Notre-Dame-de-la-Garde


Pendant toutes ces années, la nouvelle paroisse Notre-Dame-de-la-Garde grandit. Depuis que la construction de l’église est terminée, son grand sous-sol est le lieu de rencontres privilégiées des mouvements de paroissiens comme la ligue du Sacré-Cœur, les Enfants de Marie, le Tiers-Ordre (ses membres appuient les prêtres dans leur bataille morale, doctrinale et spirituelle), les Dames de Sainte-Anne, la société St-Vincent-de-Paul, la Ligue ouvrière catholique et enfin les cercles Lacordaire et Jeanne-d’Arc qui prêchent l’abstinence de l’alcool. Il y a aussi une organisation pour les jeunes et les moins jeunes, mise sur pied par un vicaire, qui prend le nom de Loisirs Notre-Dame-de-la-Garde. Elle est similaire à celles qui existent dans un grand nombre de paroisses. Le sous-sol est aussi le centre des activités destinées à aider la fabrique à financer la construction de l’église, telles que tombolas, soirées d’amateurs, spectacles, danses folkloriques, assemblées de toutes sortes.

Claude est très actif dans les Loisirs. Il organise pour le dimanche des excursions par autobus vers des destinations comme Ausable Chasm, Ottawa, Sainte-Adèle ou des nowheres qui vont vers des destinations surprises non annoncées comme le Cap-de-la-Madeleine. Le prix des billets est de deux dollars par personne et souvent il faut réserver plus d’un autobus tellement la popularité des excursions est grande. Certains dimanches, des paroissiens, dont beaucoup de femmes seules, se présentent au départ fixé normalement vers 09:00 et sont désappointés de ne pas trouver de place. Claude les comprend mais il ne peut prendre de chance et louer un autobus additionnel qui serait à demi vide. Il veut des autobus pleins pour assurer le profit de l’organisation et lorsqu’il est persuadé qu’il y a suffisamment de monde pour remplir un autre autobus, il le commande. C’est la seule raison qui le motive. Il réalise un profit pour chaque autobus plein de un dollar par personne, dont la moitié va à la fabrique et l’autre dans les coffres des Loisirs. De plus en plus connu, Claude reçoit chez lui, à toutes les semaines, plusieurs appels téléphoniques pour réserver des billets, ce qu’il ne peut pas faire car c’est au presbytère qu’il faut passer pour les acheter ou pour se renseigner de l’itinéraire du prochain voyage. Les appels deviennent si nombreux qu’il demande au vicaire d’annoncer en chaire, une semaine à l’avance, les instructions pour les excursions et leur destination,

Lors de la tombola annuelle, il participe à l’organisation mais est surtout responsable d’une table de jeu dotée d’une grande roue. La roue verticale de cinq pieds de diamètre, a une trentaine de numéros qui y sont identifiés et qui sont aussi retranscrit sur la table, où on peut déposer une mise sur chacun. Claude fait tourner la roue et le numéro à l’arrêt de la roue désigne le gagnant qui a misé sur le bon numéro. Le prix est identique pour tous les numéros gagnants et consiste en une grosse boîte (un cube de dix pouces de côté) de whippets, don de la compagnie de biscuits Viau. Toutes les boîtes qui seront distribuées aux gagnants sont empilées de chaque côté de la grande roue, plus haute que la table et cet aspect de la présentation attire les regards vers Claude qui dirige la table la plus populaire de la tombola. Il sait comment crier pour attirer les gens. Il sait aussi créer de l’intérêt, faire rire ceux qui se rassemblent près de sa table. Il se rappelle les «encanteurs» d’Atlantic City et leurs tactiques. Il en résulte que tous les numéros de sa table sont gagés à tous les tours et que l’argent rentre vite. La mise est de dix «cennes »» le numéro mais après plusieurs tours, voyant la popularité de sa table, il décide de la monter à vingt-cinq « cennes » le tour. C’est cher par rapport à ce qui se gage sur les autres tables mais il n’a que quelques numéros à découvert à chaque tour et l’argent rentre plus vite. Le vicaire se rend compte de son stratagème et lui demande de revenir à dix «cennes», «parce qu’il ne faut pas exagérer avec les paroissiens et les moins riches veulent aussi participer». A la fin de la soirée, Claude a ramassé plus de cent dollars et compte l’argent. Il en est rendu à 75 dollars et encore beaucoup de monnaie à compter, lorsqu’un marguillier arrive et lui dit de vider le tout dans un grand sac vert, il y en a un par table, et qu’il comptera le tout lorsque les gens seront partis. Claude n’a pas d’objection, s’exécute et rentre chez lui après avoir reçu les félicitations du vicaire et de l’organisateur de la tombola. Il a rendez-vous pour le soir suivant car il y a encore la tombola.

