Le Saint Frère André


Le Saint Frère André, un homme pas comme les autres

Alfred Bessette eut un itinéraire de vie incroyable. Il a été canonisé Saint Frère André de l’église catholique romaine par Benoit XVI, le 17 octobre 2010 en la Cathédrale Saint-Pierre de Rome.

Lorsque je raconte son histoire à des amis français ou américains qui ne le connaissent pas, ils demeurent bouche bée devant le récit de la vie de ce frêle individu au caractère humble et bon.

Alfred est né en 1845 au Québec, en la paroisse Saint-Grégoire du comté d’Iberville en Montérégie, dans la modeste maison familiale qui ne comprenait qu’une pièce. À sa naissance, sa mère Clothilde (Foisy) le voyant si petit et si faible pensa le perdre. Avec son mari Isaac, ils décidèrent de l’ondoyer sur-le-champ de crainte que son âme se retrouve aux limbes, séjour de félicité des enfants morts sans baptême. Il était son sixième enfant des douze qu’elle mettra au monde. Les préceptes religieux de l’église catholique sont omniprésents à ce moment-là dans la vie des Québécois et Québécoises.

Lorsqu’il atteint ses quatre ans, la famille déménage à Farhnam. Alfred grandit mais sa santé est toujours précaire. Il ne fréquente pas la petite école. Il devient pieux grâce à sa mère qui lui enseigne la récitation du chapelet. Il aime bien prier avec elle ou seul dans l’étable, à l’église et où il peut.

À dix ans le malheur le frappe. Son père qui est un homme pauvre à divers métiers : menuisier, charpentier, tonnelier, charron et bûcheron; est tué pendant son travail par un arbre qui lui tombe dessus.

Puis, un plus grand malheur l’assomme, sa mère meurt de la tuberculose alors qu’il n’a que douze ans. Il se retrouve orphelin avec ses neufs frères et sœurs vivants. La famille est dispersée. Le voilà, sans instruction, sans métier, frêle physiquement, sans travail, sans argent, sans espoir, sans bagage. Il est recueilli par sa tante maternelle Marie-Rosalie et son mari Timothée Nadeau à Saint-Césaire.

Alfred cherche du travail. Il commence sa vie errante qui durera treize ans. Il devient garçon de ferme, cordonnier, forgeron, barbier, manœuvre sur les chantiers de construction, ferblantier, boulanger, cocher et encore. Il est un perpétuel apprenti, un ouvrier non spécialisé, un canadien errant à peine capable de signer son nom. Il a aussi des comportements différents de ses amis car malgré sa santé fragile et son jeune âge, il se prive de dessert et prie longuement et intensément.

À dix-huit ans, Alfred, comme des milliers de ses compatriotes québécois, décide de tenter sa chance sur la côte est américaine qui est en pleine expansion industrielle. Il est engagé dans des filatures et plusieurs autres entreprises au Connecticut, au Massachusetts et au Rhode Island. Il peine à bien travailler à cause de sa faiblesse physique mais tient le coup et s’efforce pour que son travail puisse se comparer à celui de ses collègues, mais cela ne rencontre pas toujours la satisfaction de ses patrons. Au même moment, l’économie change. Un très grand nombre de Québécois reviennent au bercail. Alfred désappointé de n’avoir pu trouver un travail à sa convenance, rentre aussi chez lui, après quatre ans. Malgré qu’il se sente un bon à rien qui ne peut réussir, il réalise qu’il a appris plusieurs choses durant cette période. Il parle l’anglais, a l’expérience du travail et possède maintenant une connaissance et un esprit ouverts sur le monde, du moins les USA. Cela l’aidera un jour.

Il vit chez sa sœur Léocadie et son frère Claude à Sutton. Le curé de Farnham l’engage comme homme à tout-faire mais perd sa cure. Alfred revient alors à Saint-Césaire où le curé J. André Provençal, qui deviendra son mentor, est mis au fait de sa piété. Le curé l’interroge pour savoir s’il veut entrer en religion. Alfred est réticent mais le curé l’assure que s’il joignait la congrégation des frères Sainte-Croix, il trouverait le climat de prière qu’il recherche tout en se rendant utile. Un an plus tard, en novembre 1870, il entre au noviciat des frères Sainte-Croix au collège Notre-Dame de Montréal. Le 27 décembre, Alfred Bessette prend l’habit religieux et le nom de frère André en l’honneur du père Provençal qui porte ce prénom.

Il est un frère convers au service de sa congrégation et son supérieur lui confie la fonction de portier du collège. Encore là, il est l’homme à tout faire. Il lui demande aussi de laver les plancher, nettoyer les lampes, faire les courses, rentrer le bois de chauffage, agir comme barbier, infirmier, s’occuper de l’arrivée du courrier et des colis, et tout cela malgré que sa santé soit toujours mauvaise. Mais, à cause de sa condition physique, son supérieur refuse qu’il soit admis à la profession religieuse et ne l’autorise qu’à prononcer des vœux temporaires.

