L’herbier de Fanchon


           Jean-Claude Manaranche                             

            Il n’aurait pas dû suivre son idée. C’était vraiment une drôle d’idée. Aller farfouiller dans cette vieille malle, qui n’avait pas dû être ouverte depuis plus de trente ans. Au bas mot ! Peut-être même plus à la réflexion. Sans compter qu’avec le poids des années, l’opération en elle-même n’était pas sans risques. Cette bonne vieille malle (une malle comme on n’en fait plus), en bois s’il vous plait, avec un couvercle bombé, cerclé de fer (un vrai coffre de corsaire, pensa-t-il en souriant),  était dans un recoin au fin fond du grenier. Et le grenier, je ne vous en parle pas : dans les combles, comme il se doit, et accessible uniquement par une échelle de meunier. Le truc à fuir à tout prix quand on tangente les quatre-vingt balais, avec leurs cadeaux à la clef : la souplesse envolée, et l’arthrose en prime. D’un autre côté, il faut se mettre à sa place. Quand on revient seul dans une maison de famille dont on n’a pas poussé la porte depuis cinq ou six ans, contraint et forcé par l’obligation de faire entreprendre des travaux d’étanchéité jugés indispensables par les enfants qui, eux, se contentent de s’y prélasser peinards chaque été avec leurs potes et comptent sur le vieux pour gérer et casquer, forcément ça fait quelque chose. Les bouffées de souvenirs, ça ne demande qu’à sortir. Il y en a partout, en embuscade. On a beau se plonger dans le dernier bouquin repéré en tête des ventes dans le Figaro Littéraire ou aller à la pêche dans le programme télé pour trouver un classique de la grande époque dialogué par Audiard, on a du mal à leur échapper. Ça commence d’ailleurs, il ne faut pas se faire d’illusions, dès que le village est en vue, dès que le dernier tournant de la route en lacets qui serpente dans la montagne auvergnate dévoile enfin, dans le fond de la vallée, ses toits gris recroquevillés autour de son clocher roman. Dès que l’on atteint la « La Croix Haute », dont la mousse a effacé les noms de ceux que les congères  avaient piégés là dans les années cinquante (dix huit cents, bien sûr) et qui y ont laissé leur peau. Et puis finalement, au bout d’un certain temps, on est de moins en moins tenté de leur faire la chasse à ces sacrés souvenirs. Alors on les laisse bourdonner comme des moustiques. Je vais vous faire une confidence : on a même plutôt tendance à leur entrebâiller la porte. Mais il vaut tout de même mieux être prudent, sinon ils ont vite fait de tournoyer en sarabande et de venir se cogner contre ces reflets que laissent les regrets, les occasions manquées, les renoncements, les aveux refoulés…Bref, il est préférable de faire le tri sur le seuil, et de ne donner un badge qu’à ceux qui ont une bonne tête : une grand-mère qui ravaude devant la cuisinière, le visage rougi par la bise de novembre d’un copain qui entre en secouant la neige de sa casquette et sourit à la pensée du vin chaud qu’on va lui offrir, les yeux bleu turquoise d’une jeunette qu’on a emmenée un jour danser au bal du 15 août au chef-lieu de canton. A y bien réfléchir, j’en suis certain maintenant,  c’est à cette tentation qu’il n’a pu s’empêcher de céder. Mais était-il averti des chausse-trappes ? Allez savoir. Alors, va pour l’échelle de meunier ! Je devine aisément ce qui lui est passé par la tête : « au diable la prothèse de hanche et la sciatique, la rampe n’est pas faite pour les chiens, je ferai la pose à chaque marche, et de toutes façons les enfants ne sont pas là pour me voir! ». Eh bien, figurez-vous qu’il y est parvenu dans ce fichu grenier. Il était plié en deux quand il me l’a raconté. Et ce n’était pas dû l’arthrose. Vous pouvez me croire.

Le plus difficile fut de s’y retrouver. Il y avait bien deux vasistas mais la couche de crasse accumulée et le réseau des toiles d’araignées avaient singulièrement réduit leur performance. Prévoyant,  il s’était équipé  d’une lampe  frontale, témoin  d’une époque révolue,  où il cédait parfois, contraint et forcé, aux nécessités du bricolage sans en avoir la maîtrise et encore moins la passion. Il repéra la malle sans difficulté et se lança, pour l’atteindre, dans un gymkhana périlleux au milieu  de la brocante qui avait envahi les lieux : vieux skis en bois  à fixations à ressort, luges antédiluviennes, deux modèles de barbecue sur pieds, fixe-au-toit de la vieille 504, vélo d’appartement, témoin muet d’une mission vite écourtée de pourfendeur de kilos superflus, et j’en passe !  Bref, le « Marché aux Puces » à Saint-Ouen., si vous voyez ce que je veux dire. Heureusement, il y avait deux caisses vides providentielles qui traînaient à côté de la malle, et qui, une fois retournées, lui permirent de s’installer et de reprendre son souffle. Il ne lui restait plus qu’à ouvrir le « trésor ». Et à fouiller.

