Dupras television


De son côté, Pierre-Paul vient de terminer ses deux années de cours de radio et de télévision à l’institut Teccart. Elles ont suivi deux années à l’École des Métiers de Saint-Henri. En juillet 1951, il a alors 16 ans et se sent prêt pour le marché du travail.

Il aime répéter qu’il doit son intérêt pour l’électronique à Claude, qui lui, est toujours surpris de cette affirmation. Pierre-Paul explique que jeune, alors que la famille vivait au 981, il était malade et avait donné cinq piastres à Claude lui demandant d’aller lui acheter un radio chez Musicland, au coin des rues 4ième et Bannantyne. Celui-ci était revenu avec un radio cristal qui avait intrigué son frère. Pierre-Paul a longtemps joué avec ce radio cristal pour le comprendre et c’est de sa curiosité qu’est né son intérêt.

Il trouve une job chez Bourdon, une entreprise électronique de Laprairie où, pendant une année, il fait l’assemblage de téléviseurs de grande marque qui arrivent des USA en pièces détachées. Il installe aussi de grosses antennes pour la réception des signaux de télévision. Pierre-Paul est très occupé car la télévision s’en vient et Bourdon, qui est d’avant-garde, se prépare. D’ailleurs, plusieurs clients achètent à l’avance leur appareil en prévision du grand jour. Pierre-Paul aime son nouveau métier et veut réussir. Il sait qu’il doit tout apprendre car le cours de Teccart ne l’a pas satisfait puisqu’il l’a trouvé incomplet. Il veut apprendre le côté pratique de son boulot et se lance à corps perdu dans son travail. Comme toujours il démontre son courage en partant tous les matins du 6401 pour se rendre au terminus de la Provincial Transport de la rue Dorchester (aujourd’hui René-Lévesque) et de là, avec l’autobus de Laprairie, il traverse le pont Victoria pour se rendre chez Bourdon avant 08:00. C’est plus de 90 minutes de voyagement, matin et soir, quand tout roule bien et que le pont est dégagé. Bourdon l’intéresse aussi à la réparation des équipements électroniques. Il aime cette partie de son travail puisqu’il utilise les meilleurs équipements d’analyse et devient familier avec eux. Bourdon fait des affaires en or et cela fait rêver Pierre-Paul. «Pourquoi pas moi ?», pense-t-il.

À l’été ‘52, toute la famille anticipe la venue de la télévision prévue dans quelques mois. Charles-Émile, toujours avide de nouveautés est parmi les premiers Verdunois à acheter un récepteur de télévision et, depuis la fin août, l’appareil est en place dans le salon et raccordé à une antenne portable placée sur l’appareil. C’est par Pierre-Paul qu’il l’a obtenu et c’est celui-ci qui l’installe et explique à tout le monde les contrôles d’ajustement de l’image. Le téléviseur est un récepteur noir et blanc de marque RCA avec écran de 20 pouces incorporé dans un très beau meuble, construit de bois d’acajou, avec deux portes qui peuvent cacher l’écran et les contrôles lorsqu’il n’est pas utilisé. C’est Antoinette qui a choisi ce modèle car elle trouve que la vue de l’écran dépareillerait son salon. Pierre-Paul explique que l’appareil a 525 lignes, 23 lampes, peut capter les signaux VHF des canaux 2 à 13, un haut parleur de 10 pouces et une alvéole à l’arrière où il a raccordé la fiche du gramophone avec son bouton à l’avant pour le contrôler. Il a coûté plus de 300 $, un montant énorme à l’époque. Depuis quelques jours, la mire de Radio-Canada est en ondes. C’est une tête de «sauvage»avec des lignes verticales et horizontales pour faciliter l’ajustement parfait de l’image. Souventes fois, la famille est assise et admire la mire immobile, sans musique. Tous sont émerveillés que cette image leur parvienne directement dans leur salon en provenance du centre de Montréal d’où elle est transmise. Quelques fois, le hasard fait bien les choses puisqu’ils découvrent momentanément en ondes une courte émission expérimentale.

Claude a vu la télévision pour la première fois à Plattsburgh en 1951 dans un bar-restaurant. C’est Charles-Émile qui l’a amené voir, un vendredi soir, un match de boxe télévisé directement du Madison Square Garden de New York. L’écran d’à peine neuf pouces est en forme d’ovale déformé sur la longueur. Claude est émerveillé. Il y a aussi un ingénieur de Canadian General Electric, voisin de son bon copain Jacques Girard, qui a un téléviseur avec lequel il reçoit quelquefois le signal américain grâce à une grosse antenne installée sur le toit. Jacques vit sur le boulevard Lasalle, au coin de la rue Godin, à quelques rues de chez Claude et celui-ci est surpris d’apprendre qu’il est possible de capter des émissions de télévision dans sa maison. Ressentant l’incrédulité de son ami, Jacques arrange une visite chez l’ingénieur où Claude voit la télévision pour la seconde fois. Il en ressort très désappointé car l’image, ce jour-là est enneigée et le son misérable.