Le frère André a développé durant toute cette période un amour et une croyance en Saint-Joseph. Cette vénération instinctive vient du fait qu’il se reconnait dans ce dernier qui fut un travailleur, un homme dans l’ombre, simple, dédié, jovial et responsable. Ces qualités renforcent la spiritualité à tendance familiale avec laquelle le frère André est à l’aise. De plus, en décembre, le pape Pie IX nomme Saint-Joseph patron de l’Église universelle et cette déclaration renforce son attachement à ce dernier. L’archevêque de Montréal, Ignace Bourget, a aussi une grande dévotion pour Saint-Joseph et espère même construire un jour une église qui lui sera dédiée dans son diocèse. La foi du frère André en ce saint l’impressionne et l’archevêque le rassure qu’il pourra prononcer ses vœux permanents. Ce qu’il fait en février 1874. Il a 28 ans et demi.

Parmi les frères au collège, il y a le frère Aldéric qui souffre depuis longtemps de douleurs physiques importantes. Le frère André le console, prie pour lui et lui suggère de prier Saint-Joseph et de se frictionner avec de l’ « huile de Saint-Joseph » (elle vient de l’huile d’olive qui brûle devant la statue du saint dans la chapelle). Quelques jours plus tard, la douleur a disparu et le frère Aldéric ne se gêne pas pour parler de guérison par le frère André. La nouvelle se répand rapidement de bouche à oreille et le petit frère André, homme d’à peine plus grand que 1,51 mètres, se voit soudainement affubler du qualificatif de thaumaturge, l’homme des miracles. Un nombre croissant de visiteurs malades viennent le consulter à sa chambre de portier à l’entrée du collège. Il les reçoit tous, leur dit de prier Saint-Joseph et affirme : « Ce n’est pas moi qui guérit, c’est Saint Joseph ». Le médecin du collège s’offusque et se plaint de voir des malades à proximité des étudiants. D’autres le traitent de charlatan, de « vieux graisseux ». Par contre, les étudiants l’aiment.

Le nombre de visiteurs devient trop important pour les autorités du collège, qui ne partagent pas les critiques du frère André, et ils lui suggèrent de recevoir les « malades » dans un abri, situé de l’autre côté de la rue au bas de la montagne, qui sert à ceux qui attendent le tramway. L’immense terrain face au collège devient la propriété de la congrégation et s’étend du chemin de la Reine-Marie au sommet de montagne. Les pères et les frères Sainte-Croix le nomment Parc-Saint-Joseph. Il sert à l’agriculture et à la récréation des élèves du collège. Le frère André installe, avec des amis, une statue de Saint-Joseph dans une niche construite sur le Mont-Royal et invite ses visiteurs à le suivre le long d’un petit sentier qui mène à ce lieu qui devient un endroit de prières. Plusieurs se disent guéris par lui et laissent des ex-votos pour témoigner de leur guérison. Les visites ne cessent d’augmenter, au point que le frère André veut y ériger une chapelle. L’archevêque et le supérieur du collège acceptent la demande de construction à la condition qu’elle soit payée entièrement par les amis du frère André. En un rien de temps, les dons affluent et la chapelle est construite et tous les accessoires, ornements et statues nécessaires au culte font partie de l’ensemble. Elle est inaugurée le 16 octobre 1904. C’est le départ d’une grande, belle et incroyable aventure.

Des pèlerinages sont organisés durant la saison chaude et motivent un nombre toujours grandissant de pèlerins à y assister.

La chapelle devient vite trop petite et est agrandie quatre fois de 1908 à 1912. Tous les frais sont toujours payés par les malades, les dévots et par ceux qui recherchent de l’aide dans leur vie. En 1910, il quitte sa responsabilité de portier au collège Notre-Dame et dira cette phrase devenue célèbre : « Quand je suis entré en communauté, mes supérieurs m’ont mis à la porte et j’y suis resté quarante ans sans partir… » Ses supérieurs qui gèrent l’ensemble de ce qui se passe du côté de la chapelle le nomment gardien du sanctuaire. Ils lui attribuent un secrétaire pour l’aider dans l’important courrier qu’il reçoit. De son côté, l’archevêque Mgr Bruchési, veut s’assurer que tout se développe bien et crée « la confrérie de Saint-Joseph du Mont-Royal » composée de laïques, d’amis du frère André et de bienfaiteurs pour que les responsables lui rendent compte des affaires de l’Oratoire.