Il retira la barre qui verrouillait le couvercle. Et là, il marqua un temps d’arrêt. Il hésita comme devant une porte dont on ignore où elle va vous mener. A moins plutôt qu’on ne le sache trop bien. Et qu’on l’appréhende. Toujours l’histoire des moustiques, bien sûr. Et puis il souleva la trappe, si je puis dire. Doucement, tout doucement. Immédiatement, une odeur complexe l’envahit : bois vermoulu paradis des capricornes, cire séchée, parfum douçâtre de papiers poussiéreux entassés. Et puis, plus inattendu, diffusé plus lentement, comme en arrière plan (un peu comme la rétro-olfaction d’un vin madérisé), un bouquet plus végétal, presque floral, mais vieilli, « passé », du genre bois de santal, tilleul, camomille…Il en resta interdit, comme on peut l’être en abordant le seuil  d’un endroit déroutant, d’un endroit, comment dire ? Comme suspendu « entre parenthèses ». Parenthèses de temps et d’espace. Il resta un long moment silencieux. Et puis il commença à sortir des objets, un par un, lentement, sans choisir vraiment. Et il les répartit autour de lui, sur le plancher aux lattes gondolées et disjointes. Il s’arrêta longuement sur l’un d’eux. C’était un petit cadran solaire de poche en métal argenté, de la taille d’une montre de gousset mais étonnamment plat. Il en ôta le couvercle. Dans l’axe de son cadran gradué en chiffres romains, de part et d’autre de midi, il découvrit, encastrés, une minuscule boussole et un gnomon sous la forme d’un petit stylet de cuivre, qu’il suffisait de soulever avec l’ongle pour obtenir son ombre projetée par le soleil, après avoir pris soin de poser l’objet bien à plat et d’avoir orienté la flèche bleue de la boussole dans l’alignement du repère du nord magnétique. La montre du pauvre en quelque sorte. A condition, bien sûr, que le soleil soit de la partie. Il l’avait reçue de sa grand-mère. Il la revit dans son fauteuil en osier, entre la petite fenêtre encastrée dans l’épaisseur du mur  de la salle commune et l’horloge, ses cheveux gris remontés en chignon et son éternel châle noir  sur les épaules. Elle lui avait tendu l’objet un jour de juillet, où le temps était superbe. « Je te la donne, mon petit. Garde-la précieusement. Elle est sûrement aussi vieille que moi. Elle te portera chance ». Il l’avait complètement oubliée.

Et puis il tomba sur les photos. Elles étaient en vrac dans un carton à chaussure en piteux état. Il le sortit avec précaution, le mit sous son bras et entama la redescente de la » face nord », je veux dire de l’escalier de meunier. Il n’était pas peu fier en arrivant en bas.

Le tri des photos enchanta sa journée du lendemain. Des photos de son adolescence, de l’époque où, chaque été, il quittait la grande ville pour venir passer plusieurs semaines chez ses grands-parents. Des photos aux  bords  dentelés, aux  tons  souvent passés, qui firent ressurgir  des visages  auxquels il lui fallut  parfois, non sans mal, redonner des noms, mais aussi des moments heureux, des décors et  des lieux familiers  (« Ah, oui, je me souviens : c’était  quand  au juste, en juillet  52 ? 53 ? On avait décidé de rejoindre le Pic Saint Martin, en suivant uniquement les sentiers et les drailles. C’était ce fameux jour où Pierrot s’était fait piquer par une guêpe »). Il souriait,  attendri, passait d’un cliché à l’autre dans le désordre, d’un paysage à un autre, d’un évènement à un autre, d’un souvenir à un autre. Cela dura jusqu’au « déclic ». Celui qu’il n’attendait pas. Celui de cette photo bien particulière, de cette photo qui était si bien cachée dans les replis de sa mémoire et qui surgit sans crier gare. Au point qu’il laissa tomber le paquet qu’il avait entre les doigts pour ne garder qu’elle. Il la détailla, fasciné. On y voyait trois ou quatre jeunes de la petite bande qu’il retrouvait chaque été au moment des vacances chez leurs « Pépés », respectifs, assis sur un amoncellement de blocs de granit, au détour d’un chemin. C’était lui qui avait pris le cliché. Il en revécut l’instant dans les moindres détails. Et « elle » était là, souriant à l’objectif. Il reconnut son corsage à rayures, sa jupe plissée, ses cheveux rassemblés en une natte qui rejoignait son épaule gauche. Il se surprit à murmurer : « Fanchon ». Et s’étonna du sentiment de douceur qui, soudain, l’envahit. Comment était-ce possible, après toutes ces années ? Fanchon ! Une amourette de jeunesse, qu’il n’avait jamais vraiment osé avouer ou même, peut-être tout simplement s’avouer à lui-même, faite seulement de confidences échangées, de rires partagés, de mains qui s’effleurent, en respirant ensemble les parfums de foin coupé, qui traînent à la nuit tombée sur les petites routes, à la sortie du village. Et puis la vie qui vous happe, les voies qui divergent, les mois d’été insouciants vécus au « pays », qui passent à la trappe. Il est alors trop tard. Ce qu’il avait cru lire quelquefois dans le regard et le sourire des « vieux » qui les voyaient passer, Fanchon et lui, sur la place du village ne se réalisa pas. Quelques années plus tard, il avait appris que ses parents avaient quitté la région, qu’elle avait passé une licence d’italien dans le Nord, qu’elle s’y était mariée. Il laissa alors, non sans un petit pincement, s’opérer, comme on dit sur les plateaux de cinéma, un « fondu au noir ». Le souvenir de Fanchon s’estompa. Sauf que, de toute évidence, l’objectif de la caméra ne demandait qu’à s’ouvrir à nouveau, comme si rien n’avait changé. Il en resta stupéfait. Il laissa le carton ouvert sur le reste des photos et sortit. Il alluma une cigarette, alla s’asseoir sur le vieux banc à lattes vertes adossé au puits et passa la fin de l’après-midi à rêver, en observant l’embrasement du coucher de soleil sur les crêtes du Sancy.