Jacques et Claude se sont rencontrés, une première fois, dans l’autobus qui les transporte à leur collège. Jacques est au collège de Montréal et termine son cours classique la même année que Claude obtient son diplôme de cours scientifique. Fin juin, ils fêtent l’obtention de leurs diplômes et partent avec l’auto neuve du père de Jacques vers Norfolk et Myrtle Beach en Virginie sur la côte américaine de l’Atlantique. Ils voient à nouveau la télévision dans la maison du propriétaire du motel où ils logent à Myrtle Beach. Là, le signal est fort, l’image claire et le son parfait. Claude comprend alors le grand engouement pour la télévision et a hâte de l’avoir chez lui.

Ce voyage de sept jours est très agréable et instructif. Claude et Jacques sont témoins de la ségrégation raciale qui existe dans les états du sud américain. Ils voient des restaurants qui affichent We cater to white only et des abreuvoirs avec enseignes White only, d’autres Colored only, un réseau d’autobus où les noirs doivent s’asseoir en arrière, des quartiers délabrés, pauvres, mal entretenus où vivent les noirs et de belles écoles qui ne sont réservées qu’aux blancs. Les noirs lui semblent abattus, découragés, écrasés, sans fierté, se traînant les pieds et sans motivation. Claude demande à des blancs pourquoi cette situation existe, ils répondent que les noirs sont des êtres humains inférieurs, génétiquement non-intelligents et ils lui conseillent de ne pas leur montrer de sympathie. Claude est révolté par ces propos et ne peut comprendre que de telles sottises se répètent encore dans ce grand pays. Il est surpris que cette situation existe encore nonobstant la guerre civile américaine et l’abolition de l’esclavage par le président Lincoln. Jacques et lui apprennent à mieux connaître les Américains de ce coin de pays. Par ailleurs, ils visitent le vieux porte-avion USS Wright qui vient de rentrer de la Méditerranée et est à quai à la base navale de Norfolk. Ils font aussi le tour d’un destroyer.

Jacques deviendra géographe, haut fonctionnaire du gouvernement du Québec où il occupera plusieurs postes importants. Claude l’intéressera au Jeune Commerce de Montréal et, en 1955, suggérera son nom comme administrateur de ce mouvement. Il sera élu. Les deux amis se perdent de vue après le mariage de Jacques et ont peu d’occasions de se croiser. Un jour, alors qu’il est le délégué général du Québec au Japon, Jacques invite Claude à venir le rencontrer à Tokyo. Malheureusement, cela est impossible à ce moment-là et il doit décliner l’invitation avec grand regret.

Suite à ce voyage aux USA, , Claude s’intéresse, entre autres, à l’invention de la télévision. Il apprend que c’est en 1900 à Paris au Congrès International sur l’électricité que le mot «télévision» est utilisé. Des images géométriques sont transmises en utilisant un disque Nipkow (perforé en spirale, tournant à une certaine vitesse et permettant à l’œil de relier les points ensemble reconstituant ainsi l’image en entier), un tambour de miroirs et un receveur à tube cathodique. C’est la télévision mécanique. En 1908-1911, un ingénieur écossais Campbell-Swinton préconise dans ses écrits un système de télévision tout électronique. En 1925, l’Anglais John Logie Baird transmet et reproduit à distance en laboratoire, par son système de télévision mécanique, l’image du visage de son jeune employé William Taynton, qui devient la première face à être télévisée. NBC est créée. Deux ans plus tard, Bell Telephone transmet sur une distance de 200 milles, par ligne téléphonique, une image de Herbert Hoover, ministre du commerce des USA. Baird, de la même façon, transmet un signal de télévision de Londres à Glasgow et l’année suivante des images d’un côté à l’autre de l’Atlantique aux USA par câble téléphonique. CBS est alors formée. En septembre, une première pièce de théâtre est retransmise à New York par RCA. 1931 voit CBS, à New York, devenir la première station à transmettre des émissions tous les jours de la semaine. NBC installe la première antenne sur l’Empire State Building.

Le poste de radio CKAC avec le journal La Presse mettent en ondes la première station de télévision canadienne, VE9EC, à Montréal en 1931. C’est la télévision mécanique. L’image est petite, sombre, embrouillée et on ne peut voir que la tête et les épaules des animateurs qui ne doivent pas trop bouger. Elle est vouée à l’échec. Un jeune ingénieur qui travaille à cette station deviendra un des pionniers de la télévision au Canada. Il s’agit de J.-Alphonse Ouimet. En 1932, l’année de naissance de Claude, le parlement canadien crée la Commission Canadienne de Radiodiffusion qui deviendra, en 1936, CBC/Radio-Canada.

L’Allemagne d’Hitler, qui a initié en 1935 un service régulier de télévision transmis à des salons de visionnements publics d’une capacité de 30 personnes, diffuse pour la première fois à 150,000 personnes, les Jeux Olympiques de 1936. La France de son côté débute ses transmissions du haut de la tour Eiffel. Il n’y a que 2,000 récepteurs de télévision au monde, à ce moment-là. C’est aussi l’année où la BBC laisse tomber le système de télévision mécanique pour le premier service de télévision électronique haute résolution au monde.