Les gens aiment le frère André. Même si de prime abord, il dégage une certaine froideur, il est enjoué, taquin même. Ils voient en lui quelqu’un qui les aime et leur ressemble. Il sait les accueillir, les écouter, les réconforter et les persuader de se fier au bon Dieu. Il donne espoir aux malades avec qui il est gai et tente de communiquer sa joie. Plusieurs affirment : « Le frère André fait partie de nous ». Sa réputation de guérisseur continue de s’accroître malgré qu’il nie posséder tout pouvoir surnaturel. Il dit : « Le monde est bête de penser que le frère André fait des miracles, c’est le bon Dieu et Saint-Joseph qui peuvent guérir, pas moi ». Cet homme déterminé et intransigeant sur les principes est d’une douce bonté et ses yeux expriment une finesse légèrement malicieuse. Très sensible, on le voit pleurer avec les malades et ses visiteurs en écoutant leurs confidences. Il répète sans cesse : « je prierai Saint-Joseph pour vous ».

Comprenant la souffrance des gens qu’il rencontre, il en conclut que « les gens qui souffrent ont quelque chose à offrir au bon Dieu. Et quand ils réussissent à s’endurer, c’est un miracle chaque jour ! ».

Même s’il suggère à ses malades de faire une neuvaine à Saint Joseph, de se frictionner avec de l’huile ou une médaille, actes qu’il qualifie « d’amour, et de foi, de confiance et d’humilité », il les encourage à voir le médecin pour se faire soigner. Son médecin personnel est le Dr. Origène Dufresne, père de mon épouse. Le docteur est à l’institut du Radium dans l’est de Montréal et le frère André vient le consulter et profite de chaque occasion pour rendre visite aux cancéreux traités à l’étage supérieur de l’institut.

Le docteur Dufresne, radiologiste, scientiste, professeur à l’université de Montréal, ne croit pas dans les miracles du frère André. Il refuse d’analyser les cas de guérisons attribuées au frère André qui lui sont soumis par les responsables de l’Oratoire pour authentification. Un jour, lors d’une visite du frère André à l’Institut du Radium, pour une consultation personnelle auprès du Dr. Dufresne, un fait triste et coquasse s’est développé. Suite à la consultation, le frère André, selon son habitude, est monté au deuxième étage pour voir les malades via l’escalier monumental tout de marbre qui orne le centre du bâtiment. La tournée des malades terminée, le frère André descend l’escalier alors que le personnel toujours curieux de le voir en personne et de si près, l’attend au bas pour pouvoir lui serrer la main et même le toucher. Vers la quatrième marche du bas, le frère André s’accroche les pieds dans sa soutane, vacille sur ses jambes, tombe, déboule les marches restantes et se retrouve au sol, au bas de l’escalier, sur le dos. Tous ceux présents sont horrifiés et le croient blessé. Mais lentement, le frère André se retourne, s’assit, se relève difficilement et se tient tout droit, un peu gêné de cet incident. Le Dr Dufresne, qui l’attendait au bas de l’escalier, s’exclame «çà c’est un miracle », aux rires et aux applaudissements de tous ceux présents.

En 1913, des laïques réclament la construction d’une basilique et Mgr Bruchési accepte. Les services des architectes Alphonse Venne et Dalbé Viau sont retenus. La crypte est inaugurée le 16 décembre 1917. Elle contient mille personnes. Un an plus tard, c’est trop petit. Durant les années ’20, le sanctuaire devient le centre des activités religieuses de l’archidiocèse. Les pèlerinages de mouvements, d’associations, de syndicats, de congrégations sont innombrables. Les paroisses organisent des visites annuelles. Et ça vient de partout: Ontario, Nouveau-Brunswick, Ouest canadien, USA.

Pendant ce temps-là, le frère André reçoit à son bureau des malades, des pauvres et des malheureux de 9h à 17h et le soir, avec des amis, ils visitent les malades qui ne peuvent se déplacer. En fait, il met tellement d’entrain et de bonne humeur dans ses sorties quotidiennes, que certains le taquinent d’être «un vieux courailleux», mais il les assure que ce n’est pas une sinécure et que le soir venu, il est fourbu. Son courrier augmente tellement qu’un secrétariat est mis sur pied pour l’aider.

En 1915, les supérieurs du frère André lui permettent de prendre des vacances, deux fois par an. Il en profite pour visiter les villages de son enfance et se rend aussi en Nouvelle-Angleterre, à Toronto, Sudbury et Ottawa. Mais sa réputation de thaumaturge le précède, et il est accueilli par des foules pressantes. Les journaux locaux relatent des guérisons et le frère André revient chaque fois avec beaucoup d’offrandes de la part de ceux qui le remercient. Son expérience de sa vie de jeunesse difficile et son travail à l’étranger, l’aident à comprendre les besoins de chacun, où qu’il soit.

Photos anciennes: Musée McCord