Déçu par l’inventaire du reste des clichés, il attendit le lendemain pour se lancer à nouveau dans l’ascension de la « face nord ». Besoin irrépressible d’ouvrir à nouveau la « cage aux moustiques » ? Ou, tout simplement, envie naïve de rechercher, à tout prix, d’autres traces d’elle. Il s’en voulut, d’ailleurs. Se trouva même ridicule, au fur et à mesure qu’il entassait sur le plancher un bric-à-brac hétéroclite : boîtes de plumes « sergent major », étui de compas matelassée de feutre rouge, vieux guides Michelin à l’effigie de Bibendum, quelques almanachs Vermot, une collection complète de « Match » des années 60, une paire de jumelles de l’armée, un catalogue de la Manufacture de Saint Etienne…Bref, rien de bouleversant. Il en vint même à ricaner, sans vouloir s’avouer sa déception. Il était sur le point de tout remballer lorsque son attention fut attirée par un chiffon rose délavé qui tapissait l’un des recoins de la malle en formant une surépaisseur. Il dégagea le tissu qui libéra un nuage de poussière jaunâtre. Il enveloppait en fait ce qui ressemblait à un gros album aux pages épaisses et  irrégulières. Il le  déposa  sur  une caisse  voisine. Il l’ouvrit, intrigué. C’était  un herbier fut pour lui le second déclic. Il n’était pas question d’ouvrir ce trésor dans la pénombre du grenier. Il fit comme pour le carton de photos, et se colleta de nouveau avec la « descente en rappel » (ou tout comme), en priant le ciel d’être aussi chanceux que la veille.  Dieu merci, il le fut !

Il plaça sa trouvaille à l’aplomb de la suspension,  sur la longue table rustique du séjour, une de ces tables de ferme comme on en trouvait encore chez les brocanteurs à la fin des années soixante. Une main avait tracé sur la couverture cartonnée beige, en grosses lettres penchées, d’une écriture parfois hésitante la mention : « Herbier de nos prairies et de nos haies« . L’écriture de Fanchon ! Il la reconnut aussitôt et s’étonna de la bouffée de tendresse qu’il sentit monter en lui. Et puis il se mit à tourner les feuillets, surpris par le bon état des supports et de leurs échantillons. A l’évidence, l’herbier n’avait pas dû être souvent compulsé. Mais, au fait, comment était-il arrivé là ? Dans cette malle ? Dans son grenier ?  Certes, il se revoyait bien, maintenant, courir avec Fanchon à travers les landes et les pâturages, au travers desquels venaient se faufiler les petits torrents à écrevisses et à truites après avoir dévalé les pentes du Puy de Sancy. Mais oui, bien sûr, c’était ce fameux été où elle s’était prise de passion pour les sciences naturelles. Elle voulait absolument lui faire partager son enthousiasme. Programme de seconde ou de première ? Il resta sec sur ce détail. Mais il se souvint que la « moisson » avait été bonne. Elle avait certainement dû confectionner son herbier, une fois revenue à Clermont. Et le ramener l’été suivant pour le lui faire admirer. C’était, hélas, très flou dans sa mémoire : quand et pourquoi le lui avait-elle confié ? Fallait-il qu’il y voie une preuve d’amour de jeunesse qu’il n’avait pas alors été fichu d’interpréter ? Une façon pour elle de laisser un fil qui continuerait de les relier ? Savait-elle son exil proche ? Avait-il donc été aveugle, au point  d’en être là, après toutes ces années,  à chercher piteusement à résoudre ce qui, désormais, avait tout d’une énigme ? A son corps défendant, il se surprit à en concevoir soudain  un soupçon de honte teintée d’amertume.  Mais surtout à admettre de découvrir, ce qui l’étonna, une petite douleur sourde qu’il sentait s’installer, se tapir, le prendre en otage, et dont il comprit rapidement qu’elle n’était pas décidée à le quitter de si tôt. La suite devait lui donner raison, au-delà de ce qu’il aurait pu imaginer. En attendant, il était là, éclairé par la suspension et par le jour déclinant au dessus du clocher. Et il se mit à tourner les pages avec délicatesse, en prenant grand soin de ne pas les séparer de leur reliure, en veillant à ne pas arracher les échantillons de leurs supports.