En 1938, la finale de soccer FA, la Oxford and Cambridge Boat Race et un incendie important à New York sont transmis en direct. En 1939, le président américain Roosevelt, à l’exposition mondiale de New York, est le premier président à donner un discours télévisé et un premier programme double du baseball majeur, entre les Reds de Cincinnati et les Dodgers de Brooklyn, est aussi transmis à la télévision. Malheureusement, à cause de la déclaration de la deuxième guerre mondiale, la BBC met fin aux transmissions télévisées en Angleterre. En 1940, la première partie de hockey télévisée est transmise du Madison Square Garden et oppose le Canadien et les Rangers de New York. La convention du parti républicain américain est le premier événement de ce genre à être télévisé de Philadelphie. En 1943, ABC est créée.

En 1946, RCA démontre son système de télévision couleurs et la BBC reprend ses transmissions. Le 19 juin, le premier combat de boxe de poids lourds entre le champion Joe Louis et Billy Conn est télévisé du Yankee Stadium et vu par 141,000 personnes, le plus grand auditoire pour un combat.

Au Japon, en 1947, Sony est créée, les lentilles zoom sont inventées et le transistor est mis au point et sera à la base des circuits électroniques à semi-conducteur.

Cette année-là, 14,000 maisons ont des téléviseurs aux USA alors que les séries mondiales de baseball sont télévisées. En 1948, une usine de fabrication de téléviseurs est lancée à Montréal pour répondre à la demande des ménages américains qui atteint un million d’appareils. En 1949, pour la première fois le catalogue de Sears offre des téléviseurs. Le premier programme double de baseball entre les Dodgers de Brooklyn et les Braves de Boston est télévisé en couleurs et une partie des séries mondiales l’est en direct d’un océan à l’autre. En 1952, les funérailles de Georges VI sont télévisées en Angleterre.

Après l’Angleterre et les USA, l’Allemagne, la France, le Brésil et le Mexique en 1950 et l’Argentine en 1951, le Canada emboîte finalement le pas et Radio-Canada, dont le président est J.-Alphonse Ouimet, lance son premier service de télévision, en noir et blanc, à Montréal sous le signe CBFT, le 6 septembre 1952. Ce signal est bilingue. Deux jours plus tard, un service anglais CBLT est mis en onde à Toronto.

Pour partager le plaisir de cette première représentation, Charles-Émile et Antoinette invitent leurs locataires, les voisins dont les Giguère, mémère Lalonde, l’oncle Paul et sa famille. Claude et Pierre-Paul installent une vingtaine de chaises pliantes dans le salon pour tout le monde (ce sera ainsi pour le prochain mois). L’invitation est acceptée sur-le-champ car c’est un événement exceptionnel à Montréal et tout le monde a hâte de voir la télévision.

Une vaste majorité de Montréalais n’ont pas encore acheté de téléviseurs et un très grand nombre se masse pour la regarder devant les vitrines des magasins de vente d’appareils où les marchands ont installé et mis en opération plusieurs téléviseurs et même posé, dans certains cas, un haut-parleur extérieur pour transmettre le son.

Tous sont témoins, ce jour-là, de la première programmation d’émissions télévisées de Radio Canada:

16:00 à 18:00 Films pour enfants
18:00 à 19: 30Mire de Radio Canada

19:30 CBC News Revue Summer 52 (télécinéma)
20:00 Club d’un soir – One Night Club (émission de variétés bilingue)

20:30 Les Coulisses de la TV (documentaire sur la naissance de la télévision)
20:55 Cérémonie d’ouverture en direct, avec interviews des invités d’honneur par Henri Bergeron, annonceur
21:30 Kaléidoscope (émission qui résume ce qui a été présenté au petit écran de façon expérimentale depuis six semaines)
22:00 Bienvenue (salutations de CBLT Toronto)
22:30 Salutations de la British Broadcasting Corporation (BBC) de Grande-Bretagne
22:40 Oedipe Roi, de Cocteau, mise en scène par Georges Groulx, avec Jean Gascon, Sita Riddez, Henri Norbert, Gilles Pelletier, Jean-Louis Paris, Jean Coutu et Jean-Louis Roux.
23: 20 Fin des émissions

En 1953, la station CBFT devient exclusivement francophone alors qu’une nouvelle station anglophone, CBMT, est lancée à Montréal. Un réseau hertzien relie les stations de télévision de Montréal, d’Ottawa et de Toronto de la Société Radio-Canada. Le couronnement de la reine Elizabeth II est télévisé en Grande-Bretagne et Radio-Canada fait venir le reportage filmé, par avion, pour le passer sur le petit écran des Canadiens avant celui des Américains. Le TV Guide est imprimé pour la première fois et obtient une circulation de 1,5 millions de copies. C’est l’année où commence l’ère de la télévision au Japon dont les entreprises contribueront énormément à son perfectionnement, alors qu’aux USA la télévision couleurs se met en branle pour de bon.