arme du pétrole pour rappeler à l’Amérique que son intérêt stratégique dans la région ne réside pas dans l’appui inconditionnel à l’état d’Israël mais dans les déserts de la péninsule arabique avec les réserves illimitées de pétrole et de gaz. Si seulement les Saoudiens et les roitelets du golf , tout en incluant les pays comme l’Égypte, la Libye et même l’Algérie, pouvaient un jour se rendre compte de l’arme qu’ils ont entre leurs mains, ils seraient capables de redonner enfin un peu d’honneur et de dignité aux populations qu’ils sont censés représenter. Mais ce jour là viendra un jour ou l’autre.

Claude: Il est surprenant de voir les agissements de chacun des joueurs dans ce conflit. J’ai hâte de les voir autour de la table de la grande conférence de paix que propose Powell aujourd’hui. J’ai hâte de voir leurs attitudes devant le problème du retour des réfugiés palestiniens, le retour aux limites territoriales de 1967, le démantèlement des nouvelles colonies, le financement pour la reconstruction de la Palestine, Sharon assis à la même table qu’Arafat, etc…. Honnêtement, je dois te dire que je ne pense que cela n’arrivera pas car il me semble que ce conflit est insoluble dans les circonstances actuelles.

Mansour: J’espère que nous continuerons à débattre ces problèmes si importants pour non seulement l’avenir de la région mais éventuellement pour le reste du monde. Il arrivera un jour où l’Amérique ne pourra pas faire la pluie et le beau temps, comme elle le veut dans cette région, et ce jour-là n’est pas aussi loin que nous pouvons le penser aujourd’hui. Enfin de compte ce n’est pas un hasard si cette région du monde a toujours été le berceau de l’évolution de l’humanité. Elle a vu les débuts de l’agriculture, elle a vu naître les trois plus grandes religions de l’humanité. Elle a vu la construction des Pyramides,. Il faut croire tout de mêmeque cette région est peut être choisie par une force supra humaine pour marquer l’évolution de l’humanité à travers les temps.

Claude: Je crois que le temps approche où l’Amérique cessera de pouvoir faire la pluie et le beau temps sur la terre. Un jour prochain, la Communauté Européenne deviendra une force mondiale, la Chine aussi, et la Russie par après. Et si le monde arabe peut se ressaisir, rien ne l’empêche de prendre sa place à la table des grands de la planète. Il restera alors les latinos de l’Amérique du Sud qui sauront aussi devenir un groupe important. Ce jour là, peut être dans 100 ans qui sait, je crois que les habitants de notre terre connaîtront la paix et le respect que tous méritent.

À bientôt.