En dépit de toutes ces précautions, il ne put empêcher certains éléments de se détacher des feuillets et de venir parsemer le plateau en chêne ciré de la table : petites feuilles séparées de leurs tiges, pétales, calices, pétioles, graines essaimées, poussières multicolores… Mais l’ensemble (et il s’en réjouit) se présenta, dans l’ensemble, intact. Il s’imposait une manipulation d’orfèvre, une minutie d’égyptologue déchiffrant un rouleau de papyrus. Et ne cherchait pas à échapper à l’émotion qui l’envahissait peu à peu, tant ces humbles témoins, figés dans la grâce immobile des courbes de leurs tiges et l’éclat atténué mais toujours délicat de leurs fleurs, faisaient resurgir des paysages familiers, des souvenirs enfouis d’escapades à travers champs, où il sentait la main de Fanchon chercher la sienne lorsque la pente se faisait trop raide, mais aussi les regrets de ces moments qu’il avait finalement vécus (cela lui sautait aux yeux, telle une évidence) comme des moments privilégiés, des moments de bonheur.  Des moments dont il avait été inconscient, tant ils lui étaient apparus comme naturels, sans conséquences. Des moments qui, pourtant, auraient pu modifier le cours de son existence. Mais voilà. Il n’avait rien « saisi ».

Il abandonna le volume ouvert sur la table. Il avait besoin de faire la pause, de briser le charme, de se ressaisir. Il sortit flâner sur le chemin du lavoir, entre les haies de noisetiers qui commençaient à distiller leurs ombres sur les murets de pierres sèches. Il but à grandes goulées l’eau fraîche de la « fontaine des lavandières »  dont il ne manquait jamais, autrefois, de remplir sa gourde avant de se lancer sur les « raccourcis », ces sentiers qui reliaient les hameaux en évitant les lacets des routes et qui, hélas, sont retombés en friches depuis bien longtemps.

Lorsqu’il rentra, la grande salle était plongée dans la pénombre. Il ralluma la suspension, dont l’ampoule émergeait de ce qui avait été autrefois le réservoir à pétrole et ajouta devant l’herbier de Fanchon une lampe de bureau que l’un des enfants avait installée sur un petit guéridon à côté de l’âtre. Et il plongea de nouveau dans la machine à remonter le temps. Le moins que l’on puisse dire est que Fanchon n’avait pas laissé le souvenir d’une botaniste distinguée. Il ne décela pas dans la succession des planches le fil rouge d’un classement. Les échantillons se succédaient  dans un apparent désordre. Tout au plus pouvait-on distinguer des regroupements par couleur, les indications se limitant, sauf exception,  aux noms, français et latins, (« elle avait dû se faire aider« , pensa-t-il) et à la mention du lieu de la cueillette, complétée parfois par des précisions médicinales.

La couleur jaune ouvrait le bal :

Millepertuis perforé (Hypericum perforatum) : pâturages du plateau de la Croix Haute.

Surelle ou oseille commune (Rumex acetosa) : pentes du Puy Mouchet (utilisé comme laxatif).

 Luzerne lupuline ( Medicago lupulina) :  combe de Saint Gal, près du ruisseau. 

 Laiteron des champs (Sonchus arvensis) : pâturages  de l’étang de Noyat.

Elle occupait une bonne quinzaine de feuillets, suivie par le bleu :

Ancolie commune (Aquilegia vulgaris) : pentes du Puy Mouchet.

 Petite pervenche (Vinca minor) : cueillie lors d’un week-end de printemps (utilisé en bains de bouches contre les aphtes).

 Sauge des prés (Salvia pratensis) : pâturages de la Croix Haute.

Quant à la couleur blanche, elle dominait largement :

 Orchis des montagnes (Platanthera clorantha ) : prairies de la route du Pont Vieux.

Laissant place parfois à quelques spécimens plus originaux. Par exemple :

 Achilée millefeuille (Achillea millefolium), aux fleurs « souvent purpurines », dont on faisait un   onguent pour blessures en Ecosse…

Il demeura ainsi pendant plus de deux heures, à tourner et à détailler les feuillets, emporté dans un voyage au cours duquel défilaient des paysages et des noms familiers, enveloppé dans des parfums complexes libérés au fur et à mesure du défilement des échantillons.