Le lendemain, il arrive pour reprendre sa table mais quelqu’un d’autrela dirige déjà. L’organisateur de la tombola le regarde de travers et le fuit. Claude ne comprend pas et va voir le vicaire. Celui-ci, l’amène à l’arrière de la salle et lui demande combien d’argent il avait gagné la veille avec sa table. Claude affirme vitement, avec fierté, plus de cent dollars. Alors le vicaire lui dit: «Explique-moi d’abord comment il se fait qu’il n’y avait que 57 dollars dans le sac lorsque l’argent a été compté?». «Quoi ?» de répondre Claude, «c’est impossible». Il raconte qu’il en était rendu à 75 dollars lorsque le marguillier a mis l’argent dans un sac. «C’est le marguillier qui l’a volé» conclut-t-il. Le vicaire lui dit de ne pas sauter aux conclusions trop vite, car il connaît bien ce marguillier, qu’il a toujours bien aidé l’église et qu’il est très dévoué. «Alors, c’est qui? Parce que ce n’est pas moi!» de riposter Claude. Le vicaire lui conseille de rentrer à la maison et lui dit qu’il mènera son enquête. Claude est choqué, certains ont pensé que c’était lui. Peiné, il invente une excuse à ses parents surpris de le voir revenir si tôt.

Trois semaines plus tard, après la grand’messe, le vicaire aperçoit Claude à l’arrière de l’église et l’approche pour lui annoncer qu’ils ont trouvé le coupable. C’est le marguillier. Comme la majorité des tables de la tombola remportait environ 50 dollars, il avait pensé qu’en prenant le surplus de la table de Claude, cela ne paraîtrait pas dans la tabulation. Le vicaire dit avoir surveillé le marguillier à partir de cet évènement et comme c’est ce dernier qui comptait la quête du dimanche, il a décidé de vérifier le montant des quêtes avec lui pour se rendre compte que le montant depuis deux semaines est de beaucoup supérieur à la moyenne des semaines passées. Il a fait part au marguillier de cette constatation et celui-ci a admis sa faute sur-le-champ et supplier le vicaire de ne pas en parler au curé tout en promettant de ne pas récidiver. Il ne peut rembourser car il prenait l’argent pour sa famille et n’a pas un sou en banque. Le vicaire ne pouvait faire autrement qu’en parler au curé Naud. Celui-ci obtint sa démission. Claude est satisfait car sa réputation est lavée de tout reproche.

Pour les grandes soirées d’amateurs ou les spectacles, les organisateurs font appel à Claude pour agir comme maître de cérémonie. Il aime cette fonction car il a un bagage de chansons à répondre apprises aux réunions des fêtes à Saint-Jérôme et se rappelle les réparties de son grand’oncle Ferdinand qui agissait comme maître de cérémonie lors du «tour des talents» de la parenté. A chaque fois, Claude a le trac et craint de monter en scène. Ce n’est qu’après le premier numéro qu’il réussit à vaincre sa peur et à donner peu à peu le meilleur de lui-même. Il aime le contact avec le public et est reconnu comme ayant une belle voix forte qui lui permet de rallier tous les spectateurs et les divertir entre les numéros.

Claude participe aussi à la préparation et à la distribution des paniers de Noël organisées par la société St-Vincent-de-Paul. Dans son sermon, le curé sollicite de ses paroissiens, les deux dimanches précédents la fête, une quête spéciale pour l’œuvre des paniers ou une contribution en nourriture qui devra être livrée directement au sous-sol de l’Église. Pour ceux qui optent pour cette dernière façon il suggère une liste de produits: Corn flakes, sirop d’érable, boîtes de conserves en métal de légumes de toutes sortes… Les paroissiens sont très généreux même si plusieurs d’entre eux vivent pauvrement. La livraison est prévue pour le samedi. Une trentaine de paroissiens et leurs grands enfants se chargent des boîtes préparées par les membres de la société et vont les livrer aux plus pauvres. Ceux-ci ne sont pas nécessairement toujours dans la paroisse. Claude est stupéfié en rentrant dans une maison où il apporte de la nourriture de constater l’état de misère qu’il y retrouve même si tout est propre et impeccable. Il offre de placer la dinde dans le frigidaire et le trouve presque vide. Ce sont surtout des familles nombreuses qui sont les récipiendaires de ces dons. Il note que les parents acceptent avec humilité et un peu de honte mais ils montrent beaucoup de gratitude. Il constate que le père de famille les accepte surtout pour le bien-être de sa famille mais qu’il aimerait probablement mieux souffrir de faim que de vivre ces moments douloureux. Claude ressent cela et n’est pas à l’aise. Il cherche à exprimer du respect et de l’amour afin d’amoindrir l’humiliation qui de toute évidence assaille le père de la famille.