En fait, il ne se lassait pas de lire et de relire les annotations de Fanchon, tracées de son écriture si particulière, légèrement inclinée vers la gauche. A la fin de l’une d’entre elles, elle avait ajouté  entre parenthèses à la suite du nom alambiqué d’un spécimen : « cueillie par Belou ».  Et cela lui avait rappelé comme dans un flash que c’était le surnom affectueux qu’elle lui avait donné.  « Belou », (petite belette mâle en patois) :

   – Où va-t-on, aujourd’hui, mon Belou ?

Il croyait entendre sa voix.

Lorsqu’il finit par s’arracher aux sortilèges du jardin secret, dérobé par hasard au temps et aux rêves, la nuit était tombée depuis plusieurs heures. Il refit littéralement surface, songea prosaïquement à se préparer un dîner sommaire. Il avait rendez-vous le lendemain matin avec un couvreur, pour estimer l’urgence de ces maudits travaux à entreprendre sur la toiture en lauzes. Pas vraiment une mince affaire. Le charme fut brusquement rompu. Il ignorait alors que ce n’était que provisoire.

 

*

 

Les contraintes des deux ou trois jours, qui suivirent sa découverte, lui occupèrent largement l’esprit. Entre l’inspection du futur chantier, les devis, les plannings, il se retrouva très vite à cent lieux de ses souvenirs de jeunesse et des escapades botaniques, vécues sous le charme du sourire et de la gaieté de Fanchon. C’était sans compter sur les fameux « moustiques ». Vous savez, ceux qui sont en embuscade dans ce genre de circonstances. Il faut dire aussi que, pour le coup, il en avait libéré tout un essaim. Et des coriaces. Ils ne furent pas longs à pointer leur nez. : qu’était-elle devenue Il avait décidé dès le départ de ne pas s’éterniser, de reprendre rapidement la route de Paris, où l’attendaient ses occupations diverses dans le bénévolat. Il comprit très vite qu’il n’en était plus question : il fallait qu’il sache ! D’ailleurs la « photo de Fanchon », comme il l’avait surnommée, n’était-elle pas déjà dans son portefeuille ? Le lendemain était un dimanche et un jour de marché. C’était bien le diable si il n’y croiserait pas quelques anciens, entre le champ de foire, la sortie de la messe et les deux bistros qui restaient encore sur la place principale du bourg. Avec un peu de chance, une tournée de « Suze-cassis » ferait le reste. Il ne s’était pas trompé.

Une dizaine d’ »anciens » le regardèrent entrer dans la salle du bar de « L’Hôtel des Voyageurs », répartis entre le comptoir à l’ancienne et les tables en Formica qui n’avaient pas dû bouger depuis le milieu des années cinquante. Certains levèrent le nez en ramassant les plis  de leur partie de manille. Il eut droit à quelques sourires et même à des signes de tête. Malgré le temps  écoulé, il était reconnu, il avait l’onction de la tribu. Et il s’avoua volontiers que cela lui faisait quelque chose. Il rejoignit au comptoir deux clients dont il aurait été bien incapable de citer les noms, mais dont les visages  lui étaient vaguement familiers. Ils s’écartèrent spontanément pour lui laisser une place et le plus grand des deux (barbe poivre et sel, veste de chasseur sur un pantalon de velours côtelé) se tourna vers lui en souriant : « bienvenue au village, on vous voit plutôt l’été d’habitude ! ».

Et c’est ainsi que la conversation s’engagea, spontanément, comme la chose la plus naturelle du monde, sans rituel préalable ni formules convenues. Ils quittèrent le « zinc »  pour rejoindre l’une des tables. Bien sûr, il n’avait toujours pas retrouvé leurs noms ni leurs  prénoms. Il décida donc une fois pour toutes que le diminutif passe-partout de « vieux » ferait parfaitement l’affaire. Il ne s’était pas trompé. Le tutoiement fut immédiat et des souvenirs communs refirent surface, avec leurs cortèges de bonnes et de mauvaises nouvelles : « tu te rappelles le Joseph, l’ancien bourrelier du « pont de la Sagne », ben, mon vieux, il vient de passer l’arme à gauche ; faut dire aussi qu’il allait sur ses quatre-vingt quinze ».

            C’était exactement ce qu’il avait espéré. Il laissa venir les choses tout doucement, et puis, au détour d’une anecdote, l’air détaché, sans insister vraiment, il  lança le bouchon :

– Ça me fait penser, je ne sais pas pourquoi, à une fille dont les parents étaient des natifs du village. Elle venait en vacances chaque été. Elle avait un surnom. Du genre « La Suzon « . Non, ça ne colle pas, je me trompe.

– Ah ! Tu veux dire « La Fanchon », la fille au Robert. Ceux-là, ils ont disparu. Le Robert était prof à Clermont. On dit qu’un beau jour il a été muté à la Réunion. Ils ont vendu leur bien. On ne les a plus revus.

Il ne laissa rien paraître du petit pincement au cœur qui l’effleura. Il réfléchit plutôt à la façon la plus naturelle de prendre congé, sans déroger aux us et coutumes que la bienséance ancestrale commande de respecter, avant de mettre un terme à ce genre de palabre parfumée à la gentiane. Ce fut alors qu’à la table voisine un joueur de manille abattit une de ses cartes et marmonna, sans se retourner, à travers son dentier :

– La Fanchon, moi, je sais où elle est. C’est le Curé qui en a parlé à ma femme car il est vaguement parent avec elle. Elle n’est pas à côté, croyez-moi. Elle est à Nice, dans une clinique. Et elle n’est pas en forme la pauvrette. La « tête », qu’il a dit le Curé. La « tête », j’n’ ai pas besoin d’vous faire un dessin. Vous voyez le genre de maladie.

Et il ramassa son pli sans en dire plus. C’était à lui de « donner ». Et à la manille, ça ne rigole pas. De toute façon, tout le monde le savait : c’était un « taiseux ». Il avait des pommettes saillantes de celte, tout le contraire d’un personnage de Pagnol.

 

*

 

De retour à Paris, il fut repris par le rythme de ses occupations. En arrivant, son premier réflexe avait été de ranger l’herbier de Fanchon sur l’une des étagères de son living, entre les deux derniers catalogues d’exposition du Musée du Luxembourg. Et de faire en sorte d’échapper au « charme » indéfinissable que cet ouvrage d’adolescente continuait bel et bien de provoquer en lui. Il se reprocha cet envoûtement puéril (tu deviens gâteux, mon vieux !). N’en était-il pas arrivé jusqu’à s’imaginer par moments percevoir dans la pièce les parfums des échantillons endormis ! C’était ridicule !

Mais il lui fallut bien, pourtant, se rendre à l’évidence. Et tenter de décrypter ce qui lui apparaissait comme une énigme. Mais était-ce vraiment une énigme ? Il avait envie de revoir Fanchon, tout simplement. Il se sentit soulagé le jour où il se l’avoua.

C’était un vendredi, jour où ses activités de soutien scolaire marquaient toujours une pause. Il en profita pour lancer son enquête via Internet. Son moteur de recherche lui fournit immédiatement les coordonnées des quelques cliniques niçoises susceptibles de cadrer avec les allusions faussement sibyllines du joueur de manille de l’Hôtel des Voyageurs. Le troisième coup de téléphone fut le bon. Fanchon était hospitalisée dans un établissement situé au nord du port, dans le quartier Saint Roch. Il se rendit sur le site correspondant. La liste des structures proposées, énumérées sur la page d’accueil, avait le mérite de la clarté, puisque l’une d’entre elles était présentée de la façon suivante:

« Unité de vie protégée disposant d’une équipe spécifiquement formée à l’accompagnement des personnes désorientées ou atteintes de la maladie d’Alzheimer et dotée d’un jardin sécurisée. » 

Le reste de la plaquette relevait par contre de l’hôtellerie pure et simple :

« Le petit-déjeuner est servi dans les chambres. Les résidents peuvent recevoir leurs invités en profitant d’un espace dédié dans les salons meublés « Art Déco » aux couleurs chaudes et à l’ambiance propice à la sérénité… »

Il interrompit sa lecture. Il avait appris l’essentiel. Il ne lui restait plus qu’à organiser son voyage. Moyennant de patienter encore une quinzaine de jours, il put trouver, à un tarif raisonnable, un vol au départ d’Orly (11h10 – 12h35) qui cadrait parfaitement avec les horaires des visites de la clinique. Il forma même le projet de déjeuner sur place dès son arrivée. Une façon de se donner change ? De nier son appréhension ? Au prétexte que son neveu, cadre commercial habitué de la Côte d’Azur, averti de son projet, lui avait chaudement recommandé l’un des restaurants du Terminal 2, réputé pour son « Tartare de Saint-Jacques à la mangue ».

Lorsque son vol se posa, le temps était superbe. Il fit donc la pause au Terminal 2, et ne récupéra sa voiture de location qu’un peu avant deux heures. Quelques minutes plus tard, il se retrouva au milieu de la circulation de la Promenade des Anglais. Un véritable enchantement qui lui rappela l’époque des vacances sur la Côte avec ses enfants, celles des châteaux de sable et des pédalos. Une éternité, lui sembla-t-il. Un peu comme celle, finalement, qui le séparait des cavalcades dans les prairies du village. Le temps avait filé…Il choisit volontairement la file la plus lente, histoire de faire durer le plaisir. Au niveau de la Place Masséna, il crut reconnaître sur sa gauche, au milieu des palmiers, le carrousel rétro sur lequel son fils Olivier, arc-bouté sur son  cheval de bois, tentait en riant aux éclats  d’attraper la queue  qui lui  vaudrait un tour supplémentaire. Il se retrouva tout près du marché aux fleurs, à l’extrémité de la Promenade, là où on attaque la grimpette, qui contourne le promontoire du Château, et dont les balustrades bleues offrent une vue plongeante sur la mer, puis au dernier moment sur le Port. Il s’en mit, comme on dit, « plein les yeux ». Il jeta un coup d’œil sur les bateaux. Le plus imposant, profilé comme un pur-sang, le fit rêver : il vantait sur sa coque « Nice – Corse en 2h55 ». Il atteignit le bout du bassin et vira à droite, pour longer les façades et les arcades à l’italienne de la Place de l’Ile de Beauté. Il savait que la clinique n’était plus très loin, qu’il lui suffisait de rejoindre le Boulevard de Riquier. Ce fut alors que son regard fut attiré par une église. Elle se présentait sur sa gauche, à l’extrémité des arcades. Il ralentit et profita d’une accalmie de la circulation pour s’arrêter à son niveau, en empiétant sur le trottoir qui longeait la balustrade dominant le port. Ce qui le surprenait, c’était sa façade néo-classique à quatre colonnes ioniques, supportant un fronton traditionnel. Il y avait une inscription sur le bandeau. Il ressentit la nécessité  inattendue, impérieuse, inexplicable de la lire. Au risque de choper un PV, il décida de quitter quelques instants  son véhicule pour traverser la place. Le texte était en latin. Il le copia  rapidement au revers de sa note de restaurant : « Maria Sine Labe Concepta O.P.N. »

Ayant repris le volant, il fit appel à ses souvenirs de latiniste en herbe au bon vieux temps de son lycée parisien. Bien qu’il butât tout d’abord sur « labe« , l’ensemble du texte lui parut évident : « Marie conçue sans tache », autrement dit « l’Immaculée Conception », mais que pouvez bien signifier les trois lettres O.P.N. ? Il abandonna ce mystère  lorsqu’il atteignit enfin le parking de la clinique. Il reconnut aisément l’immeuble de six étages présenté sur la notice (façade laide en béton, crépi criard), le hall d’accueil fonctionnel et froid, agrémenté d’une immense amphore en faux marbre. La gentillesse de l’hôtesse, dès qu’il lui expliqua l’objet de sa visite, corrigea cette première mauvaise impression.

– Je pense que vous connaissez l’état de santé de votre amie. A cette heure-ci, comme il fait très beau, on a dû l’installer sur son fauteuil, sur la petite terrasse privée attenante à sa chambre. Je vais appeler une aide-soignante qui va vous accompagner. C’est au second étage.

Il patienta quelques instants, avant d’emboîter le pas à une petite brune qui tint à lui faire comprendre, d’entrée de jeu, qu’il ne devait pas s’attendre à une visite ordinaire, au cours de laquelle on parle du bon vieux temps, en égrainant les souvenirs et en évoquant les copains disparus. A la vérité, il s’y était déjà, lui-même, préparé. Il éprouva pourtant quelques secondes d’appréhension lorsque la jeune femme poussa la porte de la chambre 204.

Fanchon était effectivement sur la terrasse, tournée de trois quarts vers le parc de la Résidence. La grande fille qui courrait en riant aux éclats à travers les genêts était devenue une petite chose pelotonnée sur son siège, immobile. La jeune aide-soignante se pencha vers elle en souriant.

– Vous avez de la visite, Madame, je suis sûre que ça va vous faire plaisir.

Puis, s’adressant à lui :

– Asseyez-vous en face d’elle. Parlez-lui. Essayez de capter son regard.

Il s’efforça de cacher son émotion. Il sentait ses yeux s’embuer légèrement, alors qu’il redécouvrait ce visage, celui de cette photo surgie sans crier gare quelques semaines auparavant. Un visage moins ridé qu’il ne l’aurait cru, qui avait même conservé cette rondeur un peu slave, qui faisait son charme. Elle tourna lentement la tête vers lui. Il ne put, à sa grande joie, s’empêcher de la trouver élégante. Un châle violet à motifs noirs, assorti à son corsage fermé par un camée, était posé sur ses épaules.

– Bonjour, Fanchon. Tu me reconnais ? C’est moi, Pierre. C’est moi, Belou. Ne me dis pas que tu as oublié ton chevalier servant ! C’est ton Belou qui vient te voir.

La jeune femme assistait à la scène, un peu en retrait, appuyée à la rambarde du balcon. Il se tourna vers elle, comme pour quémander un encouragement. Elle lui sourit et il s’étonna de la sentir émue, elle aussi. (« une professionnelle pourtant… »,  pensa-t-il).

Ce fut à ce moment que le regard de Fanchon se modifia lentement. Il eut l’impression que ses yeux perdaient de leur « flou ». Comme une brume qui se délite devant une source de lumière. Il sentit une joie très douce l’envahir : elle le fixait. Elle hocha très lentement la tête. L’apparition fugitive d’un sourire trembla sur ses lèvres. Elle esquissa le geste de lui tendre la main. Il ne put s’empêcher de se tourner de nouveau, brièvement, vers la petite brune : elle regardait la scène, comme fascinée. Alors « l’idée » lui vint. Il sortit l’herbier de son porte-documents et le tourna vers Fanchon en s’approchant d’elle.

– Regarde, ma Fanchon, regarde, j’ai retrouvé ton herbier. Tu sais, celui que tu as composé à la suite de nos ballades dans les pâturages et dans les champs de gentiane tout autour du village. Tu te rends compte ! C’était quand ? Au milieu des années cinquante. Ça fait un bail, non ?

Alors, elle le fixa intensément. Il sentit que la brume se dissipait de plus en plus. Elle tourna les yeux vers le gros recueil dont la couverture beige cartonnée était ornée d’une aquarelle représentant un buron et un petit troupeau de « salers », sur les pentes du Puy de Sancy. Elle avança ses mains en hésitant. Il lui posa l’herbier sur les genoux. Il vit sa main droite effleurer délicatement  le bord du livre. Il l’ouvrit tout doucement, dévoilant les tiges et les fleurs jaunes délicates du « Millepertuis perforé » qu’elle contempla très longuement, en pointant un index qui tremblait un peu vers l’échantillon, avant de le regarder droit dans les yeux. Et, enfin, de lui sourire. Oh ! Un tout petit sourire, bien sûr. Ses lèvres bougèrent pendant quelques secondes, avant de prononcer d’une petite voix à peine audible, mais distinctement, ces mots qui le bouleversèrent : « Hypericum…perforatum… ». Et puis, comme dans un dernier effort surhumain pour remonter à la surface : « Croix Haute…mon Belou ».

– Vous faites des miracles, Monsieur.

Il sourit à la petite aide-soignante et vit qu’elle essuyait furtivement une larme.

Hélas, le miracle ne se reproduisit plus. Les filoches de brume s’étiraient à nouveau devant le doux regard de Fanchon. Il demeura néanmoins avec elle, pendant encore un long moment, lui parlant sans grand espoir de réponse, s’imposant de plaisanter pour deux, comme au temps de leur insouciance. Il avait  repris  l’herbier, et après un dernier baiser sur le front, il la quitta en évitant de se retourner, et se mit à la recherche de la jeune femme qui s’était éclipsée discrètement. Ils se retrouvèrent à l’accueil.

– C’était un beau moment, Monsieur. Hélas, ils sont éphémères…

– Je désirais surtout savoir si mon amie avait de la famille, si des proches venaient la    voir.

– Sa fille vit à Montpellier. Elle vient tous les quinze jours environ.

Rassuré, il lui tendit l’herbier et sa carte de visite, en lui demandant de le remettre de sa part à la fille de Fanchon :

– On peut toujours espérer d’autres petits miracles…

Il était sur le point de prendre congé, lorsqu’une idée lui traversa brusquement l’esprit.

– A propos, je voulais vous poser une question d’un ordre tout à fait différent. Je suis passé, en venant ici, devant une église dont le style m’a intrigué. Elle domine l’extrémité du bassin. Une église avec des colonnes grecques. Savez-vous son nom ?

– Bien sûr, Monsieur. C’est tout simplement « Notre-Dame du Port ». Elle est dédiée à la protection des navigateurs qui prennent la mer. Ils remettent leur sort entre les mains de la Vierge Marie. Je crois que c’est indiqué sur le fronton. En tout cas, c’est ce que ma mère m’a dit quand j’étais petite.

Il la remercia avec un large sourire. Elle venait de lui donner la clef de son énigme : O.P.N. : Ora  Pro  Nobis  (Priez pour nous)

            Il reprit la route, mais, cette fois-ci, il prit le temps de se garer à proximité de la Place de l’Ile de Beauté et il pénétra dans l’église. Elle était pratiquement déserte. Une lumière dorée baignait la double rangée de colonnes à chapiteaux ioniques de la nef.

Alors, il fit ce qu’il n’aurait jamais imaginé faire en quittant, le matin, le Terminal 2 : il choisit une chaise à l’écart, juste sous la vieille chaire, depuis longtemps inutilisée et il pria pour Fanchon. Car elle aussi, d’une certaine façon, elle avait largué les amarres. Elle naviguait, perdue dans une brume où les éclaircies étaient rares. Il avait réussi à lui en offrir une, soudaine, fragile, vacillante comme la flamme d’une chandelle. Il avait eu ce privilège, grâce à quelques fleurs fanées. Des fleurs de leurs vingt ans.

 

Rochefort du Gard, Mai 2012